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13 Nov 2004, 16:41
Interview d'Anigo (la Provence)
Après la deuxième défaite en quatre jours contre le PSG, José Anigo a présenté sa démission. Ce soir, pour recevoir Strasbourg en championnat dans un stade Vélodrome appelé à être déserté par une majorité de supporters, l'entraîneur marseillais soutenu par la majorité de ses joueurs sera à son poste, sur le banc. Déterminé à vaincre.
Comment en est-on arrivé à cette situation délicate en si peu de temps, avec des recrues d'un niveau unanimement reconnu ? Etait-ce prévisible ? Le mal se révèle-t-il profond ? Des fautes ont-elles été commises ? Quelle est la marge de manoeuvre du coach ? Quels sont les moyens de sortir de cette crise ? Avec sa franchise habituelle, José Anigo a accepté de rompre le silence observé depuis le début de la semaine.
- José, que s'est-il exactement passé dans les vestiaires, mercredi soir, après le match ?
"J'ai demandé à Pape Diouf et à Christophe Bouchet de me remplacer. J'étais dans un tel état de honte ! En fait, j'étais dans le même état que le public marseillais. Je viens du même endroit que lui et j'ai la même fibre que lui.
"Je pensais que cette décision était plus logique, aussi bien pour moi que pour le club.
Mais à partir du moment où j'ai dit cela, beaucoup de joueurs s'y sont opposés.
"Dimanche, je reverrai Pape et Christophe pour évoquer mon avenir. Aujourd'hui, j'ai trop envie de me battre et de ne pas laisser tomber."
- Quand avez-vous pris la décision de démissionner ?
"Dans le couloir du Parc des Princes. Le match à Paris m'a flingué. Je ne veux plus vivre avec ce sentiment de honte. Je ne veux pas me sentir mal à l'aise avec ma conscience. J'ai peur de parler à mes voisins, de croiser le regard des gens dans la rue. Ça ne vient pas d'eux mais de moi. Je me sens sale de ne pas donner le bonheur que les Marseillais attendent.
"Si mercredi en Coupe, on s'était qualifié, j'aurais quand même présenté ma démission. Dans ma tête, on aurait alors "purgé" Paris et je serais parti la tête haute.
"Je le répète souvent, mais je suis issu des quartiers. Je suis devenu ce que je suis grâce à l'OM. J'étais parti pour avoir une vie de merde, j'ai eu la chance d'écrire une page du club qui a marqué les esprits et je suis redevable."
- Est-ce la première fois que vous voulez partir, ou plutôt retourner au centre de formation ?
"Non. Après la finale de Göteborg, je voulais arrêter. Une personne m'a demandé de rester. Vous savez laquelle ? Didier Drogba. Il m'a rejoint à un anniversaire, il a discuté avec mon épouse, il a aussi trouvé les mots pour me convaincre. Nous étions trois dans la confidence.
"On a construit ensemble, m'a dit Didier, on continue donc le chemin ensemble". Vous comprendrez donc que, lorsqu'il est parti, je me suis senti orphelin."
- N'avez-vous pas commis une erreur en ne mettant pas tout votre poids pour le retenir ?
"Sans doute. Toutefois, on ne peut rien reprocher à personne sur son transfert. Didier était mal à l'aise, mais il s'est posé lui aussi la question de son départ. Les conditions de Chelsea étaient telles que cette issue était devenue inéluctable.
"En revanche, on peut peut-être nous reprocher de ne pas avoir recruté un autre "monstre".
- Avec le montant du transfert de Drogba, était-ce donc impossible ?
"Je ne sais pas. J'avais établi une liste de cinq joueurs et il m'a été répondu que ce n'était pas réalisable. Ensuite, on nous a proposé Peguy Luyindula qui, à la base, n'était pas transférable. Mais je savais que c'était un bon joueur, international, champion de France et meilleur buteur de son club.
"Aujourd'hui, certains font toujours croire que je ne voulais pas de lui, simplement parce qu'il ne figurait pas sur cette liste de base. Ça plombe Peguy qui en souffre et ça plombe l'entraîneur. Il y a mille choses de ce type."
- Ces derniers jours, l'attitude solidaire du groupe vous a-t-elle surpris ?
"Les joueurs ne font pas bloc avec toi parce que tu es leur copain. S'ils ne prennent pas de plaisir, si tu n'as pas de compétences, si tes entraînements sont nuls, ils s'en rendent compte. "Je ne fais peut-être pas l'unanimité et cela serait d'ailleurs suspect. Des joueurs m'ont dit : "On a commencé le projet avec toi. Si tu t'en vas, on s'en va." Aucun ne peut dire que je n'ai pas été honnête avec lui. Je n'ai bafoué aucune dignité, j'ai été respectueux de tous.
"Ces moments difficiles seront peut-être les moments forts de la saison. "
- Est-il normal que des joueurs attendent deux mois avant de mettre les pieds dans le centre de Marseille ?
"Aujourd'hui, quand on engage un joueur, on a tendance à lui retenir une maison hors de Marseille, à l'éloigner d'un contexte dans lequel on le replonge brutalement le jour du match. On le protège, on le sur-protège... Il faut arrêter. Venir à l'OM, c'est connaître tous les paramètres,l'environnement..."
- Est-ce vraiment le contexte qui les freine ?
"Tout part de là et tout le monde en est coupable. Nous avons commencé la saison un peu plombés. Pas mal de joueurs sont venus à l'OM avec l'idée que Didier Drogba restait au club. Et on l'a vendu, pour des raisons logiques. Ces joueurs-là pensaient peut-être qu'avec Didier, ils auraient moins de poids sur les épaules."
- La tunique de I'OM pèse-t-elle donc si lourd ?
