Le gardien de l’OM revient sur ses débuts en Ligue 1 et la concurrence avec l’historique Steve Mandanda, dont il a pris la place. DE NOS ENVOYéS SPéCIAUX
BAPTISTE CHAUMIER ET MéLISANDE GOMEZ MARSEILLE – Avant un entraînement très venté sur le terrain de la Commanderie, Pau Lopez a répondu aux questions de L’Équipe, hier. Le grand gardien espagnol a pris la place de Steve Mandanda dans le but de l’OM avec assez d’efficacité pour éteindre les débats. Souriant et loquace, il est revenu sur son plaisir retrouvé à Marseille et les consignes de son entraîneur, Jorge Sampaoli.
« Vous retournez à Lyon deux mois après le projectile lancé sur Dimitri Payet. Quel souvenir gardez-vous de cette soirée ? De la tristesse. Tu viens jouer un match et après quelques minutes tu rentres au vestiaire. C’est quelque chose de vraiment désagréable, que ce soit un coéquipier ou pas. Nous sommes tous joueurs et nous ne pouvons pas entrer sur le terrain en se demandant si on va recevoir une bouteille sur la tête. Je comprends la passion des gens pour leur équipe mais il y a des limites à ne pas dépasser.
Vous avez encaissé beaucoup de buts en début de saison, avant de devenir la meilleure défense du Championnat. Comment expliquez-vous cette métamorphose ? C’est dû à notre style de jeu, à nos choix de jeu. Nous ne sommes pas du tout une équipe défensive. Mais la manière dont nous jouons, notre envie d’avoir la possession du ballon, fait que l’adversaire a moins d’occasions de nous faire mal. À chaque fois nous dominons, quand nous perdons le ballon nous le perdons loin de notre but et nous essayons de le récupérer vite. Nous sommes dans le camp adverse le plus possible. Donc nous prenons peu de but et nous concédons peu d’occasions.
Que saviez-vous de l’OM et de la Ligue 1 avant de signer ici ? Je voyais l’OM jouer en Ligue des champions de temps en temps, donc je connaissais le club. Mais la Ligue 1... À la Roma (2019-2021), j’avais Javier Pastore (l’ancien Parisien) comme coéquipier et il regardait toujours la L1 dans le car.
Mais il regardait le PSG, non ? Oui (rires). Je connaissais peu ce Championnat et il me plaît beaucoup. J’aime l’ambiance dans les stades, je la préfère à celle des stades italiens. J’aime comment les gens vivent les matches. Cela a été une bonne surprise, c’est une ligue qui progresse chaque saison. Et on voit le bon travail des équipes françaises dans les résultats européens : Rennes nous avait éliminés avec le Betis (3-3, 3-1, en 16es de finale de Ligue Europa 2018-2019). C’est un Championnat avec un jeu différent de l’Italie ou l’Espagne, cela va très vite d’un côté à l’autre, c’est physique.
“J’ai retrouvé à Marseille l’enthousiasme que j’avais perdu
Avant votre arrivée, vous avez échangé avec le président Pablo Longoria. Vous avait-il parlé de Mandanda ? Saviez-vous qui il était ? Oui, bien sûr. Quand tu es gardien, tu ne peux pas ne pas connaître Mandanda. C’est une légende. J’ai parlé à Pablo, il ne m’a jamais dit “tu joueras” ou “tu ne joueras pas”. Il m’a dit : “Écoute, il y a Mandanda, il nous manque un gardien, on serait contents que tu viennes.” J’ai dit oui pour le projet, pour le jeu du “Mister” (Sampaoli) qui me rappelle celui de Quique Setien au Betis (2018-2019). Après ces deux ans à Rome où je n’étais pas à mon meilleur niveau, il fallait que je retrouve l’enthousiasme.
C’est compliqué d’arriver dans un club où l’autre gardien est une légende… Il faut y être préparé mentalement. Parce que peu importe qui serait venu, celui qui jouerait à la place de Mandanda serait dans le feu, critiqué, on attendrait ses erreurs. C’est une réalité, mais je ne l’ai jamais pris personnellement. Je comprends que je suis dans un endroit qui a été la maison de Mandanda depuis tant d’années, les gens sont habitués à le voir dans le but. Je me suis concentré sur moi, sur mes entraînements, et j’ai travaillé.
Vous sortiez de deux saisons moyennes à la Roma, où la pression vous avait posé problème. À Marseille, vous semblez toujours très serein… Mais à la Roma, ce n’est pas à cause de la pression que je n’avais pas mon meilleur rendement (*). Là-bas, le problème est que j’avais perdu la joie de m’entraîner, le plaisir de jouer au foot. Et Marseille est arrivé à point nommé. L’ambiance ici, le vestiaire, la façon de jouer, je ne sais pas pourquoi, mais depuis le début j’ai retrouvé l’enthousiasme que j’avais perdu. J’étais enchanté, je profitais de chaque instant, et donc je ne pensais pas au reste, au fait qu’il y avait Mandanda. Je pensais surtout que c’était une super opportunité pour moi, j’étais heureux de venir tous les matins.
