Information
La folle histoire du transfert d’Imbula
Vente de complaisance, tentative d’achat de parts du joueur malgré l’interdiction, commission à un agent banni : le transfert en 2015 du Français Giannelli Imbula de l’Olympique de Marseille à Porto est un nid d’embrouilles concocté par Doyen, alors en pleine lune de miel avec le club phocéen.
Il y a des joueurs dont on dirait qu'ils attirent les espoirs de gains. Le Franco-belge Giannelli Imbula, 24 ans, est de ceux là. Entre l’été 2015 et février 2016, le milieu défensif français s’est retrouvé au cœur d’un imbroglio orchestré par l’Olympique de Marseille et le fonds d’investissement Doyen Sports. Imbula a d’abord été vendu, sans doute pour faire plaisir à l’OM, à un club (le FC Porto) qui ne pouvait pas se l’offrir, avec au passage un projet illégal d’achat de la moitié de ses droits par le patron de Doyen. Puis le joueur s’est retrouvé transbahuté en Angleterre par un agent banni qui s’est enrichi au passage. Une histoire emblématique de la folie du foot business, que Mediapart a pu reconstituer grâce aux documents Football Leaks.
Tout commence lors du mercato de l’été 2015. Les finances de l’OM sont dans le rouge, comme d’habitude. Et la propriétaire, Margarita Louis-Dreyfus, fait pression sur les dirigeants du club, Philippe Perez et Vincent Labrune, pour qu’ils fassent rentrer du cash en vendant les meilleurs joueurs. Parmi eux, il y a Giannelli Imbula. Son transfert est confié à Nelio Lucas, le patron du fonds Doyen Sports. Il est alors en pleine opération d’infiltration de l’OM, dont il espère faire sa tête de pont en France, et où il vient de faire rentrer l’un de ses poulains, l’entraîneur Michel (lire notre enquête ici).
Imbula voulait aller à l’Inter de Milan, qui s’intéressait à lui. Mais comme l’ont raconté Les Cahiers du Football, le club italien choisit au dernier moment, le 20 juin, d’acheter un autre Français, Geoffrey Kondogbia, un ex-poulain de Doyen Sports (lire notre enquête ici). Giannelli Imbula reste sur le carreau.
Qu’à cela ne tienne, Nelio Lucas se charge de trouver un plan B. Il réussit à forcer la main du FC Porto. Le club n’a pas les moyens d’acheter Imbula, mais il ne peut rien refuser au patron de Doyen, qui est l’un de ses principaux financeurs. Le 30 juin, à peine dix jours après le refus de l’Inter, c’est plié. On sait, grâce aux documents Football Leaks, que Nelio Lucas a payé les aller-retours Orly-Porto pour la signature, au joueur (1057 euros), à son père et agent Willy Ndangi Manengo (687 euros) et à leur l'avocat (même tarif). La facture a été réglée par le compte au Liechtenstein de sa coquille maltaise Vela.
Porto a cassé sa tirelire : le club paye Imbula 20 millions d’euros, le plus gros achat de son histoire. Il doit d’abord payer deux fois 5 millions cet été, et les 10 millions restants un an plus tard. Mais Porto, dont les finances sont catastrophiques, n’a pas un sou. La vente est bâtie sur du sable.
Pour que Porto accepte malgré tout d’acheter Imbula, Nelio Lucas a promis qu’il allait revendre le joueur très vite et très cher. C’est ce que montre le mandat de vente accordé le 29 septembre par Porto à Vela, la société offshore de Nelio Lucas (notre document ci-dessous). Le club s’engage à accepter toute offre ferme au moins égale à 30 millions d’euros apportée par le patron de Doyen.
Mais en attendant, le club est toujours incapable de payer quoi que ce soit. Il n’honore pas la première échéance de 5 millions le 30 juillet. Et une seconde, du même montant, va arriver le 15 septembre.
Nelio Lucas a mis Porto dans la mouise. Mais il a un plan. « Je vais voir s'il y a un moyen pour qu'on investisse dans Imbula », écrit-il dès le 8 juillet à l’un de ses collègues de Doyen, dans un mail confidentiel issu des Football Leaks. En achetant des parts du joueur (c’est ce qu’on appelle la TPO), Lucas espère faire coup double : soulager les finances de Porto, et faire une grosse plus-value, puisqu’il est persuadé de le revendre 30 millions. Sauf que le projet est illégal : la TPO a été interdite deux mois plus tôt par la FIFA. L’un des avocats de Nelio Lucas lui a d’ailleurs formellement déconseillé de le faire. Mais l’homme n’est pas à ça près.
