Puisque selon la corporation journalistico-sportive, il est admissible d’affubler l’entraîneur de l’OM de sobriquets désobligeants au nom de la sacro-sainte liberté d’expression, je me permets ce bon mot en guise de titraille à ma petite divagation de ce Dies Veneris ! Cette petite tribune n’aura pas pour but de dire qui a raison ou tort, mais d’essayer de comprendre quelle est la place et l’intérêt du journalisme dans le football moderne.
Vaste programme me direz-vous ! C’est vrai, d’autant plus que de nos jours, entre les médias spécialisés, les généralistes, les présentateurs, chroniqueurs, consultants, ex-footballeurs reconvertis etc. on ne sait plus où donner de la tête. Qui fait quoi, qui sait quoi ?
En réalité la presse sportive est devenue un tel maelström qu’aujourd’hui l’information n’existe plus vraiment, ayant cédé sa place a des conjectures sur les compositions d’équipe, les transferts, les prolongations de contrat, l’âge du capitaine…. Lequel d’entre nous n’a pas déjà fondu un fusible en ayant entendu une énorme stupidité écrite ou prononcée à l’antenne ? Nous dissertons souvent sur la compétence ou l’incompétence supposée de tel ou tel acteur médiatique et il faut bien avouer qu’à force de rechercher du buzz sur le dos du football, on en arrive à des absurdités qui compliquent notoirement la vie de ceux qui voudraient jouer de la parodie (jusqu’au licenciement, c’est dire…) !
Bien sûr, les hypothèses ont toujours fait partie du journalisme, y compris du journalisme de haute tenue : pour comprendre un fait, il faut bien souvent l’accompagner d’une suite de causes et de conséquences, sauf que tout n’est pas toujours connu, et parfois il devient nécéssaire de conjecturer pour donner un sens aux faits. La problématique actuelle c’est que le journalisme sportif, et en particulier celui qui trait au football – qui reste, ne nous mentons pas, le sujet majeur de ces médias – est devenu une bataille d’audience qui consiste à créer de l’information, parfois de toutes pièces, plutôt que de la recevoir, l’analyser, la comprendre, et enfin la relayer !
De la même manière il faut bien avouer que nous sommes de gros consommateurs de ce mode de fonctionnement. Loin de nous le temps où nous apprenions les transferts en lisant la presse du lendemain, aujourd’hui le relai est quasi instantané, et les clubs eux-mêmes jouent savamment à ce jeu. Alors, pour garder une longueur d’avance, la presse (d’ailleurs, parler de presse à l’heure où le média papier est largement minoritaire par rapport au média télévisé qui est lui même en perte de vitesse par rapport aux médias internet deviendrait presque étrange, comme un ancrage à un temps révolu, une sorte de nostalgie linguistique) essaye d’imaginer ce que sera l’actualité du lendemain avec toute l’incertitude que cela peut comporter. Comme je l’ai dit, nous sommes friands de ce mode de fonctionnement, accordant, selon nos sensibilités respectives, confiance à untel et décriant un autre. Après tout, c’est le jeu : certains, bien informés et dotés d’un sens logique de bonne facture auront raison, tandis que d’autres, s’informant « au doigt mouillé » balanceront, à tour de bras, des « scoops » faits maison jusqu’à devenir des memes Internet. Puisque j’vous l’dis !
La presse d’aujourd’hui est ainsi et il nous faut l’accepter puisque notre voracité à contribué à la façonner. Là où le bât blesse, c’est lorsque elle cesse de devenir un organe d’information et qu’elle devient prétexte à dérive, prétexte à des jugements ad hominem ou ad personam péremptoires. L’équité et l’impartialité sont des notions cardinales et non détachables de la qualité de journaliste : elles sont inscrites dans la charte d’éthique professionnelle des journalistes telle que présentée par le Syndicat National des Journalistes. De ces notions ne devraient découler que des articles, des reportages, des portraits guidés par l’objectivité et une analyse pertinente des faits.
L’agitation d’hier autour de la réaction d’André Villas-Boas en conférence de presse, suite au match face à Rennes, a mis en lumière une face de l’activité médiatique que nous adorons détester. Comprenez par là que nous guettons avec attention chaque dérapage pour y réagir et en nourrir nos égos.
