Au delà des prestations déplorables de l’OM (et pas seulement face à Nantes…) certains sujets touchant au club et aux hommes qui le composent ou le représentent, agitent parfois l’espace médiatique, ainsi que la rédaction de votre média favori, de manière notable. Force est d’admettre que la récente déclaration de notre bien étrange président au magazine « Challenges » fut de celles-ci…
Si les buts marqués hors de la surface comptent double, on peut encore se qualifier pour la Champions League
Pourtant, en dépit du tollé provoqué par la parole présidentielle, la réflexion n’est pas si bête que ça. Oh rassurez-vous, je ne vais pas défendre la proposition de JHE, mais simplement soulever une question : et si l’on devait proposer une évolution des règles du football, vers quoi devrait-on tendre ?
Proposition indécente !
La principale raison qui a fait que l’idée émise par notre regrettable président en ait fait, au mieux, un sujet de moquerie à l’échelle européenne, si ce n’est mondiale, c’est justement la méconnaissance que ce dernier étale chaque jour un peu plus du monde du football, et du club qu’il dirige en particulier. Nul besoin de revenir sur les raisons de l’ire que son nom provoque dans les travées du stade, elles sont connues de tous, et provoquent, à minima, des réactions d’humeur, voire d’irritation chez les supporteurs phocéens.
En revanche, cette nouvelle sortie aura mis en lumière le côté absolument hors-sol du président quant à l’évolution du jeu et des règles dans notre sport favori : en effet, prendre comme exemple un jeu vidéo dont le réalisme fait grandement débat, mais qui jouit d’une position préférentielle de par l’omniprésence de son éditeur dont la soif de revenus n’a d’égale que la quantité innombrable de bugs dont est nantie chacune de ses productions pour respecter les délais de livraison (oui, je préfère PES, ne me jugez pas !) fut d’une maladresse à tout le moins problématique !
Lorsqu’il y a environ deux ans et demi, Marco Van Basten, joueur auréolé de succès et dont la simple évocation rappelle de nombreux souvenirs aux moins jeunes d’entres nous, avait proposé, fraîchement nommé à la direction technique de la FIFA, un certain nombre d’évolutions visant à rendre le football plus attractif et plus spectaculaire : abolition pure et simple de la règle du hors-jeu, exclusion temporaire en cas de carton jaune, six changements au lieu de trois, séance de tirs au but façon « Orange Challenge » à la mi-temps, pour les habitués du Vélodrome… les réactions n’avaient pas pris une telle ampleur.
Pourtant, lesdites propositions étaient, pour certaines, largement plus farfelues que ce qu’a proposé JHE en fin de semaine dernière… Imaginez donc la suppression de la règle du hors-jeu : lignes défensives ultra-basses pour éviter d’être pris dans son dos quand on défend, et peur d’attaquer trop franchement au risque de prendre un contre assassin de la part d’un joueur resté quinze mètres plus haut… beau cocktail ! Néanmoins, Van Basten avait pour lui ce passé glorieux qui à fait que l’on avait prêté une oreille plus tolérante à son propos qu’à celui d’Eyraud.
La nature de la proposition et son intelligibilité est donc surtout le fait de celui qui l’émet : on réfléchira plus volontiers à une proposition délirante, en y trouvant même parfois un certain sens si elle vient d’une entité ou d’une personnalité respectée dans son domaine que si elle vient d’un puceau en la matière, et ce même si l’idée de fond est strictement identique !
Le Doc’ au chevet d’un football malade
Si cette déclaration à agité la rédaction c’est qu’un de nos membres, en l’occurrence Ludo, a.k.a. le Doc’ Tacle Glacé, après d’âpres discussions sur le réseau à l’oiseau bleu nous est revenu dans un état de nerf avancé, en se demandant, à raison, pourquoi tout le monde hurlait sur la proposition de JHE sans pour autant être capable de fournir un argument valable et étayé pour expliquer pourquoi cette idée était mauvaise ! Cet état de fait a donné lieu à une réflexion plus profonde sur le football dans son ensemble : mis en rapport avec certaines autres disciplines, notamment le basket ou encore le football américain, notre bon vieux football est emprunt d’un conservatisme de « haute volée » (©R.Garcia).
Sitôt qu’une nouvelle règle est proposée par les instances, une levée de boucliers des sages (et des moins sages aussi du reste…) intervient de manière pratiquement mécanique. À croire que le football est un peu comme la grammaire, une sorte de vieille dame qui a toujours ses règles et qu’il ne faut en aucun cas brusquer sous peine de le violer dans son essence ! Et pourtant, si l’on observe bien la tournure que prend le football actuel, si l’on reste honnête, on est obligé d’acquiescer à l’idée qu’une évolution, ou à minima une grosse révision de son règlement ne serait pas inutile si l’on veut éviter qu’il ne s’enferme dans un marasme passéiste qui finira par entraîner la disparition, non pas de la discipline en elle-même, mais de tout ce qui nous fait l’aimer !
