Tapie à la manœuvre
Onze ans qu'il attend. Onze ans qu'il rêve d'une revanche, d'une reconquête, au sens propre : d'un retour de fortune. Les come-back, Bernard Tapie, 62 ans, ne les compte plus : ils ont fini par devenir la routine d'une vie en forme de montagnes russes. Les affaires l'ont conduit à la faillite ; la politique à la démission, puis à la déchéance ; le football l'a mené en prison. Et toujours il a rebondi, avec une capacité à sortir de scène par une porte et à rentrer par une autre qui le prédestinait au théâtre de boulevard là précisément où il triomphe aujourd'hui, dans une pièce dont il énonce fièrement le titre : Un beau salaud, l'histoire d'un mari compulsivement volage, rattrapé par ses femmes et ses mensonges à tiroirs.
Mais, cette fois, c'est à la ville que se joue le plus important : le dernier acte de son affrontement avec le Crédit lyonnais, la banque grâce à laquelle il érigea sa fortune et qu'il accuse, à présent, d'avoir causé sa ruine. La fin n'est pas écrite. Après une décennie de batailles judiciaires, l'issue du litige est suspendue à une médiation, ouverte le 12 novembre sous l'égide de la cour d'appel de Paris et confiée à l'ancien procureur général près la Cour de cassation Jean-François Burgelin.
L'équation est simple : placé en liquidation judiciaire à titre personnel en décembre 1994 et mis en examen pour banqueroute, M. Tapie doit encore combler un passif de 140 millions d'euros dont 100 millions à l'égard de son ancienne banque et 45 millions envers le fisc ; mais il réclame, lui, au Crédit lyonnais, 990 millions d'euros en compensation des plus-values dont il estime avoir été floué en 1993, lors de la revente d'Adidas, puis en 1994, au moment de l'introduction en Bourse de la société d'équipements sportifs par son nouveau propriétaire, l'industriel Robert Louis-Dreyfus.Si la médiation dont le terme est fixé au 12 avril aboutissait à un compromis, les deux adversaires abandonneraient créances, prétentions et poursuites l'un envers l'autre. L'ancien ministre serait alors remis à flot, prêt à de nouvelles aventures..."Je joue ma vie là-dessus", résume l'intéressé. Officiellement, cette partie fatidique se dispute sans lui. Le statut juridique du "liquidé" l'exclut de la médiation en cours. Celle-ci met donc aux prises d'un côté le Crédit lyonnais et le Consortium de réalisation (CDR), structure d'Etat chargée de la cession des actifs douteux de la banque ; de l'autre, les administrateurs de la liquidation, Jean-Claude Pierrel et Didier Courtoux, ainsi que les représentants des petits porteurs des anciennes sociétés du groupe Tapie.
Mais en coulisse, c'est bien lui, Bernard Tapie, qui dirige la manoeuvre. Ses arguments ont été repris mot pour mot par ses liquidateurs dont l'avocat, Me Maurice Lantourne, est aussi le sien... Pendu au téléphone, comme jadis au bord des terrains, lorsqu'il régnait sur l'Olympique de Marseille (OM) et terrorisait le monde du football, il appelle tous azimuts : les conseils de ses adversaires, pour tester auprès d'eux ses raisonnements, les journalistes, pour prévenir tout article inopportun, et plus généralement toute personne susceptible d'être présentée comme un allié.
Le ministre Jean-Louis Borloo, qui fut son avocat il y a trente ans, a bien sûr été sollicité, mais il dit s'être "prudemment tenu à distance". Autre vieux compère, l'écrivain André Bercoff, qui travaille à la rédaction d'un livre avec le garde des sceaux, Dominique Perben, s'est vu confier quelques messages discrets. Et il a suffi à M. Tapie d'être reçu, il y a quelques semaines, par Francis Mayer, le directeur général de la Caisse des dépôts qui héritera, à terme, des derniers actifs du CDR , pour se flatter de sa prétendue bienveillance. La fille de ce dernier, la comédienne Sophie Mayer, n'a-t-elle pas tourné à ses côtés dans un épisode du Commissaire Valence, la série policière de TF1 dont il est le héros ?
