Information
L'APÉRO AVEC... "J'ai pris toutes mes décisions pour être en contradiction avec mon père"; Mercredi, à quelques heures du match contre Leverkusen, Jean-Pierre Papin nous a reçus sur une terrasse du 7e étage du Sofitel, face aux Vieux-Port. L'occasion de parler de sa relation particulière avec Marseille mais pas seulement...
Vous arrivez à Marseille à 23 ans en provenance de Belgique, quel est le premier souvenir ou la première image de la ville que vous gardez ?
En fait, la première image qui me revient, c'est celle de la Bonne Mère. En entendre parler, c'est une chose, mais la découvrir ça en est une autre. Cette basilique qui surplombe la ville de part et d'autre, c'est exceptionnel. Après, on change encore d'avis le jour où on y va et qu'on découvre la ville de là-haut. C'est là qu'on s'aperçoit que Marseille, c'est très très grand.
Le moins que l'on puisse dire, c'est que ça n'a pas été le coup de foudre immédiat entre vous et les Marseillais...
Je pense que Marseille est une ville de football. Une ville où les supporters sont des fanatiques, mais aussi des connaisseurs. Quand on regarde l'histoire du club, toutes les différentes générations ont toujours eu des repères par rapport à un ou deux joueurs. Que ce soit Anderson, Skoblar ou Magnusson... Ou moi et Chris Waddle après... La seule chose qu'on doit savoir quand on vit à Marseille, c'est qu'on est dans un pays de connaisseurs et ce qu'ils aiment, c'est que tu mouilles ton maillot. Après il faut aussi marquer des buts, mais ça, j'ai su le faire aussi après (rires).
Comment vous la définissez cette relation avec les Marseillais?
(Il réfléchit) C'est difficile de la définir. Je pense que c'est du respect, tout simplement. Voire même, de temps en temps pour certains, une petite histoire d'amour en plus.
Vous êtes devenu une légende du club, mais aussi de la ville. Vous vous sentez Marseillais aujourd'hui, vous le natif de Boulogne-sur-Mer ?
Oui. On ne fait pas six ans ici par hasard. Ça ne s'invente pas, il faut arriver dans la ville, s'y faire aimer... Et après il faut essayer de laisser une trace. Beaucoup sont partis sans en avoir laissé. Moi, j'ai cette chance d'avoir laissé une des plus belles traces que l'on puisse avoir. Mais Marseille, c'est tout un état d'esprit.
Au vu de votre notoriété, est-ce que la politique est un domaine qui a pu vous intéresser à un moment donné ?
Non, ce n'est pas ma mentalité. Je respecte tout ce qui se fait puisque c'est une partie de notre vie qui se joue dans la politique, mais ça ne m'intéresse pas.
Il y a un lieu en particulier que vous aimez ici ? Vous avez le droit de répondre le stade Vélodrome...
(Rires) Le stade bien évidemment. Mais j'aime les petits endroits où on allait manger avec les copains et nos femmes, après les matchs. Notamment au cours d'Estienne d'Orves. On allait aussi vers Sakakini où il y avait de très très bons restaurants. Avec les joueurs de l'époque, on aimait se retrouver dans Marseille.
Vous êtes passés par l'Italie, l'Allemagne, le Sud-Ouest, l'Alsace... Vous avez gardé quoi de Marseille partout ou vous avez vécu ?
Beaucoup d'albums photos (rires). Mais aussi beaucoup de souvenirs, les bons et les mauvais parce que ça fait partie d'une carrière. Mais ce que je garde, c'est que tout a commencé ici pour moi. Même si le départ ça a été Bruges, le club qui m'a révélé et où j'ai tout gagné, à part la Ligue des champions, c'est l'OM.
De manière générale, il y a un lieu dans lequel vous vous sentez bien ? Ou vous aimez vous ressourcer ?
J'habite depuis 25 ans dans le bassin d'Arcachon, donc c'est un peu particulier pour moi. Notamment par rapport à la famille et tout ce qu'on a mis en place pour notre fille. Mais je me sens bien aussi ici, à Marseille, parce que j'ai l'impression de me ressourcer tout le temps. Je crois que le soleil ça joue beaucoup (rires).
Il écoute quoi dans sa voiture Jean-Pierre Papin ?
Il y a un peu de U2, du Queen et aussi du Johnny. J'aime la musique d'aujourd'hui, j'écoute beaucoup de choses. Mais j'écoute pas mal ces trois-là quand je suis dans la voiture.
Vous êtes plutôt "rétro" on va dire?
Oui... Ça fait mal quand même d'entendre que je suis rétro (rires).
On dit de vous que vous étiez un sportif acharné, travailleur, n'hésitant pas à faire des heures sup' devant les cages après les entraînements. Il est comment JPP dans la vie de tous les jours ?
Je suis un peu pareil. En fait, je ne vis jamais au jour le jour, je vis toujours à demain. Et c'est ce que me reproche un petit peu mon épouse, elle me dit que je devrais me poser un petit peu, mais je n'arrive pas à le faire. J'ai besoin de savoir ce que je vais faire demain. Le jour où je vais me poser, c'est que vraiment je n'aurais plus envie de faire quoi que ce soit.
Il paraît que vous avez signé à Bruges, en 1985, et alors que vous étiez courtisé par de nombreux clubs français, pour contredire votre père, c'est vrai ça?
Oui, c'est vrai (rires). Toutes les décisions que j'ai eues à prendre, je les ai prises en contradiction totale avec mon père... Tout ça parce qu'un jour, ma grand-mère m'a dit que mon père faisait toujours les mauvais choix...
Il a changé le Jean-Pierre Papin des années 80/90 comparé à celui d'aujourd'hui ?