Le père et agent du joueur, Willy Ndangi menace de tout faire capoter. Le 5 juillet, il glisse dans le Journal du Dimanche que « Porto a trouvé un accord avec Doyen Sports, qui a mis un peu de sous pour que la transaction se fasse ». Il a beau ajouter que « Doyen n'a aucun droit sur Giannelli », le mal est fait : tout le monde flaire la TPO.
Doyen et Porto doivent ramer pour démentir auprès de la presse, et se retrouvent avec la FIFA sur le dos. « Selon nos informations, il semble qu'une ou des tierces parties ont passé un accord avec votre club à propos de ce joueur », s'inquiète le service « intégrité et conformité » de la fédération internationale, dans un courrier du 22 juillet au FC Porto. « Porto est le seul propriétaire des droits économiques et sportifs », répond son président Urgel Martins.
Sauf que le projet illégal est toujours dans les tuyaux. Le 1e août, un second avocat manifestement plus flexible que le premier envoie à Nelio Lucas un contrat nommé « Projet Imbula ». Le document prévoit d’acheter 50% du joueur pour 10 millions d’euros, pile la somme que Porto est incapable de payer à Marseille. Mais c’est manifestement trop risqué pour Doyen : Nelio Lucas a décidé le mener à titre personnel, via sa société offshore Vela.
Lucas n’ayant lui-même pas assez d’argent, le contrat prévoit qu’il s’associe à 50-50 avec un autre investisseur, qui apporterait 5 millions. Le même jour, il propose le deal au patron d'une agence sportive basée aux Emirats Arabes Unis : « Tu trouveras ci-joint le contrat concernant l'investissement dans le joueur Imbula. [...] C'est un vrai partenariat entre nous. [...] Tu auras droit à 25% sur un futur transfert d'Imbula, qui, je n'en doute pas, aura lieu à l'été prochain et pour une très grosse somme. » Il conclut par cet avertissement : « N'oublie pas que cet investissement doit rester COMPLETEMENT CONFIDENTIEL. Personne ne doit en être informé. »
On ignore si le deal s’est concrétisé. Cela n’en a pas l’air, puisque Porto n’a pas pu régler la seconde échéance du 15 septembre. Le jour même, l'OM menace d'attaquer en justice le club portugais s'il ne paye pas illico l’ardoise 9,65 millions d'euros (notre document ci-dessous). Puis de façon mystérieuse, l’argent finit par arriver puisque l’OM ne se plaint plus. Néanmoins, le club phocéen céde prudemment sa seconde créance, d’un montant identique, au fonds londonien XXIII Capital. Charge à lui désormais d’aller récupérer l’argent à Porto à partir du 15 juillet 2016, date de son recouvrement.
"Je suis sûr que vous allez faire un super business à la fin »
Mais comment Porto a-t-il pu payer la première échéance ? Les protagonistes livrent des explications évasives à Libération trois mois plus tard. « Sans Doyen, Giannelli n’aurait jamais terminé à Porto, confie Willy Ndangi, père du joueur. Porto n’avait que 10 M€ à proposer à l’OM, ils en ont trouvé 10 autres. » Comment ? Nelio Lucas enchaîne : « Quand l’OM m’a dit : ‘‘Je veux 20 M€ pour Imbula”, c’était impossible pour Porto. Je les ai trouvés, ces 20 M€. J’ai dit aux dirigeants de Porto : ‘‘C’est très cher, mais c’est un bon investissement, je suis sûr que vous allez faire un superbusiness à la fin.” »
L'interview avec Libération se déroulant en marge d'un match de Ligue des champions Porto-Chelsea, Nelio Lucas interpelle le journaliste : « Vous l’avez vu ce soir, face à Chelsea ? Porto va récupérer plus de 20 M€ sur Imbula. Tout le monde est content. Malheureusement, je n’ai pas d’argent dedans. » Nelio Lucas n’aurait donc pas fait de TPO, mais ne dit pas d’où est venu l’argent.
En marge de ce match à Porto, le journaliste aperçoit Nelio Lucas devisant avec son ami Luciano D’Onofrio, l’ex-agent star de Zidane, banni pour corruption, mais qui continue à sévir, surtout avec Porto (lire notre enquête ici). Lucas rêvait de revendre Imbula 30 millions d’euros l’été suivant. Mais Porto, toujours étranglé par les dettes, doit le céder au plus vite. Le 13 janvier 2016, Imbula part pour Stoke City pour 24 millions d'euros. Comme précédemment à Porto, c'est le plus gros transfert de l'histoire du club anglais.