Je vais évacuer un point d’office : AVB a-t-il eu raison de réagir ainsi ? Non ! Qu’il soit clair que ce n’est pas le comportement attendu de l’entraîneur d’une institution comme l’Olympique de Marseille. Toutefois, il n’en reste pas moins un humain comme un autre, qui subit, de part sa fonction et la pression inhérente à la gestion d’un club de football qui déchaine autant les passions, un stress que peu d’entres nous pourraient supporter au quotidien.
Comme tout un chacun, il a une tolérance à l’agression qui connaît des limites. Ai-je dis agression ? Oui, car, et c’est là tout le point de ce billet, l’attaque dont a fait l’objet notre entraîneur dans les colonnes de La Provence était une expédition punitive en règle, se réfugiant derrière une analyse bas de gamme de ses résultats en Ligue Des Champions pour se prétendre objective et digne du qualificatif de journalisme !
À titre personnel, ces articles que j’écris de temps en temps pour MassaliaLive ne me sont aucunement rémunérés, il s’agit d’une activité véhiculée uniquement par la passion. Ne tirant donc aucun bénéfice fiduciaire de cette activité je ne peux me prévaloir du qualificatif de journaliste.
Pourtant, quand je n’écris pas un article volontairement ironique ou humoristique, les devoirs gravés dans le marbre de la charte d’éthique me sont chers et j’essaye de m’y tenir autant que possible. Déjà par respect pour vous qui me lisez, par respect ensuite pour mes collègues qui donnent de leur temps et de leur énergie pour produire un contenu de qualité qui couvre l’actualité et l’histoire du club, et en dernier lieu pour moi au titre d’une honnêteté intellectuelle que j’essaye de m’imposer !
Ce que j’ai lu hier dans ce billet de Jean-Claude Leblois était tout sauf du journalisme, tout sauf de l’honnêteté intellectuelle. Il s’agissait d’une attaque à desseins envers AVB parce que ce dernier avait eu le malheur, lors d’une conférence de presse précédente, d’envoyer sur les roses ce même Leblois qui avait dressé un bilan parcellaire de son passif en Ligue des Champions dans le but de prouver qu’il n’était pas un entraîneur de qualité, taillé pour jouer cette compétition.
Qu’un journaliste émette une opinion, soit. Mais encore faut-il que cette opinion puisse-être étayée de manière objective, et là ça devient plus compliqué. Même s’il n’a pas remporté la Champions League, il fut quand même, à 33 ans, le plus jeune entraineur à remporter l’Europa League avec Porto lors de la saison 2010-2011. Cela ne suffit certes pas à en faire un génie tactique, mais cela devrait interdire de le considérer comme un entraîneur médiocre. Remporter une compétition européenne est un exploit pour toute équipe et pour tout entraîneur. Remporter une telle compétition n’est jamais un accident !
Aussi quand le plumitif de la Provence parle de lui comme s’il était l’unique responsable des contre-performances en C1, je considère cela comme une attaque personnelle : ce serait oublier qu’il devait composer avec des joueurs et un groupe majoritairement novices de cette compétition face à des équipes qui la jouent tous les ans. Ce fut une insuffisance globale qui sonna le glas de nos espoirs, et c’est à peine si Leblois n’accusait pas Villas Boas d’avoir volontairement saboté les matchs. Avouez que si l’on vous accusait de volontairement pourrir votre travail vous auriez du mal à contenir vos nerfs. En tous les cas, j’aurais du mal !
Partant de ce constat, qu’à la suite de la défaite face à Manchester City, AVB ait sèchement apostrophé le journaliste de la Provence au sujet d’un article qu’il avait trouvé à charge car incomplet, omettant des statistiques qui lui étaient, à priori favorables, ne parait pas délirant. La méthodologie et la forme sont peut-être hors des canons du genre, mais jusque là il n’y avait pas réellement de problème.