L'activisme de l'ancien président de l'OM a d'ores et déjà payé. A elle seule, l'ouverture de la médiation est pour lui une "première victoire", obtenue auprès de Nicolas Sarkozy peu avant que celui-ci ne quitte Bercy, fin 2004. Le ministère de l'économie exerçant la tutelle sur ses deux créanciers principaux le CDR et le fisc , le ministre seul pouvait imposer une négociation. Avant M. Sarkozy, tous ses prédécesseurs avaient ainsi reçu les mêmes ambassades, les mêmes sollicitations pressantes de M. Tapie. A la fin 2001, Laurent Fabius avait accepté l'idée d'un compromis à négocier, mais le premier ministre, Lionel Jospin, refusa net. "Ça ne lui a pas porté bonheur", ricane aujourd'hui M. Tapie, affirmant aussitôt avoir "fortement conseillé" à Christiane Taubira de se présenter à l'élection présidentielle de 2002 sous les couleurs du Parti radical de gauche, dont il fut le chef de file aux européennes de 1994. L'entrée en lice de Mme Taubira coûta cher, on le sait, au candidat du PS.
L'argument a-t-il resservi pour convaincre M. Sarkozy ? En 1993, alors que ce dernier était ministre du budget d'Edouard Balladur, M. Tapie avait obtenu de lui l'étalement des dettes fiscales de l'OM. Deux ans plus tard, à la veille de la présidentielle, le cabinet du même M. Sarkozy avait tenté de peser sur le tribunal de commerce pour retarder sa mise en liquidation, synonyme d'inéligibilité... Dix ans plus tard, l'ancien ministre-homme d'affaires s'est adressé, pour approcher M. Sarkozy, à son plus proche conseiller, Brice Hortefeux, qu'il avait connu à cette époque. "Comment faire pour ne pas le recevoir ?, s'excuse ce dernier. Quand il a besoin de quelque chose, Tapie peut vous appeler nuit et jour, jusqu'à ce qu'il obtienne ce qu'il veut !"
Sur cette recommandation, le directeur du cabinet de M. Sarkozy, Claude Guéant, dit l'avoir reçu "deux ou trois fois" à partir de la fin de l'été 2004 ; son adjoint, François Pérol, au moins autant. Le ministre aurait, lui, refusé tout contact direct. Démentant toute arrière-pensée politique, M. Tapie assure avoir fait prévaloir des "éléments purement juridiques". Sa démonstration tenait, pour l'essentiel, au rapprochement qu'il effectue entre son contentieux et un autre dossier délicat du CDR, celui de l'affaire Executive Life, dans lequel l'Etat a dû, pour avoir tardé à négocier, verser 485 millions de dollars de dommages et intérêts à la justice américaine.
A l'appui de sa démonstration, il met en exergue un détail : l'une des sociétés offshore utilisées en 1992 par le Crédit lyonnais pour l'acquisition masquée d'Executive Life apparaît aussi dans le montage de la banque pour la cession d'Adidas, dans des conditions qui accréditent la recherche, par les banquiers, d'une certaine opacité
En écho, l'entourage de M. Sarkozy invoque deux rapports confidentiels, l'un de la direction du Trésor et l'autre du parquet général de Paris que la chancellerie n'a cependant pas vu passer : la conjugaison du "risque financier" des procès en cours et du "manque de transparence" des opérations de la banque qui y était évoqué aurait emporté la conviction du ministre. La décision de M. Sarkozy d'ouvrir une procédure de médiation s'est alors imposée, contre leur gré, aux services et établissements concernés, ainsi qu'en témoignent les archives internes de Bercy. Le 23 septembre 2004, le conseil d'administration du CDR où siègent des représentants de l'Etat avait voté à l'unanimité contre la demande de médiation. Le 26 octobre, le président du CDR, Jean-Pierre Aubert, expliquait devant son organisme de tutelle, l'Etablissement public de financement et de restructuration (EPFR), que le choix d'une telle procédure "pourrait être interprété comme l'expression d'un doute du CDR sur sa propre position". "La justice doit s'exercer sur M. Tapie. Accepter la médiation reviendrait à plaider coupable !", tempêtait même le député (UDF) Charles-Amédée de Courson, l'un des deux élus qui siègent au conseil de l'EPFR.
Mais une fois présentée par le délégué du Trésor la "position validée par le ministre d'Etat", le déclenchement de la médiation fut approuvé par 3 voix contre 2 (celles des deux parlementaires). Tout au plus le président de l'EPFR, l'inspecteur des finances Bertrand Schneitter, s'inquiéta-t-il de ce que la procédure à venir n'entraîne "aucun débordement financier".
