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PORTRAIT; Dribbleur né; Formé à Paris, passé quelques mois au PSG, le meneur de jeu a remis sa carrière sur les bons rails après des années entre coups d'éclat, drame et turbulences
Il les a rendus zinzins. Mercredi soir, au stade José-Alvalade, Amine Harit a enchaîné les dribbles sauce "ish ish", comme s'il jouait dans son jardin face à ses deux enfants, à la différence près qu'il a subi les nombreux tacles de Portugais dépassés par sa vitesse d'exécution (quatre fautes subies, un record, plus un penalty et un carton rouge provoqués et une passe décisive). Déjà décisif à l'aller, le Franco-marocain est devenu un joueur essentiel à Igor Tudor, et ce n'est probablement pas un hasard si les trois défaites de l'OM (Tottenham, Francfort, Ajaccio) coïncident avec trois matches démarrés sur le banc par Harit. "Au niveau offensif, il nous manquait quelqu'un qui donne du déséquilibre, témoigne Pablo Longoria. C'est déjà ce qu'on cherchait avec lui l'année dernière. Mais cette saison, à partir du moment où on a beaucoup de situations en un-contre-un, on avait vraiment besoin d'un joueur comme Amine qui élimine ses adversaires."
Pas le premier choix à ce poste (le président espagnol a longtemps essayé de convaincre l'Atalanta et Ruslan Malinovskyi), son arrivée dans les dernières heures du mercato, en prêt de Schalke 04 avec option d'achat, a pu surprendre les observateurs. Ses performances en Ligue des champions aussi, mais elles sont dans la lignée de sa très belle fin de saison sous les ordres de Jorge Sampaoli. Ceux qui l'ont côtoyé et l'ont vu grandir ne sont pas étonnés et ont cru revoir contre le Sporting des flashes du passé, la régularité depuis la fin de l'hiver 2022 en plus.
"On avait déjà vu par intermittence cet Amine-là, mais il est devenu constant, c'est ce qui fait la différence au très haut niveau", disent en substance Samuel Fenillat, directeur du centre de formation du FC Nantes et Hervé Renard, qui l'a lancé avec la sélection du Maroc. Lui manquait-il un peu plus de concentration sur le foot ? L'actuel sélectionneur de l'Arabie saoudite éclate de rire : "On peut dire ça comme ça !"
Décrit comme "très intelligent" par tous nos interlocuteurs, bon à l'école, Harit est presque aussi turbulent que talentueux. Quelques bavardages et blagues potaches en cours, avec son pote Enock Kwateng, des retards et des sorties nocturnes jalonnent sa formation à la nantaise. "Ce n'était jamais méchant, estime Fenillat, mais c'était un dribbleur sur et en dehors du terrain (rires). Il aimait tutoyer les limites, franchir la limite et attirer l'attention. Plein de petites choses polluaient son expression footballistique. Il voulait vivre sans forcément respecter toutes les règles, il avait été sanctionné plusieurs fois, mais il était attachant et avait de la finesse." Renard enchaîne : "Il se comportait parfois comme un adolescent mais je l'ai toujours apprécié, même quand il faisait des conneries parce qu'il a bon fond. Il était insouciant, rigolait toujours... C'est un charmeur qui devait mûrir. Il a su rectifier le tir, ce qui n'est pas le cas de tous." Combien sont-ils, de titis franciliens avec du génie à avoir perdu leurs illusions ? Harit, qui a été formé sur les pelouses parisiennes, ne fait pas partie de cette catégorie. Couvé par des parents poules, dont le père, technicien en hémodialyse, l'accompagnait sur tous les terrains d'Île-de-France, le natif de Pontoise a débuté à Argenteuil avant de se poser de 2004 à 2011 dans l'équipe de son enfance : l'Espérance Paris 19. "Il avait déménagé en cours de saison dans la cité de Flandre, dans le XIXe arrondissement, retrace Morade Djeddi, président du club qui a lancé Youssouf Fofana (Monaco) et Moussa Diaby (Leverkusen). Ce quartier, ce n'est pas le Bronx mais pas le chic XVIe arrondissement non plus. Son papa nous l'avait amené avant un entraînement, mais on n'avait plus de place. Il avait insisté : 'Regardez-le jouer, c'est intéressant'. On l'a pris tout de suite, il était différent." Le petit Harit est tellement bon qu'il tape dans l'oeil du PSG. Mais il ne jouera que quelques mois sous le maillot de l'ennemi héréditaire de l'OM, la faute à un centre d'entraînement à une heure de route du domicile familial. Retour à la case Espérance, où il est notamment acteur d'un étonnant pari entre deux éducateurs : "Son entraîneur avait parié que les benjamins d'Amine gagneraient avec 20 buts d'écart contre les poussins des Fofana (Youssouf et Yahia, gardien d'Angers) et Diaby." Résultat : 20-0, symbole d'une époque ou Harit ne perd pas souvent.
