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CHRISTOPHE BOUCHET; " Quand j'arrive, on est dans une espèce de farce..."
"totalement improbable""Il n'y a pas une journée sans que quelqu'un ne me parle du club. Il y a une espèce de fascination""Je ne me voyais pas conduire la Fiat 500 quand j'avais conduit la Ferrari"
Racontez-nous le jour où vous arrivez à l'OM.
On est dans une espèce de farce, de vaudeville ubuesque où le club est dirigé par un triumvirat composé de Pierre Dubiton, Etienne Ceccaldi et Bernard Tapie. Totalement improbable. Tapie ne déteste pas les deux autres, il s'en fout. Les deux autres se détestent. C'est l'OM, on a été champion d'Europe il n'y a pas si longtemps, mais quand j'arrive dans les locaux, rue Négresko, ça fout un coup au moral. Ce sont des vieux bureaux, on se croirait à la Sécurité sociale d'après-guerre. Il n'y a pas une photo au mur, rien. Là, waouh ! On se dit que ça va être chaud.
On avait bien vu que Tapie avait fait 58 mouvements en une saison, donc on se doutait bien que là-dessous quand on allait soulever ça n'allait pas forcément sentir la rose. Ça ne sentait pas la rose.
Comment s'est passée la passation avec Bernard Tapie ?
Évidemment, ceux qui se sont fait mettre dehors manu militari, Dubiton et Ceccaldi, l'ont mal vécu, on peut les comprendre. Tapie, ça a été le plus étonnant. J'étais son ennemi intime. Ça s'est plutôt moins mal passé que je l'avais imaginé. Croyant bien le connaître, je me suis rendu compte quand même à quel point il était à la fois totalement piqué de foot et totalement dépassé. Tapie, qui était d'une intelligence instinctive unique, n'avait pas compris l'arrêt Bosman, il n'avait pas pris le virage. Il s'est mis à prendre des demi-sel, lui dont on pensait qu'il avait le nez absolu avec les Stojkovic, Waddle, Völler, Förster... On s'est aperçu qu'il n'avait pas ce nez-là, on avait des joueurs de second rang.
Le premier héritage, quand j'arrive, c'est le manque de compréhension de Bosman et l'absence, qui est quasi structurelle à l'OM, de structuration du club. Si le club, à un moment donné, s'était structuré convenablement, durablement, avec une stabilité, on n'en serait pas là aujourd'hui. Pour 1 000 raisons, personne n'a réussi à le bâtir. C'est ce que j'ai cherché à faire, tout de suite... Mais j'ai eu un tort manifeste : vouloir essayer de faire ça en deux ans, alors qu'il fallait dix ans. Quand on veut aller trop vite, ça ne marche pas. Il faut se souvenir qu'on avait signé Flamini, Nasri, Yahiaoui et d'autres, là-dessus on avait une plateforme de possibilités qui est extraordinaire et que personne n'a voulu continuer. Parce que les dirigeants se sont plus servis de l'OM qu'ils ont servi l'OM. Le manque d'implication, depuis Tapie, des deux actionnaires finalement a fait le reste.
Votre meilleur souvenir à l'OM ?
(Il réfléchit) Le match contre Newcastle, la campagne européenne. On bat Liverpool qui sera champion d'Europe l'année suivante, l'Inter Milan, Newcastle. Le but à l'extérieur à Milan de Camel Meriem, un grand moment. Les buts de Drogba contre Newcastle. Ça fait partie des trois matches toutes époques confondues que les supporters ont le plus gardés en mémoire. Liverpool, c'est un souvenir plus sectorisé. C'est le premier match où Fabien Barthez revient en Angleterre. Là-bas, je mesure l'incroyable étanchéité de Fabien. Il s'échauffe devant 40 000 personnes qui le sifflent : il est imperturbable.
Votre pire souvenir ?
