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Etats-Unis: le foot féminin bouleversé par les violences sexuelles «systémiques» de ses coachs
Une nouvelle enquête met en lumière les abus exercés par des entraîneurs pendant des années sur de nombreuses joueuses américaines, ainsi que l’inaction des instances dirigeantes du sport malgré les multiples alertes.
par Romain Métairie
publié le 5 octobre 2022 à 7h56
A part ça, elles ont obtenu l’égalité salariale… Une enquête glaçante, menée pendant un an par l’ancienne procureure générale des Etats-Unis, Sally Yates, et le cabinet d’avocats King & Spalding, décrit en détail des faits de violences sexuelles commis par des entraîneurs à l’encontre de joueuses au sein de la Ligue féminine nord-américaine (NWSL) et même au-delà.
Rendu public ce lundi aux Etats-Unis, le rapport, long de 172 pages et comprenant des entretiens avec plus de 200 joueuses de la NWSL, liste «des commentaires à connotation sexuelle, des avances, des attouchements non désirés et des rapports sexuels forcés». Ces comportements «sont devenus systémiques, englobant de multiples équipes, entraîneurs et victimes», écrit notamment Sally Yates. L’ex-procureure note même que «les abus dépassent le cadre de la NWSL et semblent enracinés dans les structures de jeunes, où s’est installée une culture de la tolérance face aux violences verbales. […] Nous avons été confrontés à de multiples rapports d’abus sexuels de jeunes joueuses».
Les investigations ont été diligentées en octobre 2021 par Cindy Parlow Cone, présidente de la fédération (USSF), dans le sillage d’accusations d’agressions sexuelles portées par des joueuses à l’endroit de plusieurs entraîneurs de la ligue, et révélées à l’époque par le Washington Post et The Athletic. Certaines d’entre elles apparaissent dans le rapport.
«Cadre de travail sexualisé»
Le document se concentre notamment sur trois entraîneurs : Paul Riley, Rory Dames et Christy Holly. Le premier cité, ex-entraîneur du club pro de North Carolina Courage, faisait partie des techniciens mentionnés dans les affaires de 2021. Il a été licencié des Courage à la suite d’accusations de violences sexuelles émises par des joueuses de son ancien club, les Portland Thorns. Le rapport ajoute que Riley a également «tiré profit de sa position» en tant qu’entraîneur pour forcer au moins trois joueuses à avoir des relations sexuelles avec lui lorsqu’il officiait dans une autre ligue féminine.
Rory Dames exerçait, lui, aux Chicago Red Stars jusqu’à sa démission en novembre 2021, coupable d’obscénités et d’agressions verbales. En parallèle et durant vingt-quatre ans, il a eu sous sa coupe des équipes de jeunes. Il a profité de sa position pour construire «un cadre de travail sexualisé», explique le rapport, en invitant régulièrement les joueuses à s’exprimer sur leur vie intime. Un environnement qui lui a permis d’avoir plusieurs relations sexuelles inappropriées avec certaines d’entre elles.
Les faits reprochés à Christy Holly, eux, n’avaient jamais été rendus publics. Cet ex-coach du Sky Blue à Harrison (New Jersey), engagé pendant une demi-saison en 2016, a démissionné après avoir fait l’objet d’une plainte pour relation non consentie et abus verbaux. Ce qui ne l’a pas empêché d’être embauché en 2021 par le Racing Louisville, qui l’a limogé pour des faits d’attouchements sur une footballeuse. Selon le rapport, le technicien avait invité une de ses joueuses à son domicile prétextant analyser avec elle des séquences vidéo d’un de ses matchs. Au lieu de cela, il a diffusé un film porno en se masturbant sous ses yeux. Une autre fois, au cours d’une analyse vidéo avec la même joueuse, il a procédé à des attouchements non consentis lors de chaque action où elle avait fait une erreur.