De fait, l'une des conditions confidentiellement assignées au médiateur consiste à ce que l'éventuel compromis ne comporte "aucun paiement en numéraire au bénéfice des époux Tapie". En clair : la médiation peut aboutir à remettre les comptes de l'ancien ministre à zéro, mais elle ne saurait lui permettre de refaire fortune grâce à l'argent public. S'y ajoute une contrainte mise en lumière par l'expert-comptable René Ricol, qui assiste M. Burgelin dans la médiation : le rétablissement des sociétés de M. Tapie exigerait le paiement de millions d'euros d'impôts correspondants ; de sorte qu'à peine renfloué, celui-ci s'avérerait à nouveau incapable de payer le fisc. Tout recommencerait alors comme avant...
Tout ? A dire vrai, son train de vie fastueux n'a guère varié, pas plus que ses manières peu orthodoxes. M. Tapie roule en 4 × 4 Mercedes ou en Porsche, part toujours en vacances sur l'Adriatique, en Corse ou à Ibiza, à l'invitation d'intermédiaires du football qui lui doivent en partie leur fortune. Ses cachets de théâtre et de télévision lui rapportent gros "au moins 300 000 euros par an", estime un de ses proches , mais il ne verse plus depuis un an et demi la quote-part due à ses liquidateurs : un tiers de tous ses revenus, en vertu d'une convention signée le 18 novembre 1998 au nom de la société Demain l'événement, créée par l'un de ses fils, Laurent Tapie, pour exploiter les droits liés à son image et percevoir en son nom les fruits de ses prestations artistiques.
C'est cette société, dont il n'est officiellement que le salarié "Un poil moins de 50 000 francs - 7 600 euros - par mois", précise-il qui acquitte ses impôts et prend en charge le gros de ses frais personnels. Mais elle ne dépose pas ses comptes au tribunal de commerce comme la loi l'exige et, faute d'informations précises, la juridiction a dû désigner un expert pour tenir à jour la liste exhaustive des sources de revenus de l'entreprenant "liquidé". Il est en revanche établi que Demain l'événement a signé, en 1999, le bail de la somptueuse propriété qui abrite les week-ends de la famille Tapie à Combs-la-Ville (Seine-et-Marne) : quatre bâtiments luxueusement aménagés et 40 000 m2 de terrain avec piscine, tennis et poulaillers, qui appartenaient à Helena Rubinstein, la reine des cosmétiques, avant d'être rachetés par une société anglaise, Themepark Properties, que M. Tapie présente comme "une filiale des fonds de pension qui contrôlent les chemins de fer britanniques" mais qui se révèle n'être qu'une de ces shell companies ("sociétés coquilles") appréciées des investisseurs d'outre-Manche pour leur discrétion, puisque les titres sont au porteur...
Fixé à 5 030 euros par mois, le loyer n'est toutefois plus acquitté depuis le mois de septembre 2001, au point que les avocats de Themepark ont obtenu du tribunal d'Evry, le 19 octobre 2004, l'expulsion du locataire et sa condamnation à régler 252 000 euros d'arriérés dont il fait appel. Dans l'intervalle, les agents du fisc avaient tenu à visiter les lieux, après avoir constaté qu'un étage entier de la villa principale était déclaré en locaux professionnels "des studios d'enregistrement", précise M. Tapie, alors sous contrat avec RMC et RTL9. Ils ont imposé une rectification.
Dans la semaine, le milliardaire déchu réside toujours, avec femme, enfants et petits-enfants, dans son fameux hôtel particulier de la rue des Saints-Pères, à Paris. Longtemps bloquée par un recours du CDR, la mise en vente du bâtiment estimé aux alentours de 30 millions d'euros est théoriquement possible depuis janvier 2001. Mais la dégradation d'un des murs a entraîné la publication, au printemps 2002, d'un "arrêté de péril" par la Préfecture de police, et les réparations n'ont pu être effectuées qu'en 2004 : M. Tapie et le CDR refusaient de payer la facture ; les mandataires-liquidateurs ont dû avancer les fonds.
En 1989, en pleine gloire médiatique et financière, M. Tapie avait acheté cette résidence au couturier Hubert de Givenchy pour 80 millions de francs somme intégralement empruntée au Crédit lyonnais et jamais remboursée. Il y avait disposé sa collection de meubles anciens, qu'il déménagea nuitamment, en 1994, pour la soustraire à une saisie de ses banquiers.
Quelle que soit l'issue de la médiation, M. Tapie a prévenu amis et adversaires qu'il ferait tout pour garder l'immeuble de ses années fastueuses, comme un rêve évanoui qu'il garderait, pour toujours, à portée de sa main. Au cas où...
Source le monde
attention notre bernard est de retour...
«Il va y avoir une grosse ambiance, ca c'est un fait, mais on ne peut pas la comparer avec celle d'Old Trafford ou du Vélodrome@josé.mourinho