Ce n’est pas Lucas, mais très probablement Luciano D'Onofrio qui rafle la mise : 1,2 million d’euros, soit 30 % de la plus-value de Porto. C’est en tout cas son éternel homme de paille, Maurizio Delmenico, qui signe les papiers et encaisse l’argent par le truchement de la société écran néerlandaise Kick International, déjà impliquée dans l’affaire de blanchiment visant D’Onofrio en Belgique. Le contrat est antidaté, puisqu’il est envoyé le 1er février pour signature le 13 janvier.
Mais les rumeurs de TPO continuent. La fédération britannique (FA, Football Association) s'inquiète, le 1er février, auprès de Stoke City. « La FA nous a joints pour nous prévenir qu'ils ont de "solides preuves" selon lesquelles un accord a existé entre le FC Porto et une société appelée Doyen Sports concernant ce joueur », écrit le secrétaire adjoint de Stoke, Andrew Penn, au club portugais. Qui aimerait en avoir le cœur net : « Un tel accord a-t-il existé ? Si oui, est-il toujours valide, ou a-t-il été annulé (si oui, quand ?) ? S'il est toujours valable, le club peut-il donner l'assurance qu'il y sera mis fin avant que le joueur ne s'enregistre auprès de la FA et de la Premier League ? » Stoke veut des réponses « urgentes ».
Raul Costa, directeur juridique du FC Porto, le rassure le jour même : « Le FC Porto n'a jamais passé d'accord avec Doyen à propos de ce joueur. » Mais le club portugais doit aussi affronter la Fifa, qui revient à la charge le 23 février 2016. Son président Urgel Martins s'y colle à nouveau. Non, il n'y a « jamais eu d'accord avec Doyen » lors des deux transferts depuis l'OM et vers Stoke. Non, il n'y a pas d'accords secrets. Non, « aucun paiement » n'a été fait ou promis à des tierces parties. Mais on ne sait toujours pas comment Porto a pu finalement payer les 10 premiers millions d’Imbula…
Parallèlement, un contentieux se développe entre Imbula et son ancien club de Porto sur différents paiements au titre du droit à l'image, de primes à la signature et de commissions d'agent. Le père du joueur estime que Porto leur doit encore 150 000 euros et presse Stoke de l'aider à les récupérer : « Votre action rapide serait grandement appréciée », écrit-il au club anglais. Curieusement, Nelio Lucas est un des destinataires de ce mail. La demande semble excéder Raul Costa, le directeur juridique de Porto, pour qui c'est plutôt le joueur qui leur doit 371 000 euros. Il demande à son président Urgel Martins d'éclaircir la situation : « Il faut faire une réponse finale à ce type. Envoyez-nous SVP les détails des paiements et des sommes dues par cet athlète. »
Les documents Football Leaks ne disent pas comment tout cela s'est terminé. Mais ils révèlent que la version du transfert OM-Porto, enregistrée le 1er juillet 2015 auprès de Fifa TMS, ne mentionne aucun agent, ni pour l'OM, ni pour le joueur. Curieux. Et alors que le président de Porto a soutenu que le contrat de transfert était le seul document, il existe, dans les documents Football Leaks, deux avenants non enregistrés : l'un prévoit une prime supplémentaire de 500 000 euros, un autre promet 1,5 million pour le joueur s'il est transféré plus de 30 millions.
Dès le 5 juillet, le père du joueur, Willy Ndangi, avait démenti dans le JDD la rumeur d’une possible commission de 2 millions d’euros : « Ni Giannelli, ni moi, ni notre avocat Me Bertrand n'avons touché la moindre somme de Doyen. C'est clean comme de l'eau de source. » Et d’ajouter que « Doyen n'a aucun droit sur Giannelli. Mon fils n'a qu'un contrat, avec Porto. Il reste maître de son destin. »
Le papa d’Imbula a assuré à L'Équipe qu'il n'est pas du genre à se laisser faire : « Un mois environ avant que Giannelli signe à Marseille, j’ai eu une réunion avec une structure en affaires avec Chelsea. Mais les gens voulaient la mainmise sur le joueur pendant cinq ans. Vous voyez le système Kondogbia, Mangala et tralala… J’ai refusé l’argent (1 million d'euros) […]. Le footballeur, il faut qu’il soit libre, qu’il maîtrise sa carrière et son salaire. Je ne voulais pas que Giannelli ait une laisse autour du cou. »
Ces opérations nébuleuses n'ont pas porté chance à Giannelli Imbula sur le plan sportif. Prometteur à Marseille, le milieu n'a pas brillé à Porto, ce qui interroge sur la raison qui a poussé Stoke à l'acheter 4 millions plus cher que le club portugais. Imbula a été tout aussi transparent à Stoke, où il n'a quasiment pas joué depuis la rentrée de septembre. « Je pense avoir été très mauvais en début de saison, a-t-il confié fin novembre au magazine So Foot. Je sais que je jouais vraiment mal. »
