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CHANCEL MBEMBA; On l'appelle "Demi-dieu"; Satisfaction du début de saison, le défenseur de l'OM a dû surmonter les obstacles en République démocratique du Congo, où il est une star, pour réaliser son rêve de devenir professionnel
Le surnom colle à la peau de Chancel Mbemba bien malgré lui. Mais c'est pourtant comme cela que le défenseur central de l'OM est appelé dans son pays natal, la République démocratique du Congo, où il est une véritable star. Une fierté nationale, même. "Quand je commençais à jouer, on m'appelait "Axe" par rapport à mon poste. "Demi-dieu", ça vient d'une chanson, d'une dédicace de Fabregas, un chanteur congolais. Il dit "Demi-Dieu", je ne sais pas pourquoi. Ça a fait du buzz. À l'époque, je commençais à jouer en Ligue des champions. Pareil pour "Hercule". Ça vient des supporters. Je ne comprends pas. Moi, je préfère Chancel Mbemba Mangulu", se marre le solide gaillard.
Joueur le plus utilisé par Igor Tudor durant la première partie de saison, il est l'un des maillons forts de l'OM. Le natif de Kinshasa, arrivé libre l'été dernier après la fin de son bail à Porto, est même l'une des grandes satisfactions dans l'effectif marseillais, où son humilité et sa bonne humeur font merveille dans le vestiaire. Tout n'a pourtant pas été rose pour lui et ses proches. "On galérait, comme tout le monde en Afrique. Aujourd'hui, je travaille comme un fou pour satisfaire toute ma famille. Je considère que j'ai une grâce, un don. Il a fallu le savoir, avoir de la chance aussi. Je me suis imposé une discipline pour progresser. Pour l'instant, je ne profite pas. Ceux qui profitent sont dans mon entourage. Moi, je travaille. J'ai une mission, celle de mettre les miens à l'abri. Je ne pourrai pas satisfaire tout le monde, mais j'aide toute ma famille. J'ai réussi à rapatrier quatre personnes en Europe, il m'en reste six. Grâce à Dieu, je vais y arriver", espère cet homme pieux, marié et papa de quatre enfants, Eden ("comme le Jardin"), Eliana-Rose (sa "princesse"), Owen et Jayden, né ces derniers jours.
"On m'a recruté pour 1 200 $ !"
Taiseux quand il s'agit de parler de ses performances ("Je ne suis pas satisfait"), très peu prolixe au moment d'évoquer ses débuts avec l'OM ("Je veux gagner un trophée à Marseille"), il s'ouvre davantage quand on déballe la boîte à souvenirs. "Le football, c'est un don. Je joue depuis que je suis petit. Ma mère était basketteuse internationale, mais je n'y ai jamais joué. Mon père jouait au foot dans la rue, comme tout le monde. J'ai commencé dans mon quartier, Mososo, à Limete (une commune de la ville de Kinshasa, ndlr). Après j'ai traversé le lac pour jouer à Kauka, un autre quartier de Kinshasa, rembobine Chancel. Un ami m'a dit que je jouais bien et que je devais venir dans son club, le TP Mazembe. Mais ce n'est pas le TP Mazembe de Moise Katumbi (le club le plus titré de RD Congo), c'est une petite équipe de Kinshasa. Après ça, j'ai rejoint l'AS La Grace, à Kauka, pour jouer en troisième division. J'ai joué numéro 10, latéral droit, latéral gauche, milieu de terrain récupérateur, relayeur, défenseur central. J'ai même joué gardien de but une fois ! Je me suis fait remarquer, j'ai joué deux ans et j'ai signé à Mputu. Le président Ngoye, paix à son âme, est venu me voir pour me recruter. Il m'a acheté 1 200 $ ! En Afrique, c'est colossal ! J'ai joué seulement une année là-bas, c'était un championnat amateur. Puis j'ai enfin signé chez les pros, au MK Étanchéité, en deuxième division. Le président Max Mocke m'a pris. J'y suis resté à peine plus d'un an. Là, je jouais défenseur central, parfois milieu de terrain."
