Höjbjerg, futur joueur de l'OM, sur ses racines françaises : « J'avais passé tout l'été avec le maillot de Zidane sur le dos »
Né d'une mère franco-danoise, Pierre-Emile Höjbjerg a gardé de forts liens avec la France et se dit « fier » de sa double culture. En 2022, le milieu de Tottenham, qui s'apprête à signer à l'OM, nous avait accordé une longue interview où il revenait sur cette riche histoire personnelle.
Anglais, danois, français. Ce jour-là, Pierre-Emile Höjbjerg jonglait avec les trois langues aussi facilement qu'avec des ballons, pour répondre aux sollicitations médiatiques dans la salle de presse aux allures de coffre-fort du centre d'entraînement ultramoderne de Tottenham. L'international danois s'était livré sur son histoire personnelle et son lien avec la France. C'était en 2022, peu avant le France-Danemark disputé lors de la Coupe du monde au Qatar. Alors que le milieu de Tottenham s'apprête à rejoindre l'OM, nous republions l'interview qu'il nous avait accordée.
« Vous êtes né au Danemark, vous avez grandi à Copenhague, vous êtes danois, mais votre mère a aussi la double nationalité. Vous sentez-vous un peu français ?
Dans tous les vestiaires où je suis passé, j'ai trouvé des joueurs pour parler la langue. Soit avec des Français soit avec des francophones. Au Bayern, je discutais avec (Franck) Ribéry, Dante, (Daniel) Van Buyten, à Schalke, j'ai pu le parler avec (Eric Maxim) Choupo-Moting ou (Younès) Belhanda, puis à Southampton, il y avait Sofiane Boufal et (Moussa) Djenepo, et à Tottenham, je parle avec Hugo (Lloris), Clément (Lenglet), Lucas Moura. Je ne sais pas si je suis un peu français, mais je parle la langue depuis toujours et j'ai de la famille en France.
D'où vient-elle ?
Mes grands-parents du côté de ma mère ont vécu au Luxembourg, ma grand-mère était française. Ma mère a ensuite fait ses études à Paris, où elle a rencontré mon père, un Danois. Ils sont venus vivre au Danemark. Ma mère est restée très attachée à la France et elle aime encore venir en week-end à Paris. Et mes grands-parents avaient une maison de campagne en Bourgogne, dans une petite ville qui s'appelle Tournus, à côté de Mâcon. C'est à cette époque que ma grand-mère m'a donné un surnom qui sonne un peu français, "Pilou", que mes parents ont repris ensuite.
Enfant, parliez-vous français à la maison ?
Oui, avec mes deux parents, même mon père le parlait parfaitement. Et quand on était à l'extérieur et que je voulais quelque chose ou que je ne voulais pas une autre, pour communiquer plus discrètement, je passais le message en français à ma mère. Quand je posais des problèmes, elle m'avertissait : "Dernière chance !" (Il sourit).
Avez-vous des traits de caractère français ?
J'ai toujours apprécié la nourriture française. Encore aujourd'hui, mon plat préféré, c'est un bon poulet de Bresse, cuit au four, avec des frites. J'aime aussi le vin français, avec modération bien sûr (il sourit). Un très bon ami de mon grand-père, Gabriel, en produit encore. C'est du Rully. Mon frère continue d'aller en Bourgogne chaque année et à chaque fois qu'il rentre je lui demande : "Alors, t'as ramené des caisses ?" Pour mon anniversaire début août, il m'en a encore apporté.
Vous veniez régulièrement en France ?
Oui, chaque été, à Tournus avec papa, maman, mon grand frère et ma petite soeur. Il y avait aussi mon oncle, qui habitait à Paris, et mes cousins et cousines à Rouen. Je me rappelle du baptême de ma cousine là-bas, on avait passé quelques jours sur place. On avait adoré parce qu'il y avait des vrais croissants, ils étaient énormes, c'était incroyable pour nous (il sourit). L'été, j'ai des souvenirs de chez mes grands-parents, je prenais une boisson dans le frigo, mon ballon, la bicyclette de mon oncle, et je partais sur les routes de campagne jusqu'au city stade du village. Mes grands-parents n'aimaient pas trop me voir partir en plein après-midi parce qu'il faisait très chaud. Alors, je me mettais à l'abri sous un arbre et j'attendais les enfants du village qui étaient devenus mes copains et on jouait au foot pendant des heures.