Ces sorties d’AVB face à la presse sont d’ailleurs monnaie courantes : quand ce qu’il entend ou lit ne lui plait pas il a tendance à ne pas avoir sa langue dans sa poche. Là est peut-être son plus grand crime face aux journalistes français qui ont tendance à se croire tout puissants, capables d’un coup de plume acide, d’écorner l’image de l’un, et de porter l’autre au pinacle.
Je repense d’ailleurs au traitement médiatique que subissait Marcelo Bielsa, autant sous nos couleurs que sous celles du LOSC. Si chez nous, le jeu qu’il impulsait à l’équipe était loué, il était fréquemment attaqué, par pratiquement tous les acteurs médiatiques sur son attitude : « Il ne nous regarde pas ! », «Il manque de respect aux journalistes », « Il répond à côté » certains, s’ils n’avaient craint d’êtres cloués au pilori par des associations de défense, l’auraient bien taxé d’autiste !
Au LOSC ce fut pire, parce que les résultats n’étaient pas là, et maintes fois il dut affronter des attaques très limites, voire plus ! Le contraste lors de son départ pour l’Angleterre où il livra notamment une conférence tactique de plus de deux heures devant un parterre de journalistes admiratifs, fut saisissant ! Il ressort de cet état de fait que le journalisme sportif français a du mal à aimer les entraîneurs étrangers, parce qu’ils ne répondent pas aux codes habituels. Jamais Jean-Claude Leblois ne s’est montré aussi virulent dans ses analyses quand Rudi Garcia était aux commandes, qu’il l’est avec AVB alors que ce dernier à quand même des résultats domestiques plus probants que Garcia. Seulement Garcia était Français et savait que les journalistes français ont besoin qu’on les brosse dans le sens du poil, ils ont besoin de se sentir importants, même si les questions qu’ils posent n’ont qu’un intérêt limité, voire pire !
C’est bien là tout le problème. Beaucoup de ces spécialistes des conférences de presse ont plus besoin de se faire mousser que d’être pertinents, et c’est exactement ce que Leblois a fait ! Il a réglé un différend personnel en utilisant son statut de journaliste pour mettre Villas Boas en difficulté ! En un sens il peut s’enorgueillir d’avoir réussi : sa cible est sortie de ses gonds ! Mais quel triste objectif professionnel que de descendre l’entraîneur actuel, souvent indument, jusqu’à le faire craquer !
Naturellement, le verbe haut d’André a fait le reste, et les mots « toi je vais t’attraper », maladroits, vindicatifs, se sont transformés, dans la bouche des journalistes, en menaces physiques. À ce titre, le dit Leblois soutien qu’AVB l’a poursuivi dans le parking du Roazhon Park et qu’il s’est retrouvé front contre front avec lui ! Quelle confiance peut-on accorder à ces propos dans la mesure ou leur auteur avait déjà une animosité réelle à l’encontre du coach olympien ?
Là est tout le problème parce que ce qui compte ce n’est pas la vérité nue, mais celle qui est écrite et relayée par La Provence ! Le corporatisme a fait le reste. Dés hier, une pluie de soutiens pour Jean-Claude Leblois, et une défense ardente de la liberté d’expression.
Sauf qu’il n’est pas question ici de liberté d’expression, mais de liberté d’agression ! Quand Leblois désigne AVB par des sobriquets volontairement désobligeants tels « Dédé l’énervé » ou « l’aristo de Porto », sa corporation le défend avec des arguments dont la vacuité ne le dispute qu’au ridicule ! En échangeant avec certains d’entre eux, il m’a été répondu qu’il ne s’agissait pas d’une attaque sur ses origines, mais simplement d’un rappel de son milieu social expliquant son comportement hautain (sic). Chacun appréciera le raccourci vaseux consistant à attribuer un comportement selon la classe sociale ! Si ce n’est pas de la discrimination je ne sais pas ce que c’est !
L’histoire est même allée plus loin, puisque un autre journaliste de La Provence a envoyé des messages passablement agressifs à un twitto, pensant s’adresser au vrai AVB. Outre le ridicule du bonhomme qui en tant que journaliste n’a pas été fichu de lire la biographie du twitto en question pour s’apercevoir qu’il s’agissait d’un compte parodique, celui-ci s’est montré d’une agressivité difficilement admissible pour le professionnel qu’il est sensé être.
