par burzet » 04 Fév 2005, 10:33
troussier: « Je suis un chef de bande »
Pour la première fois depuis son arrivée à Marseille, fin novembre, Philippe Troussier a accepté d'accorder une interview hors des points presse traditionnels. Lundi après-midi, deux jours après un nouveau succès de son équipe à Toulouse (3-1), l'ancien sélectionneur du Japon s'est donc longuement confié dans un salon privé de l'hôtel Palm Beach, où il réside depuis plus de deux mois. L'occasion de parler avec lui de ses premiers mois à l'OM, de son image sulfureuse, mais aussi de son avenir avec le club marseillais et dans le football en général. À l'écouter parler, les deux semblent s'inscrire en pointillé. Son discours est à l'image de l'homme et de l'entraîneur : insolite. Mais il est aussi décapant lorsque Troussier décrit la mentalité française et décortique ses méthodes de travail, qu'il a dû assouplir à Marseille.
« LORSQUE L'OM vous a contacté pour la première fois, fin novembre, avez-vous pris cette proposition comme une chance considérable ?
PT: Non. Ça, ce sont les autres qui me l'ont dit. Moi, je ne voulais pas revenir en France. Dans ma tête, c'était hors de question.
Pourquoi ?
PT: Parce que ma manière de concevoir mon métier ne correspond pas à la mentalité française.
C'est-à-dire ?
PT: Je vois mal Van Gaal, Cuper ou Lippi entraîner un club français. Les deux mois que je viens de vivre me confortent dans cette idée. Dans l'état d'esprit français, la notion d'exigence n'existe pas. D'ailleurs, dès que les joueurs français quittent leur pays, ils sont surpris par cette exigence. En France, il n'y a pas forcément la culture de l'effort. En sachant cela, j'avais conscience que ma façon de concevoir le leadership et le management ne serait pas acceptée par mon propre peuple.
Pourquoi les joueurs auraient-ils tant de difficultés à accepter votre méthode ?
PT: Parce que, dans notre démocratie, le mot _diriger_ n'existe pas. Si j'avais un fils, je lui dirais : _Surtout, ne sois pas prof._ (Ironique.) Aujourd'hui, il faut susciter des attitudes : _Voulez-vous susciter la volonté de courir, monsieur ?_ Il faut du respect, des droits, mettre des formes...
Vous définiriez votre rôle comme celui d'un _chef de guerre_, alors...
PT: De guerre, non. Je suis un chef de bande. On doit se retrouver dans la même idée, au même moment. Il y entre une notion de dressage afin d'harmoniser les attitudes de chacun. Je suis comme un chef d'orchestre qui harmonise Jimi Hendrix avec les autres, alors que lui aimerait partir dans un solo de trente secondes. Moi, je lui dis : _Attends, là, tu nous fous dans la merde._ Lui me répond : _Oui, mais je suis le meilleur du monde._ Je me dois de lui répliquer : _Oui, oui, t'es le meilleur, mais ça ne suffit pas..._ Mon boulot, c'est depenser à la rentabilité du groupe.
En utilisant le terme _dressage_, vous savez que vous allez choquer...
PT:Oui. Mais je m'en fous. Choquer qui ?
C'est un terme qu'on utilise pour les animaux...
PT: Mais quand je dis dressage, j'évoque la notion de répétition. Si ce terme vous choque, permettez-moi de le retirer et remplacez _dressage_ par _orchestration_. C'est exactement la même chose. Je ne crois pas à la création. Si la part d'improvisation existe, elle doit être réduite.
Depuis que vous êtes à Marseille, vous avez quand même utilisé une méthode plus douce...
PT: Oui. Mais je ne me suis pas forcé. Je me suis juste adapté. Je suis parti de mon pays il y a quinze ans et, en fait, je ne me sens pas français. Alors, je me suis adapté à _l'ethnie_ française. Je découvre qu'il faut mettre les formes pour parler à un joueur, que le gars doit se sentir aimé, qu'il est important d'avoir une relation individuelle avec certains. Tout cela est donc forcément basé sur l'affectif, alors que moi, j'ai été habitué à être directif. En Italie, on appelle les joueurs par leur numéro. Si Capello débarque en France et qu'il fait ça, on criera au scandale. Dans le basket américain, c'est pire. Certains entraîneurs sont des fous furieux. Ils frappent les joueurs. C'est impensable en France.
« Je suis commeDave ou Sheila :je ne sortirai jamaisdes clichés »
Justement, on a dit que vous aviez déjà frappé des joueurs...
PT: Quand votre chien pisse par terre, vous lui mettez une claque. De l'extérieur, on dit : _Il a frappé son chien._ Mais le chien a juste pris une tape et il sait pourquoi. Si votre fils met de la confiture de groseille sur un tableau de maître, vous lui mettez une petite tarte. Vu de l'extérieur, cela devient : _Il frappe son fils._ Tant que la répression est juste...
Si on suit votre discours, tout aurait dû vous inciter à ne pas venir à l'OM. Pourquoi avoir accepté ?
PT: D'abord mes amis, qui m'ont dit : _C'est une grande chance, une grande reconnaissance._ Mais je savais déjà que ma technique de management n'était pas adaptée, et je le pense toujours...
Attendez, ce que vous dites est incroyable...
PT: Et pourquoi ? Je suis ici et j'en suis très heureux. Mon ego et ma fierté sont tellement développés que j'ai envie de réussir (Ironique;) Je sortais du Qatar, j'étais un tyran, on disait que je débarquais des Seychelles et me voici à l'OM !
