par Dessno » 15 Avr 2005, 09:25
Le système Aulas, c’est le pèze comme Bez.
(Chronique, le 8 avril 2005)
Lyon a conquis en 2002 le premier titre de son histoire. Depuis, il est régulièrement champion de France. Pour le plus grand plaisir de Jean-Michel Aulas qui, après être longtemps passé pour un matamore qui faisait s’esclaffer toute la France, est parvenu à ses fins. Mais Lyon, c’est d’abord le triomphe du foot-business. Du fric. Les méthodes Aulas rappellent celles de Claude Bez à Bordeaux dans les années 1980. La conclusion sera-t-elle la même ?
Le loup dans la bergerie
Le 5 juin 1987, L’Olympique Lyonnais joue en Division II depuis quatre saisons. Il dispute le match retour d’un barrage d’accession qui l’oppose à Cannes. Gerland est aux trois-quarts plein, 25.000 spectateurs, affluence fort respectable pour l’époque. Avant le coup d’envoi, le président du club, un certain Charles Mighirian, qui occupe la place depuis quatre ans et demi, effectue un tour d’honneur. En fait, il s’agit de ses adieux.
Quelques mois plus tôt, il a contacté un jeune homme d’affaires, Jean-Michel Aulas qui est en train de réussir dans l’informatique. « Entrez donc au comité directeur, lui a dit Mighirian, nous avons besoin de gens dynamiques ». Aulas ne s’est pas contenté de verser son droit d’entrée, il s’est pris au jeu et en peu de réunions il a convaincu les autres dirigeants qu’il possède l’étoffe pour redresser l’OL. Tel le loup entré dans la bergerie, il a dévoré les éventuels opposants, à commencer par Charles Mighirian qu’il laisse donc, sourire sardonique aux lèvres, s’offrir un dernier bain de foule en guise de consolation.
Il croit que le titre de président confère de la compétence
Il y a longtemps que Mighirian a été oublié par la planète football mais cette anecdote illustre déjà ce qui va se passer à l’OL au cours des années suivantes : Aulas ne fait pas de cadeaux et il n’est pas homme à partager le pouvoir. Il veut tout régenter, y compris le domaine technique. Son entraîneur, Robert Nouzaret, ne tarde pas à s’en apercevoir à ses dépens. La saison suivante, alors que Lyon est toujours en D2 car il a perdu son barrage, Nouzaret se fait débarquer dès le mois d’octobre, à la suite d’une défaite à Orléans. Les entraîneurs devront toujours, bon gré mal gré, composer avec Aulas qui croit que le titre de président confère de la compétence. Il se plaît d’ailleurs à alimenter les micros et les stylos de considérations hautement techniques. Du moins les soirs de victoire où il prend soin de se présenter le premier, avant son coach et les joueurs, devant les journalistes. Les jours de défaite , il se fait plus discret, sauf s’il entend en mettre plein la tête à un arbitre qui n’a pas dirigé le match selon ses vœux, c’est à dire qui n’a pas avantagé Lyon.
Pression sur les arbitres
Par rapport à Aulas, José Mourinho, que la presse française condamne allègrement actuellement, n’est qu’un apprenti quand il s’agit de mettre la pression sur les arbitres. Les journaux et encore plus les serviles télés, qui ne veulent pas se mettre à dos un homme qui pèse dans les attributions des droits, prennent soin, pourtant, de ne pas critiquer le président de l’OL. Parce qu’ils ont appris à le craindre. Parce qu’Aulas, dont le père était journaliste, sait comment fonctionne un journal et où il faut taper. A la tête bien sûr. Aulas ne fait pas de cadeaux, on l’a dit, mais il n’a pas non plus de scrupules et il ne fait pas bon chercher dans les coulisses de l’OL. Un mensuel régional est ainsi en procès parce qu’il a évoqué les comptes du club. Le despote de l’OL n’aime pas les investigations.
La puissance de l’argent
En revanche, il adore l’argent et surtout la puissance qu’il confère. Il a bâti son club à coups de millions. Les entraîneurs ont donc valsé. On en était resté à Nouzaret, il y eut ensuite Denis Papas, Marcel Leborgne, Raymond Domenech, Jean Tigana, Guy Stéphan, Bernard Lacombe, Jacques Santini, Paul Le Guen. On peut rêver mieux comme stabilité technique et comme les choix n’étaient pas toujours judicieux, les succès mirent longtemps, très longtemps, à arriver. C’est en 1989, sous l’ère Domenech que la montée en D1 fut obtenue. Le sélectionneur de l’équipe de France était déjà un beau parleur mais un entraîneur moyen et au bout de quelques années peu convaincantes il fut invité à faire ses valises. Il faut dire qu’Aulas, qui n’est pas bête, avait tout de même su s’adjoindre les services d’un conseiller de valeur, en la personne de Bernard Lacombe. Ancien avant-centre international il connaît le foot mieux que son président et ses conseils furent souvent judicieux. Le problème est qu’il rêvait aussi d’entraîner et il en résulta quelques anicroches avec les techniciens en place. Jean Tigana notamment.