Au moment où j’écris ces lignes, je suis en train de regarder la conférence de presse d’AVB qui a présenté, intelligemment, ses excuses, sans pour autant revenir sur le fond de sa pensée et son ressentiment à l’égard du contenu des deux articles récents, disant qu’il s’était senti attaqué dans sa dignité en tant que professionnel et en tant qu’homme ! Son vis à vis aura-t-il l’élégance d’en faire autant ? Rien n’est moins sûr ! Le soutien dont Leblois à bénéficié naturellement de la part de ses collègues l’aura sans doute conforté dans sa position, et il est à prévoir que son égo le guidera vers de nouveaux papiers acides, car il saura que désormais, l’entraîneur devra « avaler le venin ».
C’est bien là le problème, le corporatisme bête et méchant de la profession s’est subitement mis à ressembler à celui qu’ils reprochent actuellement aux forces de l’ordre : refuser d’admettre, face à l’évidence, la faute d’un de ses collègues et menacer de mesure de rétorsion si l’on ne les laisse pas faire à leur guise, le tout en se retranchant derrière la liberté d’expression. Mais que vaut la liberté d’expression face à la calomnie, face à l’atteinte à la dignité ? Oui, ces notions sont aussi inscrites dans la charte professionnelle des journalistes, et en ricanant sans doute au moment de coucher sur le papier les surnoms stupides qu’il avait trouvé pour désigner sa cible, Jean Claude Leblois les a un peu oublié.
Alors, qui a tort ? Tout le monde ! AVB a tort de s’énerver et peut-être aussi celui de prêter trop d’attention à ceux qui n’ont pour vocation que d’être dans la critique négative et qui occultent volontairement les points positifs de son travail. Jean-Claude Leblois a tort de se servir du journal qui l’emploie pour régler un différend purement personnel, il a tort d’écrire un billet sans aucun fond, et qui est juste un prétexte pour descendre en flammes la personne qui lui avait déjà reproché le contenu d’un de ses articles !
La rédaction de La Provence a tort d’avoir accepté de publier un tel texte qui ne peut absolument pas être qualifié de journalisme et ainsi d’étaler sur la place publique un différend entre deux personnes ! La direction de l’OM a tort de laisser AVB trop souvent seul face au feu des critiques. S’il se sentait plus soutenu en interne, peut-être qu’il n’aurait pas réagi ainsi. La corporation journalistique enfin, a tort d’avoir défendu inconditionnellement son sociétaire sans avoir même cherché à savoir exactement de quoi il retournait, ou alors d’avoir justifié des mots volontairement blessants par la sacro-sainte liberté d’expression !
Bien sûr cet article ne changera pas la face du monde, bien sûr ce genre d’incidents arrivera encore, mais si les journalistes, après ces excuses, doivent se sentir forts, doivent se déclarer gagnants de ce duel qui n’en est même pas un, ils ne réalisent pas encore que la séparation entre eux et les supporteurs est maintenant consommée !
Lassés d’un journalisme sportif dont le niveau en Europe n’a rien à envier à celui de nos clubs, le public à choisit son camp. AVB a été massivement soutenu par les supporteurs Olympiens qui ont objectivement prit ce billet pour ce qu’il était : une attaque personnelle déguisée en article de presse, matinée de propos discriminatoires relatifs aux origines sociales et ethniques. Quand on connait l’amour des pensionnaires du Vélodrome pour la mixité et leur rejet farouche de toute forme de racisme, le comportement de La Provence et de ses journalistes s’assimile ni plus ni moins qu’a un suicide médiatique. Pour un journal qui n’était déjà pas en très bonne santé, la manoeuvre était périlleuse, pour ne pas dire totalement idiote. Dommage pour eux, mais peut-être que cela contribuera à rééquilibrer un peu les forces entre un football qui compte trop sur ce qu’on dit de lui dans la presse, et une presse qui croit qu’elle peut faire ou défaire d’un trait de plume !
Le bât blesse, mais c’est juste pour redire quelque chose à ce très bon article.
Merci de cette précision. J’ai appris quelque chose ce soir. J’étais persuadé de l’écrire correctement depuis toujours.