"une formation d'électricien"
À côté du ballon rond, le petit Mbemba "bricolai(t)". "J'ai suivi une formation d'électricien à l'école. Je sais raccorder le courant, mettre des prises. Je maîtrisais pas mal. Mais mon enfance, c'était la galère. J'ai dix frères et soeurs en tout. J'ai un petit frère, Boaze, puis mon père a quitté ma mère. Il a eu d'autres enfants par la suite et ma mère a eu une fille de son côté", raconte-t-il. Puis la promesse d'un avenir radieux est arrivée. "Le président Mocke est venu me voir un jour. Il m'a dit que quelqu'un qu'il connaissait s'intéressait à moi. J'ai dit OK, mais on n'avait jamais évoqué le fait d'aller en Europe. Beaucoup de grands clubs africains m'invitaient pour les rejoindre, comme le CS Imana, l'AS Vita et le TP Mazembe. Le championnat s'est terminé, mais rien ne se passait. J'attendais. On a commencé la reprise, et il m'a dit qu'on partirait deux jours plus tard. On est allé à l'ambassade, j'ai fait les papiers, les empreintes, les photos. Et j'ai attendu, encore. Du jour au lendemain, il m'a dit qu'on partait en Europe, que j'allais faire un test à Anderlecht. Il m'a acheté tout l'équipement, le sac, les crampons. Je n'ai pas eu le temps d'en parler aux membres de ma famille. Je croyais que ça ne se ferait pas ! (rires) À l'aéroport, j'ai appelé mon père pour le prévenir."
"J'ai acheté une maison à ma mère"
La découverte du Vieux continent a été un choc pour l'homme aux quatre dates de naissance. "J'ai pris l'avion, un direct Kinshasa-Bruxelles. C'était fin mai, il faisait froid ! J'ai perdu mes cheveux..., lance-t-il dans un éclat de rires alors qu'il possède aujourd'hui une maison à Haas, en Belgique, son "deuxième pays". J'étais en tee-shirt, je ne comprenais pas ce qui m'arrivait. J'ai compris ce qu'était l'Europe. Déjà, j'ai vu du macadam partout, alors qu'en Afrique, il y en a très peu. Il n'y a que du sable (rires). J'ai rencontré l'agent Fabio Baglio, puis le manager, j'ai commencé par faire des tests. J'ai commencé les entraînements avec les U19 et j'ai disputé un tournoi aux Pays-Bas. Je n'avais toujours pas signé mon contrat, mais je devais retourner au Congo pour faire un match avec les Espoirs contre le Maroc pour les éliminatoires des JO 2012. Je n'y suis pas allé ! Il n'y avait pas moyen que je parte sans avoir signé mon contrat. Je suis resté, la RD Congo a perdu, et je n'ai pas signé mon contrat ! Je suis retourné dans ma famille finalement, tout le monde croyait que c'était mort car je n'avais pas de contrat... J'attendais, j'espérais. Je ne doutais pas, mais je ne comprenais pas. On ne me disait rien. J'ai attendu. Pendant ce temps, Claude Le Roy m'a convoqué avec les A. Je suis retourné en Belgique six mois plus tard et j'ai signé un contrat de trois ans. J'étais soulagé. J'ai vu le salaire, j'ai dit top. J'ai acheté une maison à ma mère au Congo. Je l'ai toujours, j'ai des locataires. Ce n'est pas une belle maison, mais c'est un beau souvenir. Tout pouvait commencer. J'ai attendu mon tour, je suis monté en équipe première au bout d'un an. Mon ami, mon frère Cheickhou Kouyaté a pris un carton rouge, il était suspendu deux matches. C'était mon opportunité. J'ai fait un match moyen contre Lokeren (juillet 2013), puis un top match contre le Cercle Bruges. Je ne suis plus sorti de l'équipe."
"besoin d'écrire mon histoire"
Suivront des expériences à Newcastle (2015-18) et à Porto (2018-22). À chaque fois, Chancel Mbemba a gagné des trophées : champion de Belgique, champion de D2 anglaise (Championship), double champion du Portugal et deux fois vainqueur de la coupe. Un parcours remarquable pour un minot parti de rien. "J'ai besoin d'écrire mon histoire, souligne-t-il. Ce n'est pas facile pour un Africain. Quand on te prend pour atterrir dans un autre pays, une autre culture, il faut s'adapter. C'est dur de s'imposer. Il faut oublier tout ce que tu connais, faire une mise à jour. Il y a beaucoup d'obstacles. Mais tout dépend de chacun, des rencontres, des opportunités", déroule Chancel, conscient que certains jeunes n'ont pas la même chance. "Je me vois encore jouer dix ans au plus haut niveau. Je ne bois pas, je ne fume pas, je ne sors pas !", se gondole l'international congolais (66 sélections). Une nation en proie à une guerre incessante, où il ne retourne que pour porter la tunique des Léopards. "C'est un pays en guerre depuis toujours. J'ai grandi en entendant parler de la guerre à Goma. Ça fait plus de trente ans que rien ne bouge", se désole-t-il, l'air meurtri. Même un "Demi-dieu" n'y peut rien.
La Provence