l'équipe a écrit:ALAIN PERRIN, ex-manager de l’OM, analyse sans complaisance
les événements qui agitent le club phocéen.
« COMMENT interprétez-vous les soubresauts que vient de connaître l’Olympique de Marseille ?
– Pour être honnête, je n’ai pas tous les éléments pour juger de la situation. À la lecture de votre journal, aujourd’hui (hier), j’ai senti une reprise en main de Robert Louis-Dreyfus. Cela s’est confirmé ce soir (hier soir). Je l’ai déjà dit, dans les grands clubs, il faut des hommes forts à tous les postes de responsabilité. Combien de fois, à l’époque où j’étais manager du club, l’administratif est venu faire ingérence dans le sportif ? Je constate que la sanction est finalement tombée car le domaine sportif de l’OM n’a pas été assez protégé. L’administratif est trop intervenu dans le domaine du recrutement.
La règle fondamentale, c’est de protéger efficacement le sportif des turbulences liées aux résultats. À mon époque, on a voulu transférer des joueurs dans mon dos, mener une politique qui n’était pas forcément la meilleure possible, et tout ça sans mon consentement. Ce genre d’ingérence n’est pas acceptable. Il faut savoir ce que l’on veut !
– Dans ces circonstances, la démission de Christophe Bouchet vous paraît-elle logique ?
– Je ne sais pas s’il s’agit d’un choix personnel. Mais, compte tenu des choix qui ont été faits par le président depuis plusieurs mois, il s’est logiquement retrouvé en première ligne. Ce qui me surprend un peu, c’est qu’il ait donné sa démission. Mais la sanction est tombée car la politique sportive n’était pas suffisamment claire. Marseille voulait aller trop vite sur le plan financier. Nous avons eu le bonheur de connaître la Ligue des champions, et le club est allé en finale de la Coupe de l’UEFA. Mais la volonté était avant tout financière, au détriment du sportif. Nous n’avons pas utilisé à plein les ressources financières du club. On m’avait expliqué qu’il fallait dégager des bénéfices, et j’ai trouvé ces choix économiques discutables. On peut accepter de combler la dette, de mettre à jour une situation comptable compte tenu d’un héritage difficile, mais il faut savoir ce que l’on veut. Peut-être Marseille aurait-il dû conduire une politique financière plus souple malgré les embellies.
« Je n’en ai pas
voulu à Bouchet »
– Les choix de recrutement de l’intersaison doivent-ils être remis en cause ?
– Le casting est de qualité. Globalement, l’effectif est bon. Mais il aurait fallu mettre plus d’argent sur la table pour recruter un attaquant de pointe. C’était LA priorité. Côté défensif, nous avions recruté Barthez. La défense est solide. Au milieu, il y a de la qualité. Mais, en attaque, c’est un peu spécial. Peut-être Marseille ne pouvait-il pas refuser l’offre de Chelsea pour Drogba. Mais alors il fallait assurer au mieux son remplacement. Je ne vois pas où était le risque d’attendre une saison supplémentaire pour le vendre, sauf à penser qu’il n’était pas un attaquant de si grande qualité. Pour ma part, j’estime qu’il aurait été capable de renouveler les mêmes performances cette saison.
En juin, on aurait donc pu avoir d’autres clubs avec les mêmes tarifs. Il faut bien se rendre compte de ce que rapporte une qualification en Ligue des champions. L’argent perdu sur le transfert de Drogba aurait pu être récupéré via une qualification en Ligue des champions. Et il y a également toutes les recettes indirectes d’un bon parcours sportif.
– Finalement, il s’est passé beaucoup de choses depuis votre éviction début 2004…
– Je n’en ai pas voulu personnellement à Christophe Bouchet. Je pense qu’il a surtout été victime d’un manque de personnalité, qu’il a été manipulé par les conseillers gravitant autour de lui. Il a été trop réceptif à son environnement immédiat : la direction de la communication, la direction administrative. Philippe Troussier va reprendre les commandes du club. C’est un homme fort. Je le répète, il y a un effectif, globalement, de qualité. À la lumière des circonstances, il peut se souder, réagir et redevenir performant. Peut-être faudra-t-il également un petit réajustement offensif. Devant, le seul problème de l’effectif est un problème de complémentarité et de puissance. Mais cela ne se joue pas à grand-chose pour que Marseille retrouve des résultats.
– Êtes-vous optimiste pour la suite de la saison ?
– Je ne suis pas du tout inquiet pour Marseille. Dans un club, la réussite c’est une synergie de tous. Il y a la force des dirigeants, le potentiel des joueurs. Mais il faut, avant tout, des dirigeants forts et un environnement globalement favorable. Il va falloir maintenant que ceux qui tiennent la barre à Marseille soient costauds. Ils ont un rôle important à jouer dans la bonne tenue de l’équipe. »
Courbis :
« Philippe Troussier est une très forte personnalité qui a un super passé de sélectionneur, mais entraîneur et sélectionneur sont deux métiers différents.
Et être entraîneur à Marseille est quelque chose de très particulier.
Je pense que Philippe saura faire ce qu’il faut dans cette situation particulière. Humainement et sportivement, je le connais depuis vingt ans. Quand j’étais entraîneur d’Al-Wadha et lui au Qatar, on a eu la chance de se croiser alors que nos deux équipes étaient en stage. On a eu de longs échanges et des discussions enlevées sur le monde professionnel. Il a l’envergure et l’étoffe pour réussir. »