Vous aviez vraiment perdu le plaisir de jouer ? Oui, complètement. Ici, par exemple, j’arrive un peu avant, je reste après, à la salle, on plaisante entre nous, on discute. Là-bas, j’étais heureux seulement quand je quittais le centre d’entraînement et que j’arrivais chez moi pour retrouver ma famille. Combien de fois je me suis dit : “Maudit soit le jour où j’ai décidé de quitter le Betis.” La Roma, c’était un beau défi, un club qui peut jouer l’Europe tous les ans. Mais quand tu n’es pas heureux, tu n’es pas heureux. Moi, je ne suis pas un passionné qui regarde du foot toute la journée. Je joue parce que j’adore ça, je m’amuse, ce n’est pas un travail. Et quand tu perds cette légèreté, cet état d’esprit, ton niveau baisse.
Comment est votre relation avec Steve Mandanda au quotidien ? Elle est bonne. Je ne pourrais jamais dire du mal de Steve. Je suis un intrus qui est entré dans sa maison et il a toujours été super avec moi, il s’entraîne à fond, on discute, même si je dois encore travailler mon français. Il est toujours souriant, et je ne peux que le remercier. Il aurait pu se comporter autrement et je l’aurais compris. Mais c’est un super coéquipier, et un vrai capitaine, qui met l’intérêt du groupe au-dessus du sien. C’est un privilège de m’entraîner avec lui. Je sais qu’à la moindre baisse de régime de ma part, il sera là pour reprendre la place.
“Je ne suis pas un gardien bon au pied
Comment restez-vous aussi serein ? C’est mon caractère. Il y a des hauts et des mauvais moments dans une saison et il faut savoir les vivre. Quand j’ai des moments moins bons, j’essaie de ne rien changer à mes habitudes, je travaille, je reste concentré. Les erreurs font partie du jeu pour un gardien, et je les prends comme ça. Je sais qu’elles me coûteront des critiques mais je ne me laisse pas affecter. Souvent avec Jon (Pascua, entraîneur des gardiens de l’OM), on revoit les matches à la vidéo. Je donne mon avis, il me donne le sien, et on passe à l’action suivante. Il faut travailler chaque jour, être meilleur à chaque match et c’est un long chemin. Il y aura des bons matches, des moins bons, des vraiment mauvais. Celui contre Galatasaray (2-4) a été mon plus mauvais avec l’OM.
Le jeu de Sampaoli est très particulier pour un gardien. Aimez-vous jouer aussi haut ? (Rires.) J’essaie de faire ce qu’on me demande, je ne pense pas aux risques que je prends ou pas. Quand ils m’ont demandé de jouer plus haut, au début c’était compliqué parce que tu te rends compte que tu es de plus en plus haut, tu as l’impression de finir presque dans le rond central. Il faut simplement contrôler tes émotions. Tu te rends compte que tu ne prends pas plus de risques. Parce qu’en jouant comme ça, l’équipe se comporte mieux et les adversaires ont plus de mal. Avec le gardien comme joueur de champ en plus, cela nous donne un avantage sur l’adversaire. Après, bien sûr, si un jour je prends un lob, je vais en entendre parler un bout de temps (rires) !
Vous devez beaucoup jouer au pied. Cela vous plaît-il vraiment ? Ce n’était pas votre point fort à la Roma… Je connais plein de gardiens qui sont meilleurs que moi dans ce domaine, qui ont une meilleure maîtrise. Mais moi, je suis les consignes. On me dit : tu contrôles le ballon, quand lui vient, tu joues là, quand cela vient de là, tu joues là. Et je le fais. C’était pareil avec Setien au Betis. Au début, j’avais du mal, je jouais trop vite, je ne laissais pas vraiment l’adversaire s’approcher, j’avais l’impression qu’il était trop proche de moi. Mais je me suis adapté. Je ne suis pas un gardien bon au pied, mais je m’adapte et essaie toujours de lire le jeu.
Vous avez touché 285 ballons en dehors de la surface, une statistique incroyable pour un gardien… C’est le style de l’équipe qui m’oblige à ça. Si tu es trop bas et qu’ils veulent jouer avec toi, cela coupe l’équipe en deux. Je dois rester proche de la ligne des défenseurs pour qu’ils puissent me trouver. Je prends du plaisir à jouer comme ça, mais je prends surtout du plaisir à gagner, comme tous les joueurs. Le “Mister” a cette méthode et il gagne. Un autre entraîneur peut préférer tout verrouiller et jouer bas, et s’il gagne, il aura raison. Il n’y a pas de bonne ou de mauvaise façon de jouer. »
(*) Arrivé du Betis contre 23,5 M€, il avait perdu sa place de titulaire faute d’être décisif et défaillant au pied. Il avait aussi commis une énorme erreur lors d’un dégagement au poing face à la Lazio, en janvier 2020.
L'Equipe