Vous regardiez davantage l'équipe de France ou le Danemark ?
J'aimais les deux pays, forcément, mais à cette époque, les résultats du Danemark étaient un peu moins bons, alors je regardais beaucoup l'équipe de France qui était déjà l'une des meilleures du monde. Chez mes grands-parents, on captait TF1 et je regardais les matches. Mon premier grand souvenir, c'était le huitième de finale contre l'Espagne (de la Coupe du monde 2006). Zidane avait annoncé qu'il terminait sa carrière sur le Mondial et les médias espagnols disaient qu'il fallait l'envoyer à la retraite. Raté, les Français avaient fait un match super (victoire 3-1 des Bleus) ! Et le quart de finale contre le Brésil, Zidane avait été incroyable aussi (1-0).
Quels étaient vos modèles à cette époque ?
Des grands joueurs comme Zidane, Luis Figo ou Ronaldo, le Brésilien. En plus, les trois avaient joué ensemble au Real Madrid, quelle équipe c'était (entre 2003 et 2005) ! Ce que j'aimais chez eux, c'est qu'ils avaient chacun leurs gestes techniques. Zidane, c'était la roulette, Figo, les passements de jambe, Ronaldo, "l'elastico". J'essayais de les imiter pendant des heures.
Quand il était sélectionneur des Espoirs (de juin 2013 à mai 2014), Willy Sagnol avait essayé de vous convaincre de jouer pour la France. Aviez-vous hésité ?
Par l'intermédiaire de personnes au Bayern, il était entré en contact avec moi. Il m'a demandé ce que je pensais de jouer un jour pour la France. J'ai fait toute mon éducation au Danemark, j'ai toujours joué pour les équipes nationales danoises, je lui ai répondu que j'étais heureux comme ça. Cela ne veut pas dire que je ne suis pas fier d'avoir un côté français, mais j'ai choisi le Danemark avec mon coeur.
Aviez-vous discuté de cette approche avec votre famille ?
Mon choix était déjà fait, mais c'était drôle de raconter à mes grands-parents que j'aurais pu jouer pour la France. On s'est souvenu de la Coupe du monde 2006 que j'avais vu en intégralité chez eux, en Bourgogne. J'avais passé tout l'été là-bas avec le maillot de Zidane sur le dos, que j'ai encore chez moi aujourd'hui d'ailleurs. Mes grands-parents m'avaient offert l'album Panini, je collectionnais les vignettes pour connaître les joueurs. Il y avait Sagnol en équipe de France, qui allait m'appeler quelques années plus tard pour me proposer de jouer pour les Espoirs. Incroyable.
Vous avez connu un entraîneur français, Claude Puel, à Southampton. Aviez-vous une connexion particulière avec lui ?
On parlait français, malheureusement cela ne s'était pas passé comme on l'aurait espéré parce qu'il était parti au bout d'un an (Puel a été limogé en juin 2017). Je me souviens d'un entraîneur qui aimait le jeu très vertical et plus les joueurs que le système. J'avais déjà eu des entraîneurs français parce que pendant les vacances d'été j'allais parfois faire des stages de foot en France. Mon plus beau souvenir, c'était celui à Dijon, j'ai encore une photo (il la montre sur son téléphone). C'est peut-être les deux meilleures semaines que j'ai passées en France (en 2008). J'avais 13 ans, mais je jouais avec le groupe des 14-16 ans. Les entraîneurs étaient plus durs que ceux que j'avais connus au Danemark, plus difficiles à convaincre que tu étais bon.
