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TÉMOIGNAGES; Ounahi, "Azz" de coeur; Rejeté par Strasbourg, relancé dans l'anonymat du National, la révélation de la dernière coupe du monde n'a jamais renoncé et a surmonté bien des épreuves délicates avant de rejoindre l'OM, cet hiver. Récit
Ses yeux rieurs et pétillants trahissent son bonheur. Azzedine Ounahi croque la vie à pleines dents. Arrivé à l'OM il y a dix jours en provenance d'Angers, le milieu de terrain acquis pour 8 millions d'euros (+2 de bonus) "profite de chaque instant". Avant de préciser : "Demain, tu peux être dans un grand club ou on peut ne plus parler de toi". La seconde partie de cette phrase pourrait paraître anodine, presque banale. Dans la bouche de l'enfant de Casablanca, elle résonne d'une autre manière. Il n'oublie rien de son parcours tortueux pour en arriver là, rien des doutes qui l'ont torturé ni des coups reçus lorsqu'il quittait chaque match de National une cheville rougie par un tacle assassin ou un genou gonflé par un choc violent. Ses adversaires d'alors le ciblaient. "Les entraîneurs savaient très bien qu'il fallait me casser (sic), être toujours derrière moi, ne pas me laisser prendre le ballon tranquillement", avouait-il dans Ouest France.
Car "Azz" est né avec un don. Sa technique balle au pied a toujours été un délice, comme si de bonnes fées s'étaient penchées sur son berceau. Son talent se révèle précoce, lui permet d'intégrer avant l'heure l'Académie Mohammed VI, le centre de formation du football marocain. "Il a fait deux ans à l'annexe de l'Académie", précise Nasser Larguet. Alors directeur technique, l'ancien entraîneur de l'OM recrute Ounahi en 2011. "Il avait 11 ans ; d'habitude, on engage des garçons de 13 ans, retrace Larguet. Mais son talent m'avait marqué. J'avais été séduit par ses qualités et sa finesse techniques, sa capacité d'élimination et à jouer collectivement, mais aussi par son tempérament.C'est un pur produit de la formation marocaine."
Au sein de laquelle il gravit toutes les marches. Sans pour autant éveiller l'attention des sélectionneurs des équipes de jeunes. "On savait que, physiquement, il allait mûrir tardivement", avoue Larguet. Ounahi promène son allure fluette et ses jambes de grive sans jamais perdre de vue sa quête ultime : embrasser une carrière professionnelle. Strasbourg sonne à la porte, en 2018. "Son agent m'appelle pour me demander si c'était un bon club pour lui, rembobine Larguet, ex-directeur de la pouponnière alsacienne. J'ai répondu positivement car le Racing distille une bonne formation et une bonne post-formation. 'Azz' n'aura jamais sa chance. L'Académie lui a donné quelques repères. Mais quand on est expatrié, il faut s'adapter à plusieurs éléments, notamment aux exigences du très haut niveau."
"Un garçon perdu et triste"
L'aventure strasbourgeoise s'étirera pendant deux ans (2018-20). Mais Ounahi, déraciné pour sa première expérience loin des siens, verra son horizon se cantonner à l'équipe réserve. Avant que la crise sanitaire n'enfouisse ses rêves et le laisse sur le carreau. Sans club. Son agent d'alors se démène. Il approche Avranches, notamment, en National. "Je ne connaissais pas le joueur et son agent nous a un peu harcelés pour qu'il continue son apprentissage", sourit Frédéric Reculeau, l'ancien entraîneur.
Il récupère un joueur mal dans sa tête et sa peau, anéanti par l'échec strasbourgeois. "Un garçon perdu, triste, pas épanoui qui se demandait ce qu'il faisait là, dans une ville qu'il ne connaissait pas, énumère Reculeau. Un garçon très renfermé, fragile aussi. Il fallait lui redonner de l'amour. On a créé du lien, donné du sens à son arrivée. Son agent savait qu'il pouvait retrouver le goût à quelque chose chez nous."