Dans le monde du ballon rond, tout n’est pas rose : argent roi, formation d’une ligue fermée qui fera tomber en désuétude la Champions League (et malgré nos cris d’orfraie, cet immondice verra certainement le jour…), joueurs plus intéressés par leur image que par leur équipe, instances de plus en plus répressives face aux supporteurs, lesquels cèdent de plus en plus la place à de simples spectateurs plus avides de stars que de jeu.
La faute au tournant élitiste que semblent vouloir prendre de plus en plus d’institutions, prégnance des diffuseurs dans la programmation des matchs et l’image renvoyée des rencontres… le football populaire se meurt face au football de paraître, l’amour du jeu s’efface devant la crainte de la défaite, devenue plus importante que le plaisir ressenti et donné par le joueur quand il exerce son métier. Les enjeux sont devenus trop importants pour que le football demeure un jeu, et un jeu qui cesse d’être un jeu est plus qu’ennuyeux : il est malade !
Si le diagnostic parait sans appel, comment on fait pour soigner ça ? Comment peut on rattraper des décennies d’inflation galopante ? Quand on se rappelle qu’un joueur comme Chris Waddle, qui nous a tellement enchanté par sa technique, ses dribbles chaloupés, sa coupe mulet et sa capacité phénoménale à ne pas se prendre au sérieux, avait rejoint nos rangs pour une somme de quarante cinq millions de francs (ce qui en faisait à l’époque le troisième transfert le plus cher de l’histoire derrière Gullit et Maradona excusez du peu), soit, rapporté au cours actuel inflation comprise, environ onze millions d’euros !
Combien un tel joueur pourrait valoir dans le football de 2019 ? Quatre-vingts millions ? Cent millions ? Plus peut-être… Allez savoir. La question restera sans réponse, mais elle à au moins le mérite de mettre en lumière le « pétage de plomb » qu’a subi le football business sur les trente dernières années, et surtout du point auquel l’argent a pris le pas sur le spectacle. Difficile en tous les cas, d’imaginer qu’un des meilleurs joueurs de l’écurie phocéenne toutes époques confondues nous avait rejoint pour une somme inférieure à Nemanja Radonjic !
Rain Man ou La ligue des pessimistes extraordinaires
Car oui, au delà des résultats que l’OM vomit à nos faces depuis des mois, les motifs de désarroi quant à l’avenir du football ne sont pas l’apanage de nos tribunes. Ou que l’on cherche, il n’y a pas beaucoup de voix qui s’élèvent pour défendre l’état actuel du onze contre onze ! Rien que dans notre bonne vieille Ligue 1, qui peut se prétendre satisfait de l’hyper puissance d’un club qui a fait de la seconde place du championnat un titre de champion par procuration ?
Bien que les « spécialistes » glosent à l’envie, et claironnent à ceux qui veulent bien encore les écouter que la croissance du PSG est un bienfait pour notre championnat, la réalité est bien plus sombre : quid des avantages, matériels ou immatériels que les instances prêtent à ce dévoiement du sport. On voit et l’on ressent suffisamment, au delà du décalage de niveau, le décalage de traitement entre le club de l’état gazier et les autres.
Dans un contexte de ce genre, une évolution des règles pourrait faire sens. Mais justement, vers où aller ? Il est évident que dans un sport collectif de plus en plus marqué par la starification de ses acteurs, donner une prime à qui sait canonner à trente mètres n’irait que vers la mise en valeur de la performance individuelle au détriment de ce qui fait la beauté du football : la performance collective. Pourtant, ce type de proposition aurait probablement une oreille plus attentive des instances dirigeantes que celles encourageant l’implication d’une équipe dans sa globalité dans la construction d’une action. Il apparaît en effet de plus en plus évident que le football prend la tournure d’un show à l’américaine, ou les supporteurs ne viennent plus supporter une équipe, mais parfois un seul joueur, en se moquant parfois de la formation dans laquelle il évolue.
Beaucoup ont vu l’excellent film Rain Man, porté par le duo Tom Cruise/Dustin Hoffman, où ce dernier, atteint de troubles autistiques, connait, comme une encyclopédie, les statistiques des joueurs de la Ligue de Baseball Américaine. Ce genre de comportement, quand il n’est pas issu d’une pathologie est pourtant courant outre-Atlantique. Faites un tour dans les pubs et bars un soir de match, quel que soit le sport, et mêlez vous à une conversation sur la partie en cours, vous aurez droit à des échanges de statistiques.