À travers vos propos, vous cultivez vous-même cette image de _tyran_...
PT: Non Je sais juste que cette image me collera à la peau toute ma vie. Alors, je fais avec. Je suis comme Dave ou Sheila : je ne sortirai jamais des clichés.
Mais cette image ne vous dérange pas tant que cela...
PT: Disons que je préfère cette image à celle qui serait totalement opposée. Au moins, là, quand j'arrive quelque part, tout le monde est assis et écoute ce que je dis.
Votre relation avec Bixente Lizarazu s'est très mal passée. Est-ce un regret ?
PT:(Il souffle.) Il avait des a priori contre moi. Il voyait en moi le tyran et était donc bloqué. En outre, il n'a pas digéré que je l'écarte lors de mon premier match. Mais moi, je comptais sur lui. Finalement, il a pris la décision de nous quitter et je n'ai pas trop apprécié la teneur de ses propos à ce moment-là. Mais il a eu une carrière exceptionnelle et je lui souhaite vraiment de réussir son dernier challenge au Bayern Munich.
« J'arrive à un âge où j'ai envie de faire autre chose »
Vous avez abordé le thème de la reconnaissance. En aviez-vous besoin ?
PT:J'ai longtemps couru après ça. Ce n'est plus le cas.
Votre passage à l'OM peut quand même tout changer dans votre carrière...
PT:Bien sûr. Je passe d'une image exotique à une image plus sérieuse, entre guillemets.
À votre arrivée, le vestiaire était-il _sinistré_ ?
PT:Non, mais j'avais le sentiment qu'il ne vivait pas bien.
A-t-il changé ?
PT: Celui de la Commanderie n'a pas foncièrement changé. Celui du match, oui. Après la première victoire, à Caen (3-2), on ne sentait pas une joie démesurée. On était dans notre bulle, on voyait tous les autres comme des ennemis. Depuis, une grande harmonie s'est installée. À Toulouse (3-1), samedi, tout le monde s'est éclaté, moi le premier.
Pensez-vous pouvoir être champions de France ?
PT:On sait que c'est possible. On ne veut pas s'effacer de la course. Mais on ne va pas se mettre la pression en se disant : _Il faut être champions._
Lorsque vous évoquez votre aventure à Marseille, vous parlez essentiellement d'expérience et de passage. Allez-vous partir en juin ?
PT: Je n'ai jamais dit cela. Je souhaite simplement m'asseoir tranquillement à une table à la fin de la saison, brasser à nouveau les cartes pour savoir si je fais toujours confiance aux gens et si ces gens-là me font également toujours confiance. Je veux simplement savoir si je ferai toujours l'affaire en juin.
Si vous avez le choix, quels arguments vous feront rester ?
PT: Il est trop tôt pour en parler... Je ne sais pas. Comme je l'ai déjà dit tout à l'heure, j'ai quitté ce pays trop longtemps. J'ai développé une autre façon de concevoir les choses. J'en tiendrai compte. Ma décision ne sera pas non plus forcément liée aux résultats. La Ligue des champions ne me fait pas rêver. Pour moi, la Ligue des champions, ce n'est pas simplement un ticket pour s'y inscrire. Je veux que le club s'installe dans la stabilité. Ce n'est pas le cas actuellement. Je ne vais pas me dire : Youpi ! on a fini troisièmes, j'ai fait mon boulot, je suis devenu un grand entraîneur, et puis perdre tous les matches la saison d'après et m'entendre dire : _Casse-toi ! On va encore changer d'entraîneur._ Moi, j'ai une mission, j'ai des valeurs de travail, mon père était boucher, alors l'avenir, on verra ça plus tard.
Aujourd'hui, quelle serait votre réponse ?
PT:Joker.
Que risquez-vous à être transparent et à dire le fond de votre pensée ?
PT:Je ne le dirai pas.
Mais si on va au bout de votre logique, on peut imaginer que vous ne pensez pas pouvoir vous inscrire sur un projet à long terme à l'OM...
PT:En tout cas, ce sera l'une des conditions pour que je reste. D'ici au mois de juin, ces conditions seront peut-être remplies.
Ou pas...
PT:Ou pas, oui. C'est bien là le problème. Je n'ai pas envie de terminer comme José (Anigo), qui s'est sacrifié alors qu'il avait assuré l'essentiel.
On insiste, mais tout, dans vos propos, laisse croire que vous partirez en juin...
PT:Encore une fois, je n'ai jamais dit ça. Mais, de toute façon, j'arrive à un âge, cinquante ans, où j'ai envie de faire autre chose. Je ne me vois pas entraîneur toute ma vie. Ma carrière s'arrêtera dans peu de temps. Plein de choses entrent en ligne de compte, notamment ma santé. J'ai un problème d'arthrose à un genou. J'ai rendez-vous avec le professeur Saillant, la semaine prochaine. S'il me dit : _Tu te fais opérer demain_, j'arrête demain.
Demain, c'est juin ?
PT:Ça peut l'être.
À l'inverse, vos dirigeants pourraient également vouloir se séparer de vous...
PT:Exactement. Mais je ne l'oublie pas. »
Ecrit par lequipe papier
«Il va y avoir une grosse ambiance, ca c'est un fait, mais on ne peut pas la comparer avec celle d'Old Trafford ou du Vélodrome@josé.mourinho