Projet Sans Titre de Jean-Claude Dassier
Parce qu’il sait bien qu’il ne sera pas éternellement à la tête de l’OM, et qu’il sait par ailleurs que l’écriture d’un livre sur son expérience lui permettra certainement de prolonger un peu le bénéfice que sa situation lui permet de tirer, notre bon président Dassier a décidé de consigner ses pensées dans un carnet de notes. Il écrit de la même manière qu’il parle : en exprimant à peu prés tout ce qui lui passe par la tête.
J’adore le printemps. C’est vraiment ma saison préférée, avec l’été, l’automne et puis aussi l’hiver. Il fait un temps magnifique à Marseille ; enfin à en croire la météo sur LCI, que je regarde tous les matins depuis mon appartement parisien. Cela me rend nostalgique du temps où je m’occupais personnellement de caster les présentatrices de la chaîne depuis mon bureau. Je sais, théoriquement je suis censé être un président à plein temps et donc vivre au plus prés de mon club. Mais avec le TGV, je ne suis vraiment pas loin de « la cité Phocéenne » comme ils disent. En plus, mes frais de déplacement sont remboursés par mon employeur. Et puis bon, dès que j’ai le temps, j’essaye quand même de regarder « Plus Belle la Vie ». Ca compense non ? De toute façon, quoi que je fasse, je ne serai jamais assez « marseillais » aux yeux des supporters. C’est bien simple : j’ai parfois l’impression qu’ils préfèreraient avoir Patrick Bosso à la tête de l’OM plutôt qu’un mec compétent mais pas du coin. José, je ne dis pas ça pour toi bien sûr.
Là, je dois avoir une discussion avec Lucho au sujet de son avenir au club. Il va falloir que je trouve un interprète espagnol…ou portugais. Le pauvre garçon a subi ce qu’ils appellent un « home-jacking » : c’est un peu comme un cambriolage sauf qu’en plus de te faire voler, tu te fais braquer devant femme et enfant. Un peu comme quand un de nos supporters veut acheter une place pour voir un match de Ligue des Champions. Alors heureusement, Lucho, il a tourné la tête, mais c’est dur quand même. A vrai dire, si je suis un peu réticent à l’idée de m’installer dans la région PACA, c’est d’abord parce que mon ami Jean-Claude Gaudin m’a expliqué lors d’un de nos déjeuners à l’UMP que Jean-Noël Guérini était une espèce de seigneur de guerre sanguinaire qui lui foutait les jetons, mais c’est aussi en partie à cause toutes ces histoires de cambriolages. J’en ai subi un moi-même. Les salauds, ils m’ont piqué l’ordinateur portable que j’utilisais pour jouer au Solitaire pendant les réunions avec Didier, José et Antoine. C’est con, parce que sur le disque dur j’avais gardé en souvenir le PowerPoint de 3 pages que j’ai utilisé pour présenter ma stratégie à Vincent Labrune avant qu’il ne décide de me nommer à la présidence de l’OM.
Bon, il faut bien dire que Vince, comme je l’appelle, c’est un pote. Il savait que j’étais mal barré à TF1 où ils voulaient rajeunir les équipes, et de son coté il cherchait quelqu’un pour présider le club. Il venait de virer mon prédécesseur, un certain Pape Diouf. Je n’avais jamais entendu parler d’un pape africain, mais bon, il faut dire sur les dernières années je ne regardais plus trop les infos. En tous les cas, il semblerait que le Pape en question ait traité Vince de « Dandy qui vient du néant ». Je n’ai pas trop compris où il voulait en venir. Labrune non plus, mais il m’a dit qu’il était presque sûr que ça voulait dire « Nique Ta mère » ou un truc comme ça. Quoiqu’il en soit, il cherchait un type qui ne ferait pas de vague, qui lui permettrait de rester dans l’ombre. Le deal était le suivant : je ne m’occuperais ni du sportif, ni de l’administratif, ni de la stratégie ni de la prise de décision. En gros mon job se limiterait à remplir un vide dans l’organigramme et à éteindre les éventuelles polémiques, ce qui serait du gâteau pour moi vu que la communication, il paraît que c’est mon métier. Ca m’allait très bien, et le cadre de vie avait l’air sympa. J’ai dit banco, même si ça avait quand même un peu l’air d’un emploi fictif – plus encore que mon poste précédent.
Après avoir obtenu mon accord, Vince m’a demandé quelles étaient mes prétentions salariales. L’ambiance était détendue, on s’enlevait mutuellement une épine du pied, on buvait tranquillement une bière à la terrasse d’un café. Pour déconner, je lui ai dit : « 70 kilo euros par mois, sans compter les primes ». Il a accepté. Au début, je pensais qu’il plaisantait lui aussi, mais en fait non. Il faut dire qu’il s’en fout : ce n’est pas son argent. C’est celui d’une certaine Margarita, la patronne. Elle garde l’OM pour faire plaisir à ses enfants. C’est bien connu, on ne peut rien refuser à ses enfants. Sous ses airs de ne pas y toucher, elle me donne l’impression d’avoir bossé au KGB, ou d’y bosser encore. Vince m’a demandé de ne pas aborder le sujet. Il faut dire qu’il a l’air de bien la connaître. Par superstition, il a pris l’habitude, lorsqu’ils viennent tous les deux au Stade Vélodrome, de poser sa main sur la jambe de la patronne pendant tout le match. C’est sans doute une coutume russe pour porter chance à l’équipe.
C’est vrai, je gagne 70 fois le SMIC, et je ne vois pas pourquoi je devrais m’en excuser. Les gens qui ne sont pas contents, ce sont des ayatollahs gauchistes, des fonctionnaires, ou toutes sortes de losers médiocres logiquement jaloux. S’ils veulent gagner plus d’argent, ils n’ont qu’à travailler davantage après tout ! Mais je m’en fous, je laisse couler. Toute cette aigreur, c’est terriblement français. A la limite, je pourrais me sentir mal pour mon homologue du PSG, qui gagne presque 10 fois moins que moi alors qu’il est donné en pâture à une horde de fachos mononeuronaux par un comptable neurasthénique représentant des retraités californiens.
J’ai entendu quelque part que les dentistes constituaient une corporation au sein de laquelle le taux de suicide était supérieur à la moyenne. Je crois qu’il en va de même pour les comptables ou ce genre de boulots. Antoine par exemple, il a tout le temps l’air perdu, effrayé. Je crois qu’il est en dépression. Un jour, je lui ai dit qu’il pouvait utiliser mon bureau s’il en avait besoin. Dans l’heure qui a suivi, il a fait poser une plaque à son nom sur la porte et en a fait changer la serrure. Il faudra que je pense à lui demander un double des nouvelles clés. Enfin bon, ça lui fait tellement plaisir ! Et puis il faut dire que ce bureau ne me sert pas à grand chose, je n’y suis quasiment jamais. Excepté quand des mecs de Canal viennent m’interroger avec une caméra. Ceci explique que je garde toujours un exemplaire de l’Equipe sous le coude au cas où : ça fait « passionné de sport ». Moi, je suis un pragmatique : c’est pour ça que je suis un Libéral. Je le répète souvent, comme pour m’en convaincre moi-même. Il faut dire qu’un système permettant à un neuneu comme Mbia de gagner un salaire aussi confortable que le sien laisse parfois la place au doute, même chez moi.