Pour ces trois cas, le rapport montre qu’à chaque fois, les responsables, propriétaires et autres dirigeants ont été informés à plusieurs reprises de ces faits, mais n’ont quasiment rien fait pour y remédier. Il est ainsi fait état d’allégations mettant en cause Riley pour des «conduites sexuelles» inappropriées chaque année de 2015 à 2021. En 2014, une enquête anonyme auprès des joueuses avait démontré que Riley, alors entraîneur des Thorns, tenait des propos inappropriés et sexistes. Les conclusions de l’enquête ont été vues par les dirigeants de la ligue et le propriétaire des Thorns, Merritt Paulson.
Inaction des instances dirigeantes
Après enquête interne, Riley a bien été licencié en 2015 par la franchise. Sauf que le problème a été évacué, le club invoquant publiquement la décision de ne pas prolonger son contrat. Sans le sanctionner, donc. Lorsqu’il a été embauché ailleurs quelques mois plus tard, les Thorns lui ont même souhaité bonne chance pour son nouveau poste, sans prévenir sa nouvelle équipe des plaintes et éléments de l’enquête le concernant.
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Au moment du limogeage de Riley en 2021, deux des stars de la «Team USA», Megan Rapinoe et Alex Morgan, championnes du monde en 2015 et 2019, s’étaient déjà empressées de dénoncer l’inaction des instances dirigeantes du foot féminin américain. Les clubs, les responsables de la ligue et de la fédération «n’ont pas réagi de manière appropriée à plusieurs reprises, lorsqu’ils ont été confrontés à des plaintes émises par les joueuses, preuves à l’appui», abonde le rapport paru ce lundi. Et «ils n’ont pas mis en place des mesures nécessaires pour prévenir et traiter ces abus, même si certains dirigeants ont reconnu en privé la nécessité» d’agir.
Pour Rory Dames, les joueuses ont commencé à faire remonter des témoignages à partir de 2014. Elles ont évoqué son cas auprès de Sunil Gulati, alors président de l’USFF, et Jill Ellis, illustre sélectionneuse de l’équipe nationale, en leur disant que Dames avait créé un environnement hostile avec les Chicago Red Stars. En 2018, il a fait l’objet d’une enquête après qu’une autre joueuse de premier plan s’est plainte, mais n’a jamais été sanctionné.
«Ceux qui, à la NWSL et à l’USSF, étaient en mesure de rectifier le tir sont restés silencieux, accablent les enquêteurs. Et personne au sein des clubs, de la ligue ou de la fédération n’a exigé mieux des entraîneurs.» «Il est maintenant temps que les instances qui ont laissé tomber les joueuses par le passé les écoutent et mettent en œuvre la réforme significative qu’elles méritent», exhorte le rapport.
«Un lieu sûr et respectueux»
Dans une première réaction, la Ligue féminine nord-américaine s’est engagée à mener des réformes «systémiques», et dit «continuer à admirer le courage» des joueuses ayant évoqué leurs histoires personnelles. A l’origine de l’enquête, dont elle qualifie les conclusions de «déchirantes et profondément troublantes», la présidente de la Fédération américaine de football, Cindy Parlow Cone, a assuré que son instance s’engagerait «pleinement à faire tout ce qui est en son pouvoir pour garantir que toutes les joueuses – à tous les niveaux – disposent d’un lieu sûr et respectueux pour apprendre, grandir et être compétitives».
Alors que la fédération française est critiquée pour son inaction face aux accusations d’abus sexuels, l’instance dirigeante aux Etats-Unis a annoncé plusieurs mesures : l’embauche à plein temps d’un coordinateur du SafeSport, organisation indépendante spécialement mandatée pour s’attaquer au problème des violences (verbale, physique, psychologique et sexuelle) dans le sport. Figurent aussi la création d’une cellule de rapport d’incidents et de gestion de cas en ligne, ainsi que la mise en place de vérification d’antécédents des entraîneurs, arbitres et autres employés.