"Rejoindre Avranches a été une très bonne idée, approuve Larguet. En restant dans un club pro, il aurait joué en National 2 ou 3. Là, il s'est retrouvé dans un championnat d'adultes pour parfaire sa post-formation." "Il lui a fallu deux mois d'adaptation. Avranches est une petite commune perdue au fin fond de la Normandie", précise Philippe Leclerc, alors recruteur pour Angers.
Reculeau finit par sortir son "Azz" de sa Manche et, comme par magie, celui-ci retrouve son piquant. "Il voulait juste jouer pour faire le deuil de Strasbourg, estime Reculeau. Avoir un tel joueur, c'est royal. En plus d'avaler les kilomètres, il avait une grosse qualité technique et une vraie capacité d'élimination. Je voulais, aussi, qu'il se confronte à des choses qu'il ne maîtrisait pas, je l'ai donc mis sur le côté gauche. Il a travaillé sa vision du jeu. Il a pris beaucoup de coups, aussi. Il ne deviendra jamais un monstre physique, mais il est capable de résister aux charges. Au final, il n'a pas fait une grosse saison."
Mais le milieu qui a Andrés Iniesta pour modèle est lancé. Et, surtout, il se rappelle aux bons souvenirs de recruteurs qui suivent sa progression depuis des années. Philippe Leclerc est de ceux-là. Le scout angevin l'a vu à l'oeuvre du temps de l'Académie Mohammed VI mais aussi à Strasbourg. Il ira le superviser à Avranches "cinq, six fois". Suffisant pour être séduit par "sa capacité à jouer vers l'avant et à diversifier son jeu, sa vitesse gestuelle au-dessus de la moyenne malgré un morphotype assez atypique, sa robustesse. Il n'est jamais blessé".
"Il a sauté toutes les étapes"
Le dossier sera formalisé "en décembre 2020 - janvier 2021", raconte-t-il encore. "On avait déjà engagé un Flavien Tait, mais il a fallu convaincre Angers, club de Ligue 1, de miser sur un joueur de National. D'autant qu'il lui manquait le capital confiance", indique Leclerc. Les négociations sont bouclées pour... 75 000 euros. Ounahi et le SCO s'entendent autour d'un projet bien défini : "Lui faire signer un contrat de quatre ans et le prêter en Ligue 2 dès la première année, poursuit Leclerc. J'ai fait un montage vidéo à Stéphane Moulin. Il a voulu le garder. Azzedine a sauté toutes les étapes."
Il ne cessera de les griller, par la suite. Il s'installe chez les Lions de l'Atlas et devient un chouchou des supporters marocains lors du barrage retour de qualification pour le Mondial 2022. Dans sa ville natale, il signe un doublé contre la RD Congo (4-1) qui propulse les siens au Qatar où, sous la houlette de Walid Regragui, il étourdira la planète et un certain Luis Enrique, un soir où le Maroc élimine l'Espagne.
Nouveau coup d'accélérateur, son avenir va s'écrire loin d'Angers. À l'OM, donc, malgré les avances d'écuries anglaises et italiennes. "Son transfert m'a un peu surpris, lâche Larguet. Je pensais qu'il allait peut-être continuer au SCO ou dans un autre club pour confirmer sa coupe du monde. Mais son caractère et sa personnalité lui permettent de se sentir capable de relever ce défi, et de se mêler aux Rongier, Guendouzi et autres Vérétout."
Ounahi a démarré son aventure olympienne pied au plancher avec un but à Nantes dès ses premières minutes. "Attention à la pression et au moindre petit dérapage, prévient Leclerc. Il doit se rendre compte que la rigueur d'un club comme l'OM n'est pas celle du SCO. Il a du caractère, il va aller chercher les choses, comme il l'a fait à chaque étape de son parcours." Les yeux d'Ounahi n'ont sans doute pas fini de pétiller...
La Provence