Aussi effarant que cela puisse paraître, les acteurs sportifs sont devenus ni plus ni moins que lignes, des bâtons dans des cases, et leur impact sur le jeu de leur équipe est devenu une donnée secondaire. Cet état de fait est le symptôme d’une société américaine ultra-individualiste dans laquelle on reconnait plus volontiers la réussite de l’individu que celle du groupe auquel il prête son talent.
Cela vous fait sourire ? Regardons nous dans le miroir si vous le voulez bien : sommes nous si différents ? Ne prenons nous pas, avec l’habituel délai qui nous caractérise face aux Etats-Uniens, le même chemin ? Ne devenons nous pas plus sensibles aux performances individuelles qu’à celles de l’équipe ? Même si l’on s’en défend, ayons l’honnêteté d’admettre que c’est un peu vrai : si vraiment nous n’étions que fans de l’équipe, il n’y aurait pas de flocage sur les maillots que l’on achète. Mais ne le prenons pas mal, il est naturel de se reconnaître, de vouloir s’identifier à la personnalité, au talent d’un joueur, d’en faire une sorte d’icone, de modèle, parce qu’on trouve en lui des traits de caractères, des traits humains, soit qui nous plaisent, soit qui sont aussi les nôtres.
Alors n’en voulons pas au football business, il ne fait que s’adapter à l’évolution de la société, à un individualisme qui s’affirme de plus en plus. Il nous donne ce que nous lui demandons, et dans un étrange mouvement de rejet, nous vomissons ce que nous avons demandé ! Comme si, finalement nous n’étions pas vraiment prêt à accepter ce que nous devenons. Pour preuve, quand un club conclut un transfert à plus de cent millions nous sommes tout à la fois fascinés et révulsés par les sommes mises en jeu pour un type qui, en définitive, est juste doué pour taper dans un ballon.
Ainsi vautré dans sa schizophrénie, le monde du football, et tous ses acteurs, supporteurs compris, se sclérose lentement sans donner l’air de se chercher un nouveau souffle, un nouvel élan, qui lui redonnerait ses lettres de noblesse et le ramènerait à ce qu’il n’aurait jamais du cesser d’être : un fait social vecteur de lien plutôt que vecteur d’opposition.
L’homme contre l’équipe
Comme évoqué plus haut, le football est un sport d’équipe qui s’individualise au fur et à mesure du temps, dans lequel, moi le premier, quand une équipe échoue à fournir les prestations que l’on attend d’elle, on à le réflexe de chercher la responsabilité d’un, ou de quelques uns des joueurs, plutôt que d’admettre qu’en dehors de cas spécifiques, quand il y a une faillite, elle est toujours collective. A titre d’exemple, le cas Florian Thauvin est très révélateur de ce fait : l’année passée, ce dernier marchait sur l’eau, affichant des statistiques impressionnantes pour un ailier, y compris en comparaison de ses concurrents au niveau européen. Cette année, ces fameuses (ou fumeuses) statistiques sont moins reluisantes, et subitement, on a tendance à trouver au joueur des défauts qu’on ne lui connaissait pas !
©REUTERS/Alessandro Bianchi
Pourtant ces défauts existaient déjà auparavant : jeu trop stéréotypé, beaucoup de déchet, pertes de balles fréquentes inhérentes à un jeu de percussion, individualisme (tiens tiens…), mais ses résultats personnels nous les masquaient. Mais là encore il s’agit de l’arbre qui cache la forêt, car, après tout, s’il a été aussi performant l’année dernière n’est ce pas aussi et surtout par le fait d’une équipe qui était beaucoup plus performante dans sa globalité ? Si un meneur d’homme comme Didier Deschamps n’accorde au natif d’Orléans que peu de temps de jeu en Equipe de France, c’est peut-être qu’il y a une raison…
Passés ces constats aussi divers qu’accablants pour la survie du football en temps que fait social populaire, comment faire évoluer les règles pour qu’elles le remettent sur le bon chemin ? Voyons d’abord comment elles ont évolué ces dernières décennies :
Tout d’abord, petit retour lointain en 1866. Une règle cardinale du football est inventée, la passe en avant ! Cela peut-paraître délirant, mais avant cette date, le football n’était presque qu’une forme de rugby qui se jouait au pied et avec un ballon rond ! Imaginez que cette règle n’ai pas existé et que l’on tente de l’inscrire aujourd’hui. Quelle serait la réaction du monde du football si Monsieur Eyraud avait proposé une telle règle à la place de son délire vidéo-ludique ? Dur de le prédire, mais il y a tout de même fort à parier que de partout, les voix s’élèveraient pour crier au viol de l’esprit du jeu !
1925 maintenant : introduction de la règle du hors-jeu et ses évolutions successives ! En effet en 1925, un hors-jeu était sifflé s’il n’y avait pas un minimum de trois défenseurs entre l’attaquant qui recevait la ballon et le but ! Progressivement, cette règle jugée trop contraignante pour la beauté du jeu évoluera avec d’abord deux défenseurs dans les années 1950, puis finalement, en 1990 l’unique besoin pour l’attaquant d’être positionné sur la même ligne que le dernier défenseur !