"J'avais entraîné Georges-Kévin Nkoudou et j'étais allé le voir à Nantes, raconte Samy, grand ami d'Harit, de onze ans son aîné. Amine, qui était au centre, avait vu qu'il signait pas mal d'autographes et il m'avait dit : 'Tu vas voir Samy, je vais devenir footballeur et ça sera pire que Georges-Kevin'. Il avait une confiance monstre, était sûr de ses qualités, sans avoir le boulard.Il savait juste ce qu'il voulait faire de sa vie." Avant cet épisode, l'international marocain a vécu deux ans au pôle espoirs de Clairefontaine, revenant le week-end à l'Espérance puis au Red Star. À 15 ans, l'heure était venue d'intégrer un centre de formation, ce sera le FCN. À la Jonelière, le frêle ado prend un peu d'épaisseur et fait évoluer son jeu, à contrecoeur. "On l'avait peut-être un peu mal cerné au début, on le faisait jouer devant la défense. Il a eu du mal à être collectif, il était dans l'excès sur le dribble, en permanence !, s'amuse Fenillat. Mais, malgré les consignes, il continuait à tenter, il avait de la personnalité ! La passe, c'était quand il avait fini de dribbler, il compliquait un peu le jeu. C'était un dribbleur fou, mais insister lui a permis de faire ce qu'il fait aujourd'hui." Le directeur du centre de formation a été bluffé par les débuts en pro de son protégé, quelques semaines après la victoire de l'équipe de France U19 à l'Euro, celle de Kylian Mbappé. "Il n'a pas peur. Pour son premier match, il aurait pu la jouer petit garçon, avoir le pied qui tremble ou ne prendre aucun risque, mais il a tout de suite tenté des choses, et on a vite senti qu'il avait pris la mesure du métier. Son parcours s'est accéléré d'un coup après l'Euro."
Il s'est aussi brutalement ralenti après un accident au Maroc, à l'été 2018. Harit était alors en pleine bourre : une première saison pleine à Nantes, une autre réussie à Schalke (désigné meilleur débutant de Bundesliga) et une sélection pour le Mondial, où il est notamment élu homme du match contre l'Iran. Quelques semaines plus tard, il fauche et tue un piéton qui traversait. La peine requise est anecdotique (780 euros d'amende et quatre mois de prison avec sursis), inversement proportionnel à celle ressentie. "Le pire moment de ma vie, le début d'une période très compliquée. J'ai beaucoup pensé à cette personne", confessait-il dans L'Équipe, un an plus tard. "Psychologiquement, il a pris un gros coup et ses performances ont chuté la saison suivante. Quand tu n'es pas bien dans la tête...", souffle-t-on parmi ses connaissances. Son bilan en Allemagne est très moyen, avec quatre saisons irrégulières, des accusations de manque de professionnalisme de son entraîneur Domenico Tedesco, un article de Bild insinuant une addiction au casino et une descente en deuxième division au printemps 2021.
"Il a eu beaucoup de soutien après l'accident, notamment de Mehdi Benatia, selon Hervé Renard. L'important est qu'il s'en soit sorti, grâce à ses ressources mentales. Le talent c'est quelque chose mais il faut être travailleur et fort dans les moments difficiles. Son retour au top est tout à son honneur."
Depuis son arrivée à l'OM, son nom n'est évoqué que dans la rubrique sportive des journaux et son état d'esprit est vanté par Longoria : "C'est un joueur très important à l'intérieur du vestiaire par sa personnalité, car il est très positif". Et même s'il a été snobé par Jorge Sampaoli jusqu'à la 28e journée de Ligue 1, la saison dernière, le voilà qui semble enfin avoir remis sa carrière sur le bon chemin, avec une possible qualification pour les 8es de finale de Ligue des champions et la coupe du monde au Qatar en vue. Un chemin qu'il espère semé de victoires, de buts, de passes décisives et de dribbles. Surtout de dribbles.
La Provence