"Depuis que j'ai pris mes fonctions,je me demande pourquoi autant de grands joueurs et d'entraîneurs n'ont pas réussi à Marseille.
Aujourd'hui, on peut dire qu'Anigo n'a pas le niveau. Mais les autres ? Ivic, Braga, Clemente, Casoni, Courbis, Perrin... pas un n'a tenu plus de vingt mois.
"Le passé du club nous rattrape tous. On est en perpétuelle comparaison avec l'histoire. Comment expliquer qu'après avoir quitté l'OM par la petite porte, Pires ait explosé à Arsenal, Makelele soit devenu un cadre du Real Madrid, Luccin poursuive une belle carrière en Espagne, Marcelinho soit devenu une vedette en Allemagne... Il y a des tas d'exemples comme ceux-là. Pourquoi ?
- On ne peut quand même pas imaginer que le poids du passé de l'OM soit plus lourd que celui du Real ?
"Non. Mais, ici, il y a en plus le poids de l'impatience. Le seul joueur qui ait "explosé" à Marseille depuis dix ans, c'est Drogba."
- Pourquoi ?
"Question de mental."
- Avez-vous bien expliqué le contexte aux nouvelles recrues ?
"Tous en étaient conscients. Ce sont des garçons intelligents, pas des tricheurs. Ils ont tous la volonté de faire de l'OM un grand club. En dehors du terrain, ils sont tous intéressants et lucides. Mais ils sont tributaires du passé et de la gloire de l'OM. Il faut pourtant se rendre à l'évidence. Aujourd'hui, ce n'est plus le grand club d'hier. On repart de zéro. Il faut reconstruire, ça prend du temps, et on n'en a pas."
- La saison dernière, avec un buteur (Drogba), un jeune marseillais (Flamini), des joueurs de devoir (Dos Santos), on pensait que cette construction était en marche. Et tous sont partis. Il n'y a encore plus de repères...
"La gestion n'a peut-être pas été faite comme il fallait."
- Il est donc logique que les gens ne parviennent pas s'identifier à un club en perpétuel mouvement...
"Les gens se sont reconnus en Tapie parce qu'il avait une culture de la gagne. Aujourd'hui, cette culture a disparu."
- Pouvez-vous préciser ?
"A Paris, dans les yeux de nos adversaires, j'ai vu la haine, la rage de vaincre. Et ils vont loin dans le raisonnement. Imaginez qu'ils ont interdit à leurs joueurs et à leur staff de nous serrer la main, nous dire bonjour. Ils ont mis à pied deux kinés, coupables d'être allés boire une bière avec Heinze et Fiorèse.
"Sans pousser autant à l'extrême, c'est cette rage que je veux revoir chez nous, à tous les niveaux du club. Je regrette de pas pouvoir jouer ces matches.
"L'impact physique, l'engagement, on l'a eu contre Monnaco et Paris au Vélodrome. Mais c'est trop irrégulier."
- Quelle est la différer avec la saison dernière ?
"Il y avait un projet global autour de Drogba. Tout le monde bossait et lui, il finissait."
- Avez-vous senti la crise venir ?
"Non. Je ne l'ai pas vue arriver. A Nice, il y a eu un malaise. Dans notre gestion interne, on aurait pu dire aux joueurs qu'ils avaient réalisé une bonne perf. Mais à l'OM, on est dans une telle logique d'exigence, qu'on leur a fait part de notre mécontentement. Ils venaient d'obtenir un match nul à l'extérieur et ils n'ont pas compris. Nous avons commis une erreur."
- Vous avez réclamé un "tueur". Mais quand on mène 2 à 0 devant son public et qu'on perd...
(Il coupe) " Tu rentres dans un système où tu te sens obligé de donner toujours plus."
- Ils voulaient marquer un troisième but !
"Ils voulaient tuer le match. On s'est laissé enflammer, on s'est exposé. L'ambiance du stade était merveilleuse, européenne. Je me suis surpris moi-même à calmer les mecs, mais dans la folie, l'euphorie, plus personne ne t'entend. Toutes les bases et les données tactiques explosent. C'est dans ces moments-là que l'entraîneur a besoin de leaders sur le terrain, capables de recadrer l'équipe."
- Que manque-t-il principalement à votre équipe ?
"Individuellement, ils ont du talent. Mais il y a un manque de complicité dans le jeu. Humainement, ce sont des joueurs extraordinaires et je voudrais les voir sur le terrain comme ils sont au-dehors. Solidaires et généreux. Ils n'ont pas encore compris qu'on était tous sur le même bateau, actuellement dans des eaux agitées. Pour retrouver des eaux calmes, il va falloir que tout le monde rame avec la même force, un mental égal. Les joueurs doivent se persuader que le salut ne peut être que collectif. Tu vis ensemble, tu meurs ensemble. S'ils comprennent ça, on fera de belles choses. Je voudrais voir des lions, même sur le banc de touche."
- Et vous ?
"Moi, j'ai envie d'essayer de me battre. J'ai pensé réellement être la clé du problème. Je ne supporterai pas longtemps cette situation, je ne veux pas vivre avec ce sentiment de honte, me sentir mal à l'aise avec ma conscience."
- Qu'allez-vous dire à votre groupe avant d'affronter Strasbourg ?
"Aujourd'hui, il faut mettre les états d'âme de côté. Qu'a-t-on à perdre ? Le public ne peut pas être plus déçu, l'entraîneur a présenté sa démission et les joueurs sont montés au créneau. Si vraiment, ils ont envie d'être autour de moi, comme ils le prétendent, et je le crois, alors je vais leur dire : "Aidez-moi, aidez-moi à gagner des matches." Si tel n'est pas le cas, je prendrai mes responsabilités et le club sera obligé de faire avec..."