Je ne crois pas, ou en tout cas pas beaucoup. Je me suis aguerri, je pense, je me suis amélioré... Mais je n'ai pas changé.
Vous êtes rancunier ?
Oui, très...
Vous en voulez encore aux Guignols ?
Je peux vous assurer que je leur en ai beaucoup voulu. En revanche, avec le recul, je pense que je les remercie, parce que si ma notoriété est aussi forte, c'est aussi grâce à eux.
Il y a un moment qui a marqué une étape importante dans votre vie, c'est la naissance de votre fille Emily (atteinte de lésions cérébrales), en 1996. Qu'est ce qui a changé pour vous à ce moment-là ?
Ce qui a changé, c'est qu'on s'aperçoit que la santé est la chose la plus importante. Qu'on peut avoir tout ce dont on a besoin dans la vie de tous les jours, mais le jour où on a un accident de cette forme-là, on s'aperçoit qu'on n'est pas grand-chose. Quand Emily est née, tout allait bien pour nous. On était dans les années 90, on venait de se marier et d'avoir notre première fille... Et puis on s'est aperçu que ce n'est pas parce qu'on a tout qu'on est obligatoirement heureux. On a galéré parce qu'il fallait trouver des solutions et qu'on n'en avait pas spécialement. Mais on a cherché et on en a trouvé quelques-unes.
Comment va Emily aujourd'hui ?
Aujourd'hui, Emily va bien. Elle n'est pas comme les autres mais ça, ce n'est pas très très grave, tant qu'elle est pareille avec nous. Et même si cela a affecté toute la famille, nous en sommes tous ressortis beaucoup plus forts.
Dans la foulée, vous avez créé avec votre femme l'association Neuf de coeur, pour apporter information et soutien aux familles dont les enfants souffrent de lésions cérébrales. Vous pouvez nous parler de son action ?
Quand j'étais au Bayern de Munich, je suis parti en voyage aux États-Unis pour faire les premiers examens avec Emily. Dans le même temps, il est paru dans la presse des informations qui n'étaient pas vraies et il a fallu que je remette les choses à leur place. Dans la foulée, 15 jours après, nous avons reçu deux sacs postaux de gens qui avaient exactement le même problème que nous. Ils n'avaient aucune solution également. On a donc créé l'association pour informer les gens de ce qui existait, et de ce qu'on pouvait faire pour éventuellement changer les choses, en se basant sur notre expérience. L'association a presque 30 ans et elle existe toujours. Ça nous a fait évoluer. Et puis il y a beaucoup de gens qui nous ont suivis et qui ont eu de très bons résultats. Aujourd'hui on continue parce qu'une fois qu'on commence dans ce genre de choses, on ne peut pas s'arrêter.
Pour en revenir à votre carrière, beaucoup l'ont sans doute oublié mais vous avez été, en 92, le plus gros transfert de l'histoire du football avec un transfert de 11,2 millions d'euros. Les temps ont changé depuis... Comment jugez-vous l'évolution du football ?
Je pense que le système a beaucoup changé et que des clubs ont tué leur pays. Après, les sommes ne me choquent pas plus que ça, elles sont juste hallucinantes. Mais quand on veut s'offrir le meilleur joueur d'un club, il faut savoir le payer. Ce qui est rare est cher. Est-ce que c'est bon pour le foot ? Peut-être, ou peut-être pas...
Vous êtes toujours le seul joueur à avoir remporté un ballon d'Or après une saison en Ligue 1...
(Il coupe la question) Et j'espère le rester encore longtemps (rires).
L'an dernier vous disiez que ce record ne devrait plus tenir très longtemps... Finalement, il semble que vous ayez encore un peu de marge avec ce qu'il se passe actuellement à Paris?
Vous savez, même s'il ne me reste plus grand-chose à prendre, tout ce qu'il y a à prendre, je le prends (rires).
Depuis la fin de l'année dernière, vous exercez un rôle de conseiller du président de l'OM, Pablo Longoria. En quoi cela consiste ?
Le fait d'être conseiller de Pablo, c'est quelque chose d'assez impressionnant parce qu'on a un président qui est passionné par ce qu'il fait et qui a une connaissance du football que j'ai rarement vue. Et surtout, il a un réseau qui est exceptionnel. Même s'il a ses idées, c'est quelqu'un qui écoute et qui parle beaucoup. À la fin, c'est lui qui fait des choix, et jusqu'à preuve du contraire, il ne s'est pas beaucoup trompé. Je pense qu'il faut lui faire confiance. Cette année encore, il a fait un mercato qui est digne de l'OM.
Vous pouvez nous parler des quelques projets que vous portez à l'OM ?
Il y en a un qui me tient à coeur, c'est le projet "OM légendes". On a des joueurs qui peuvent transmettre la passion et les valeurs olympiennes. Aussi, à partir du moment où un joueur qui a porté le maillot de l'OM a des soucis un jour, on est là pour essayer de l'aider au maximum. Pablo a eu une très riche idée en voulant aider et ramener les anciens. Maintenant il faut faire vivre cette idée, tout simplement.
Vous êtes épanoui dans ce que vous faites aujourd'hui ?
Oui. Après, moi, j'arrive du terrain, donc il faut un peu de temps pour prendre la mesure de tout ça... Mais oui, je suis bien.
On vous reverra un jour sur un...
(Il interrompt la question) Sur un terrain ? Je ne sais pas, mais je ne ferme pas la porte, on ne sait jamais (rires).
Et sur un banc de touche ?
Sur un banc de touche, j'ai donné. J'ai eu de très bonnes expériences comme de très mauvaises. Mais c'est quelque chose qui est en moi, j'ai besoin de transmettre quelque chose.
La Provence