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Mondial 2023
Coupe du monde féminine : les footballeuses toujours sur la touche
Après des mois de bisbilles sur sa retransmission télévisée, la compétition s’ouvre ce jeudi, en Nouvelle-Zélande et en Australie, sans fracas et sans réel engouement, conséquence d’une professionnalisation inachevée et d’un manque de considération de la pratique féminine du foot.
par Léna Coulon
publié le 19 juillet 2023 à 20h37
Pas un drapeau, ni une mascotte ou un maillot dans les rayons de grandes surfaces. Pas de folie collective, d’impatience contenue. Vu de France, difficile de croire que l’un des plus grands événements sportifs internationaux s’ouvre ce jeudi 20 juillet. Et pourtant, à 9 heures (heure de Paris) l’équipe norvégienne et leurs adversaires de Nouvelle-Zélande, pays hôte avec l’Australie, frappent le premier ballon de la Coupe du monde féminine de football, lancée pour un mois.
Certes, le contexte pèse : les matchs, joués aux antipodes, seront retransmis avec le décalage horaire en matinée et en milieu de journée en Europe. Mais une telle évaporation des ardeurs surprend après le succès de l’édition française, remportée en 2019 par les coéquipières américaines de la star Megan Rapinoe. Suivi par 1,12 milliard de téléspectateurs (30 % de plus qu’en 2015 au Canada), le Mondial hexagonal avait rapporté gros aux chaînes (13 millions de recettes publicitaires pour TF1), en hissant cinq matchs des Bleues parmi les six meilleures audiences annuelles de la 1. Ce sont pourtant les bisbilles sur la diffusion du tournoi qui ont d’abord compromis son exposition.
Des diffuseurs frileux
Pendant des mois, le bras de fer entre la Fifa et les chaînes de télé des cinq plus grandes nations de foot européennes – la France, l’Angleterre, l’Espagne, l’Italie et l’Allemagne – a agité la menace d’un écran noir, avant un dénouement salutaire à la mi-juin (pour la France, un duo France Télévisions-M6), à un peu plus d’un mois du coup d’envoi. D’un côté, l’instance internationale arguait ne pas vouloir brader la compétition, puisque «les femmes le méritent», dixit son patron Gianni Infantino, qui a pourtant réalisé le mauvais coup de vendre séparément les compétitions masculines et féminines. De l’autre, aucun diffuseur des cinq pays ne proposait à l’achat plus de 6,5 millions d’euros (la Fifa exigeait 10 millions), quand TF1 avait, par exemple, déboursé 70 millions d’euros pour le Mondial masculin 2022, sans être rentable.
En sous-main, subsiste le soupçon que le foot joué par les femmes n’attirera pas les foules. Mais la demande est là. Dans son étude sur les pratiques audiovisuelles sportives parue lundi 17 juillet, l’Arcom affirme que «plus de 8 [Français interrogés] sur 10 pointent une insuffisance des retransmissions de compétitions féminines», qu’ils jugent «aussi intéressant [es] à regarder que le sport masculin» et que «64 % indiquent qu’ils en consommeraient davantage si l’offre proposée en télévision était plus importante», un taux qui atteint «81 % chez les fans de contenus sportifs». En tête des sports suivis : le foot. En Australie, quasi 1,4 million de tickets ont été vendus, au-delà du record de 1,35 million de places écoulées au Canada en 2015. En revanche, pour la Nouvelle-Zélande, la vente patine, au point de pousser la Fifa à offrir 20 000 sièges pour remplir les stades.
Les temps ont changé depuis les premières éditions officieuses, de l’inaugural tournoi de 1970 en Italie rassemblant huit équipes (la France s’était finalement rétractée) aux «Mundialito» de 1980-1981, au Japon puis en Italie. Tous boudés par la Fifa qui, réticente, concède le premier Mondial sous son égide en 1991, en Chine. Mais si la bataille de la reconnaissance officielle est gagnée, celle de la professionnalisation fait rage. Un chiffre effarant : pour participer au Mondial 2023, 66 % des joueuses ont dû poser un congé sans solde ou des vacances, selon une étude de la Fifpro, le syndicat mondial des footballeuses, publiée fin juin. Seules 40 % d’entre elles ont un statut de joueuse professionnelle, 16 % jouent en semi-pro, 35 % en amateur et 9 % se disent «incertaines» de leur contrat.
Boycotts ou actions en justice
En France, les sections féminines des clubs, dont celle de l’Olympique lyonnais couronnée huit fois en Ligue des champions, ne dépendent pas de la Ligue de football professionnel (LFP). Sans statut équivalent à celui des hommes, les joueuses font souvent office de variable d’ajustement. Frappés par la chute des revenus de sponsoring et de billetterie due au Covid-19, nombre de clubs ont préféré sabrer dans les dépenses qui leur étaient destinées, au profit des branches masculines. Un coup de massue après l’espoir suscité par le Mondial 2019. La donne devrait toutefois changer en 2024, avec la création de la première ligue professionnelle féminine française.
Un statut pro est pourtant un préalable pour négocier ses conditions de travail et une rémunération fiable. Et par voie de conséquence, assurer une préparation sérieuse à même d’assurer la performance sur le terrain, cruciale pour la popularité du Mondial. Cette année, la Fifa a franchi un cap : le «prize money» (la dotation partagée entre équipes qualifiées) a été relevé à 110 millions d’euros, contre 30 millions en 2019. Quatre fois moins que la somme allouée aux hommes en 2022, mais un gain bienvenu lorsque 29 % des joueuses déclarent à la Fifpro n’avoir reçu aucune rémunération de leur fédération pour les matchs de qualification. Le résultat d’une mobilisation inédite de 150 joueuses de 25 nations qui avaient mis un coup de pression, par courrier, à Gianni Infantino en octobre.
C’est que, en coulisse ou avec éclat, la cause avance grâce aux luttes des joueuses. Il y a eu la grève des Danoises à l’automne 2017, refusant de disputer un match comptant pourtant pour les éliminatoires du Mondial 2019, le boycott de cette même compétition par la Ballon d’or norvégienne Ada Hegerberg pour protester contre la pauvreté des équipements et le manque d’investissements, ou encore l’action devant les tribunaux de l’équipe américaine pour exiger (et arracher en 2022) une paie égale à leurs homologues masculins.
Une égalité salariale conquise par leurs comparses de Finlande, des Pays-Bas, de Norvège, d’Angleterre, d’Irlande, du Brésil, du Canada, d’Australie et de Nouvelle-Zélande. Ailleurs, le combat reste vif. Début juillet, les joueuses d’Afrique du Sud ont boycotté un match de préparation, courroucées par l’absence de garantie, dans leur contrat, des primes promises par la Fifa. Mi-juin, les Jamaïcaines, adversaires de la France pour son entrée dimanche, ont dézingué les promesses non tenues de leur fédération sur leurs conditions de travail. Pour toutes, ce Mondial est autant un des sommets de leur carrière qu’une étape dans leur lutte.