1970, année charnière avec deux évolutions majeures : en premier lieu, l’invention par un arbitre anglais, Ken Aston, de la signalétique , inspirée par les feux de signalisation, des cartons, jaunes et rouges, distribués par l’homme en noir au gré des situations. Le but de cette innovation était tout à la fois de mettre fin aux longues palabres à chaque coup de sifflet en hiérarchisant les interventions que d’abolir une difficulté inhérente à l’universalité du football, en l’espèce, la barrière de la langue. Les couleurs étant les mêmes pour tout le monde, sauf cas de daltonisme, la nature de l’intervention devenait immédiatement identifiable.
Mais l’année 1970 voit aussi l’apparition d’une règle qui fait tellement figure d’évidence aujourd’hui qu’on imagine mal qu’elle n’a pas existé pendant plus d’un siècle de football auparavant : l’autorisation de remplacer un joueur blessé ! Impensable aujourd’hui de laisser sur le pré un joueur qui ne peut plus mettre un pied devant l’autre, et pourtant… Ce système évoluera au cours de la décennie suivante jusqu’à autoriser les remplacements sans blessure préalable, pour offrir au football moderne l’un de ses principaux ressort tactique !
1994, coup de tonnerre pour un poste que l’on croyait immuable : suite à une Coupe du Monde 1990 aussi passionnante qu’un cross-over de Derrick et Joséphine Ange Gardien, les pontes des instances décident d’interdire au gardien de but d’attraper a la main un ballon provenant d’une passe en retrait volontaire d’un de ses coéquipier, sauf si celle-ci est effectué de la tête. Cette mesure à fait l’objet d’un tollé largement supérieur à celui provoqué par JHE et sa mesurette… et pourtant on ne se verrait pas revenir dessus tant elle a permis d’accélérer le rythme des matchs et modifié la manière de jouer des équipes en phase offensive ! D’une certaine manière elle a presque, à elle seule, mis fin à la philosophie Italienne du catenaccio en interdisant à une équipe de jouer trop regroupée sans devoir craindre une erreur due à un pressing adverse intense. Le football champagne s’en porte-t-il plus mal ? Evidemment non !
1998, grande année pour le football français ! C’est pourtant cette année là aussi qu’une barrière tombe, malgré la réticence de l’influence très anglaise, favorable au jeu rude, de l’International Board, la tacle par derrière est interdit ! Là encore, difficile d’imaginer, à peine vingt ans plus tard, qu’on pouvait, jusqu’alors, découper un adversaire en traître avec la délicatesse d’un motoculteur sans que ça ne choque grand monde !
L’évolution selon Eyraud
Tout ce petit cours d’histoire, très loin d’être exhaustif pour dire quoi ? Et bien justement pour dire que le football est beaucoup moins figé que l’on a tendance à le croire, et que certains ont déjà su, par le passé, jeter un pavé dans la marre pour le faire évoluer. Toutefois, il est bon de nuancer ce propos en insistant sur le fait que la majorité des évolutions, qu’elles soient citées ci-dessus ou non, ont quasi-systématiquement été dans le sens d’un intérêt collectif, dans l’esprit du football étant envisagé comme l’opposition de deux entités comprenant chacune onze éléments aux caractéristiques aussi diverses que complémentaires.
En ce sens, l’évolution proposée par Eyraud reviendrait à récompenser cette entité globale sur le simple fait d’un de ses éléments et s’éloignerait donc des racines du football dans une dérive individualiste. Si les règles doivent évoluer au point de donner un avantage comptable à une équipe pour une action aboutissant à un but, alors autant faire en sorte qu’un maximum de membres de l’équipe soient impliqués. Peut-être un but pourrait-il compter double à la faveur d’une combinaison d’éléments : nombre de passes échangées dans un temps donné avant le but, distance gagnée sur le terrain, jeu en première intention…
Ainsi, cessons de voir le football comme étant un jeu dont les règles sont gravées dans le marbre, acceptons qu’il évolue pour ne pas mourir, mais surtout battons nous pour que cette évolution se fasse dans un but collectif, dans l’optique de faire du football un jeu qui doit et devra toujours se rappeler qu’une victoire est la récompense d’une communauté et pas d’une quelconque starlette à l’ego démesuré. Rappelons aux joueurs que c’est en prenant du plaisir à titre individuel qu’ils permettent d’en donner collectivement, et que les plus talentueux ne sont jamais aussi beaux à regarder que quand ils permettent aux besogneux de briller !
Intéressant le rappel des changements de règles, je ne me souvenais pas que les cartons n’ existaient pas, pourtant, j’ en avais vu des matchs de foot tous les dimanches avec mon papounet !!! merci