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Mbemba , portrait d'un défenseur venu de loin
Après avoir grandi à Kinshasa, trouvé une deuxième famille en Belgique et confirmé comme joueur à Porto, le défenseur Chancel Mbemba promène sa tranquille détermination à l'OM, en déplacement à Nice ce dimanche (15 heures).
Chancel Mbemba est un homme de peu de mots, il préfère délivrer de grands sourires. Début juillet, quand Cédric Bakambu a entendu « les murmures » sur sa venue à l'OM, l'attaquant lui a écrit : « Mon gars, c'est comment ? Il faut que tu viennes dans notre équipe ! » Alors, Mbemba, depuis sa résidence bruxelloise, a tranquillement pianoté sur WhatsApp : « T'inquiète, on va faire ça. » Quand Pablo Longoria l'a appelé pour lui présenter le projet marseillais, le défenseur central a répondu : « Pourquoi pas ? » Trois jours après, le 15 juillet, et alors que certains proches l'imaginaient déjà et à regret dans un pays du Golfe, il débarquait à Marignane, flatté : « C'est la première fois que j'ai un président au téléphone pour organiser mon transfert.
À 28 ans, le Congolais passé par la Belgique, l'Angleterre et le Portugal est une illustration des migrations du football moderne, ces filières emplies d'intermédiaires qui laissent beaucoup de rêveurs sur le bord de la route. Alors, il s'expose peu, n'en pense pas moins, il regarde les aventures musclées de Jack Bauer dans 24 heures chrono quand les collègues enchaînent les stories scintillantes sur leurs réseaux sociaux. Il a cette expression : « Je garde mon silence et je reste dans mon coin, j'ai créé ma vie à côté. Je ne vis pas pour regarder les gens. »Sa pudeur, il en sort brièvement pour saluer la mémoire de « son grand frère » à Newcastle, feu Cheik Tioté, qui le conduisait à l'entraînement et était son voisin d'immeuble. Ou pour évoquer une conversation avec Sergio Conceiçao, son entraîneur à Porto de 2018 à 2022 : « Il m'a envoyé jouer avec la réserve et le coach de l'équipe B m'a dit : "Tu n'as pas le niveau pour ici, remonte". J'ai parlé avec le coach Conceiçao, je n'avais pas peur. J'ai mes défauts et j'écoute. Il m'a dit d'être plus concentré, plus rigoureux... J'ai suivi aussi l'exemple de Pepe. Et moi, je lui ai répété : "Avant de quitter Porto, il faut que je ramène beaucoup de titres. Je serai toujours à fond. Tu ne vas pas être déçu quand tu me donneras ma chance". » Il est devenu l'un des joueurs les plus utilisés du club.
Fils d'Antoinette et d'Edomon, dit Edo, Mbemba a un nom spécial, « celui d'un oiseau comme l'aigle, qui monte très haut dans le ciel », et un prénom de bonne fortune. Il a grandi à Kinshasa, dans le quartier Mososo de la commune de Limete. Adolescent, il se voit bien devenir électricien, mais il impressionne sur les terrains. Il sera surnommé « Axe », « comme le déodorant, un hommage aux défenseurs propres. » Il admire Marcel Desailly et aussi Paty Yeye Lenkebe, le défenseur de l'AS Vita Club qui a filé ensuite en Israël. Lui va partir dans l'ancien pays colonisateur, la Belgique, pour tenter d'imiter « la légende », Vincent Kompany. « Il représente tout pour moi, confie Chancel. Il a des racines congolaises, il a marqué l'histoire du club d'Anderlecht avant de conquérir la Premier League. On marche sur ses traces. » Lors de sa première saison avec l'équipe une des Mauves, Kompany vient donner le coup d'envoi d'un choc contre Bruges : « On a fait une photo souvenir dans le vestiaire, juste pour moi. J'ai vu le grand homme ! On a gardé le contact, il m'envoie des messages pour me conseiller ; Quand ça ne va pas, je le sollicite. » Entraîneur de Burnley, Kompany le recrutera peut-être un jour, pour boucler la boucle.
Mpoku y a vu un signe et une famille rayonnante a émergé de ce microclimat. À chaque trêve hivernale, pour les fêtes, tout le monde se réunit du côté de Spa, dans un gîte, et Eliana, la fille de Chancel, ne lâche jamais la main d'Isaiah, le fils de Paul-José, lui aussi âgé de quatre ans.Dirigé vers les Léopards de la RDC par son beau-frère, Mpoku se souvient d'un match mémorable, un souvenir aussi triste que beau partagé avec Mbemba. Le 5 octobre 2017, dans un stade des Martyrs de Kinshasa en transe pour les qualifications du Mondial russe, les deux hommes marquent et permettent à leur pays de mener contre la Tunisie. « Je n'ai jamais vu une ambiance comme ça, se souvient Mpoku, je nous pensais déjà à la Coupe du monde. » Le match tourne, soudainement, et Florent Ibenge, le sélectionneur de l'époque, sait exactement pourquoi : « Chancel était magnifique, il planait sur la rencontre. Et il sort sur blessure à 2-0. En quelques minutes, la Tunisie revient à 2-2. Son absence a créé un vide immense dans l'équipe, physiquement, mentalement, l'adversaire s'est ragaillardi. »
Aujourd'hui entraîneur d'Al-Hilal au Soudan, Ibenge a connu de belles heures à la tête de la RDC, de 2014 à 2019. Il s'est vite appuyé sur le défenseur, en l'installant dans un triumvirat : le capitaine parfois contesté Youssouf Mulumbu était entouré d'un vice-capitaine représentant l'ancienne génération (Robert Kidiaba) et de Mbemba, le héraut de la jeune garde. Bien plus tard, en novembre 2018, alors que Mbemba est capitaine, Ibenge fait le tour des chambres avant un déplacement décisif chez le voisin du Congo Brazzaville. Il raconte : « Quand je vais voir Chancel, il pleure. Il me dit qu'on ne peut pas rater ce match-là, et qu'il va aussi donner le brassard à Mulumbu, de retour après une longue absence, car il ne veut pas de conflit en équipe nationale. Il me dit : "On va chercher la qualification, tous ensemble". Il a mené notre équipe vers un match nul héroïque, dantesque, sur une pelouse gorgée d'eau, alors qu'on nous a enlevé notre avant-centre à cinq minutes du coup d'envoi pour des raisons administratives. Au courage. » Il vient de loin, de très loin, Mbemba, et ses grands sourires dissimulent autant qu'ils n'expliquent ce périple.
L'Equipe