Matamore qui se ridiculise
A force d’intriguer, Bernard Lacombe finit par atteindre son objectif : il hérita du poste, fin 1996, après une déroute à Auxerre, 7-0, qui s’avéra fatale à Guy Stéphan. Le passage de témoin s’effectua de manière si trouble que la première séance d’entraînement de Lacombe se déroula sous les sifflets des supporters. L’OL n’était décidément pas encore entré dans l’Histoire, comme l’ambitionnait son président qui n’en finissait pas de jouer les matamores. Chaque début de saison, il clamait sans prudence que son club allait être sacré, ou qu’il allait gagner la coupe de l’UEFA. Comme quoi le ridicule ne tue pas, sinon Aulas serait mort depuis longtemps. L’OL, en revanche, continuait à alimenter la chronique des petites histoires que l’on se raconte avec délices, le soir à la veillée. Ainsi, en décembre 1996, à l’issue d’un Lyon – Nantes perdu par les Gones, un joueur, Jean-Luc Sassus, fut mis KO dans le couloir menant aux vestiaires. Le comble est que c’est son coéquipier Pascal Olmeta qui lui avait expédié un direct en pleine poire. Pour une histoire de bonnes femmes, paraît-il.
En 2002, enfin
Lyon pourtant a fini par obtenir ce qu’il cherchait. Il venait de terminer 2è du championnat 2001 lorsque le président, vraiment peu avisé, du club qui venait d’être couronné lui vendit son meilleur joueur. Son nouvel actionnaire avait sans doute poussé à la roue. Toujours est-il qu’Eric Carrière partit à Lyon. Il s’ajouta aux autres stars qu’Aulas achetait à grands renforts de millions depuis plusieurs années, tels Marlet, Anderson, Dhorasoo, Edmilson, Caçapa et, en 2002, Lyon fut enfin sacré champion de France. Le talent de ses individualités avait davantage fait la différence que la qualité assez quelconque de son jeu, souvent essentiellement défensif et axé sur le contre. L’OL avait aussi bénéficié de la défaillance de Lens qui avait compté 9 points d’avance en janvier mais s’était ensuite écroulé. Les Nordistes avaient notamment perdu le dernier match décisif à Gerland, lors de l’ultime journée. En la circonstance, l’OL n’avait d’ailleurs pas eu à se plaindre de l’arbitrage, comme quoi, hélas, les méthodes Aulas, parfois, paient. On peut penser aussi que si cette saison-là on avait inversé les deux gardiens, c’est à dire mis l’efficace Coupet dans la cage artésienne et le déjà vieux Warmuz dans celle des Gones, le verdict final n’aurait pas été le même.
Un édifice fragile
Cette même année, Lyon se sépara du pâle et tortueux Santini et en confiant ses destinées à Paul Le Guen il a pris une nouvelle dimension. Il est devenu en effet une équipe beaucoup plus joueuse et donc redoutable, voire séduisante, et comme Aulas a acheté quelques autres poulains de luxe, comme Wiltord, Lyon possède maintenant une large avance sur ses concurrents français. Il est en route pour son quatrième titre consécutif.
Jean-Michel Aulas est donc ravi. De là à dire que ses méthodes méritent des louanges il existe un gouffre que nous ne franchirons pas. Aulas incarne le triomphe du foot-business où l’affairisme prend le pas sur le jeu, où tous les coups sont permis, même quand ils s’inscrivent à l’encontre de l’éthique sportive. Au fond, Aulas a repris à son compte les méthodes de Claude Bez à Bordeaux dans les années 1980. En plus soft, c’est à dire en faisant moins voyou. La forme diffère légèrement, et encore pas toujours, le fond est le même. Mauvais ! Aulas croit que l’argent autorise tout. Il lui permet en tout cas de déplumer ses adversaires tout en se renforçant. Quand il achète Carrière, il réalise le même coup double que Bez lorsqu’il s’offrait Touré. Reste que l’équilibre financier de son club reste fragile. Une ou deux saisons sans Ligue des Champions et tout s’écroulerait, tellement le budget est colossal. C’est ce qui s’était passé à Bordeaux. Verra-t-on un jour le système Aulas s’effondrer avec autant de fracas que l’édifice Bez ? Il ne faudrait pas compter sur nous pour verser la plus petite larme.
B.V.