Mais j'aimais bien l'ambiance, ils avaient le sourire, ils nous chambraient un petit peu. Je me rappelle d'un jour où un entraîneur qui m'aimait bien m'avait demandé de venir avec lui pour montrer un exercice. C'était un un contre un où tu devais passer entre deux poteaux une fois le joueur éliminé. Je m'étais approché et il m'avait mis un tacle terrible. Je me dis : OK, pas de problème. Je m'étais relevé et je lui avais demandé de le refaire. J'étais arrivé et je l'avais éliminé "tac-tac", "l'elastico" de Ronaldo. Tous les autres enfants avaient hurlé, rigolé. Il m'avait dit : "Pas de problème, on se voit en fin de semaine !" Tous les vendredis, il y avait un match all-star, les meilleurs jeunes du stage contre les entraîneurs (il sourit).
Avez-vous pensé, un jour, à jouer en Ligue 1 ?
Oui, c'est sûr. Après cet été là, on s'était dit avec mes parents que ce serait bien de voir comment cela se passait dans un club professionnel à l'international. J'étais donc parti faire un stage d'une semaine au FC Metz quand j'étais un peu plus âgé. Je n'avais pas trop aimé, c'était beaucoup plus sérieux. Au bout de deux jours, un des entraîneurs était venu me voir pour me demander : "Crois-tu que tu es assez bon pour jouer à Metz ?" Je ne savais pas quoi répondre, je me suis presque excusé en lui disant que j'étais là pour apprendre, faire un stage de foot pas trop loin de chez mes grands-parents. Il m'avait dit : "Je ne te donne pas la réponse, mais tu la connais !" Je n'ai jamais compris pourquoi ce monsieur avait voulu m'écraser comme cela. J'avais appelé mes parents, j'étais triste, je voulais rentrer au Danemark. Comme le stage était payé d'avance, ce n'était pas possible. Mais cette expérience m'a servi à comprendre que le foot pouvait être un milieu très dur.
Un match contre la France est-il particulier pour vous ?
Bien sûr, c'est mon derby à moi ! Quand j'ai joué avec le Danemark au Stade de France (en Ligue des nations en juin 2022, 2-1), j'ai réussi à avoir dix ou douze places je crois, il y avait toute la famille française, cousin, cousine, tante, etc... pour venir encourager un Danois un peu français (il sourit). Je suis fier d'avoir ce côté français, de connaître un peu cette culture, cette langue. Au Danemark, les gens me disaient : "Mais tu es Français, toi ? " Forcément, avec mon prénom, ça ne ressemblait pas à ceux typiques du pays. Et quand je venais en France, avec mon accent, on me demandait d'où je venais, je n'étais pas vraiment français. Moi, j'ai toujours été très fier d'avoir ces deux cultures. En fait, je suis juste Pierre-Emile. »
Une famille entre France et Danemark
L'histoire de la famille Höjbjerg est à cheval entre la France, le Luxembourg et le Danemark. Et cela depuis trois générations. La mère du milieu de Tottenham, Anne-Sophie Helger, revient aux sources :
« Ma mère est née à Drancy, elle a grandi en France, avant de rencontrer mon père, un Danois, et de venir vivre au Danemark dans les années 1960. Elle a appris la langue, la culture locale. Et quand j'avais 9 ou 10 ans, la famille a déménagé au Luxembourg. J'y ai effectué toute ma scolarité à l'école européenne avant de partir à Paris pour mes études supérieures. C'est là-bas que j'ai rencontré le papa de Pierre-Emile, un Danois, un peu comme ma mère avait rencontré mon père. Et je suis revenue au Danemark. Comme mes parents avaient tenu à le faire pour mon frère et moi, c'était important que mes enfants parlent le français parce que cette langue fait partie de leurs racines et qu'elle leur permettait d'échanger avec leurs grands-parents. C'était une façon d'entretenir des liens quotidiens avec eux. »
Illustratrice basée à Copenhague, Anne-Sophie Helger a encore de la famille en France, à qui elle rend visite quand elle le peut, et il lui arrive même de venir en week-end à Paris, une ville qu'elle aime, centrale dans l'histoire des Höjbjerg.