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Luis Rubiales plonge le football espagnol dans la crise
En refusant, contre toute attente, de démissionner de son poste et en assurant que Jennifer Hermoso avait consenti à l'embrasser, le président de la Fédération Luis Rubiales a provoqué une fronde historique des joueuses professionnelles espagnoles.
Un coup de tonnerre inattendu a frappé l'Espagne, vendredi, vers 12 h 30. Et son onde de choc est d'une magnitude sans précédent dans le football espagnol. Alors qu'il avait annoncé à certains de ses proches, mercredi soir, qu'il allait quitter ses fonctions de président de la Fédération espagnole de football (RFEF), Luis Rubiales, le regard noir et vengeur, a crié à cinq reprises devant l'assemblée générale extraordinaire de la RFEF réunie hier : « Je ne vais pas démissionner ! »
« Ce geste est si grave que ça pour que je m'en aille ? », avait-il interrogé juste avant, visiblement toujours inconscient de la gravité de son acte, un baiser sur la bouche imposé à Jennifer Hermoso lors de la remise des médailles après la victoire de l'Espage en Coupe du monde, dimanche.
Le démenti de Jennifer Hermoso
Drapé dans son orgueil, il a pris tout le monde à contre-pied et estomaqué tout un pays. Pire, il a sous-entendu que Jennifer Hermoso l'avait incité à l'embrasser. « C'est elle qui m'a porté et pris dans ses bras. Je lui ai dis : "Un petit smack ?", et elle m'a dit : "Ok" », a-t-il osé, alors que les images sont sans équivoque. « C'était un bisou spontané, mutuel et consenti », a affirmé avec force Rubiales, au cours d'une justification lunaire. « Le désir que j'avais était le même que celui que j'aurai pu avoir en donnant un bisou à une de mes filles. Et il n'y a jamais eu de rapport de domination », a-t-il ajouté.
Dans un communiqué, publié dans la soirée sur son compte X (ex-Twitter), Hermoso a catégoriquement démenti. « Nous n'avons jamais eu cette conversation et en aucun cas son bisou ne fut consenti, assure-t-elle. Je me suis senti vulnérable, pas respectée et victime d'une agression. » Elle y dénonce aussi les « pressions exercées sur (elle) et ses proches par la RFEF », « l'attitude manipulatrice » de Rubiales et réclame « LA TOLÉRANCE ZÉRO pour ce type de comportements ».
Retraite internationale de Borja Iglesias
Le président de la RFEF n'a, lui, pas hésité à se poser en victime lors de son discours d'hier. Une victime du « fléau du faux féminisme », d'une « chasse », d'une « exécution publique » et d'une « tentative d'assassinat social ». Les applaudissements nourris des membres de la Fédération à la fin de son allocution ont accentué le malaise général et un peu plus mis au jour la fracture entre les « barons » du foot espagnol et la société civile.
Le ton provocateur de Rubiales a sidéré en Espagne. « J'ai honte pour lui », a immédiatement tweeté Iker Casillas, l'ancien capitaine de la Roja. L'international du Betis Séville Borja Iglesias (30 ans, 2 sélections) a lui décidé de renoncer à la sélection espagnole tant que Rubiales resterait en place.
Les championnes du monde sont aussi sorties de leur silence, en postant sur leurs réseaux sociaux un « Ça suffit » unanime et apportant leur soutien inconditionnel à Hermoso. Dans un communiqué émis par leur syndicat FUTPRO, les 23 championnes du monde et 58 autres joueuses professionnelles sont allées plus loin. Elles réclament « de réels changements » au sein de la Fédération et ont surtout annoncé qu'elles ne « joueraient plus pour la sélection tant que les dirigeants actuels seront en place ». Une prise de position historique.
Bientôt suspendu de ses fonctions ?
Face à l'inflexibilité de Rubiales, une vague de démissions s'est également produite au sein du comité directeur de la RFEF. Et la quasi-totalité des clubs de football professionnels espagnols comme les principaux sponsors de la Fédération (Iberia, Renfe, Iberdrola...) se sont fendus d'un communiqué condamnant publiquement son attitude.
Le gouvernement espagnol a, lui, immédiatement répliqué et est décidé à user de tous les outils en sa possession pour faire tomber judiciairement l'actuel patron du football espagnol. Dans la foulée du discours de Rubiales, le parquet a déposé une plainte pour « agression sexuelle » auprès de l'Audiencia Nacional, le tribunal espagnol qui juge les crimes les plus graves à l'échelle nationale.
Victor Francos, le secrétaire d'État aux Sports et président du Conseil Supérieur du Sport (CSD) a aussi indiqué que « le CSD a déposé une plainte pour faute très grave auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS).». « On veut assurer aux citoyens que même si M. Rubiales n'a pas démissionné, le gouvernement va le suspendre de ses fonctions », a assuré Francos. Rubiales pourrait l'être dès mercredi prochain. En Espagne, l'affaire Rubiales est en tout cas désormais considérée comme le MeToo du football espagnol.