Ce n'est pas Valence, qui reste pour moi un sujet d'incompréhension et d'amertume. (La fin de sa présidence) Elle est apaisée, elle est simple. J'avais 10 % du club, on est co-actionnaires avec Robert, même si à 90-10 on ne tirait pas dans la même cour. Mais, ça m'obligeait (lire aussi ci-contre). Un jour, Robert m'a montré qu'il ne me faisait plus confiance, je lui ai dit : "Écoutez, moi je ne mouille pas le maillot si vous n'avez plus confiance en moi. Je m'en vais". Il ne m'a pas retenu. Derrière lui, il y avait le duo Acariès-Labrune, ils ont montré pourquoi ils agissaient ainsi.
Je pense qu'on aurait pu faire un attelage magique avec Pape (Diouf). Lui en première ligne, au sportif, et moi à la structuration du club. C'est moi qui l'ai fait venir. Il a été mon ami intime : on a été journalistes ensemble, on partageait le riz au poisson sur la Canebière dans un restaurant sénégalais. Pape s'est occupé du sportif. Bien. Mais il était mal entouré. Les présidents sont devenus des mercenaires, c'est comme ça. Je reste persuadé qu'une incarnation, quelqu'un dont on sent qu'il a envie de bâtir, serait mieux que des gens de passage qui font des transferts. Depuis Pape jusqu'à Pablo (Longoria), ils n'ont pas en priorité de structurer le club. Ce club ne se structure jamais complètement, c'est un inconvénient majeur.
Le pire souvenir : j'aurais dû avoir le courage, quand on va jouer au PSG, que le bus est caillassé à coups de barrières et de boules de pétanque, que José (Anigo) est légèrement blessé, qu'il y a des cris de singe et homophobes, de dire "On ne joue pas". C'est dur d'avoir un courage seul contre tout le monde.
Le joueur qui vous a le plus impressionné ?
Je mettrais sur une même ligne plusieurs d'entre eux. Barthez, avec, franchement, cette imperméabilité, cette capacité d'abstraction des éléments. C'est un morceau d'acier, Barthez. Un joueur impressionnant. Dans toute équipe qui se respecte, il faut un grand gardien.
Évidemment, Didier Drogba. On a l'impression en écoutant certains que ce sont les seuls neuf mois qui comptent dans l'histoire de l'OM. On l'a acheté parce qu'on pensait qu'il était un joueur en devenir, même s'il ne faut pas faire d'erreur historique : le vrai attaquant qu'on recrute à la base, c'est Mido. En fin de saison, on veut garder Didier. La Juve le veut, elle propose 20 M€. C'était le prix d'un grand attaquant à l'époque. On dit qu'on ne va pas s'en séparer à ce prix, sachant que le budget de l'OM est de 60 M€. On en parle, avec Philippe Piola et au sein du comité directeur : on ne lâche pas Didier. Je ne vise personne mais les gens disent : "Il ne faudrait pas qu'il se blesse", "Attention, c'est un grand joueur". Là, arrive une offre à 40. Après, c'était 37 parce que c'était en une seule fois. Je suis co-actionnaire et mon obsession est de structurer le club. Je dis à Robert qu'on a une offre à tel montant pour "DD". Lui me dit : "On le vend". Il ne s'oppose pas à la vente. Évidemment, il se serait blessé au bout de six mois à Chelsea, ma vie serait plus simple aujourd'hui. C'était un calvaire de voir partir Didier. Et la première victime du départ de Didier, c'est moi. Les gens m'accusent d'avoir voulu le vendre... La véritable erreur est qu'on ne doit pas vendre un joueur de ce calibre si on n'a pas trouvé son remplaçant avant. Après, on va surpayer Peguy (Luyindula), qui est un bon attaquant de Ligue 1 mais qui n'est pas Drogba. Le seul qui ne pouvait pas vendre Drogba, c'était Robert, même si je ne veux pas me défausser. La meilleure de toutes les solutions, c'était de garder Didier, personne au club n'était convaincu de ça. Tant qu'on a eu des offres très hautes ordinaires... Mais, là, le hic, ça a été l'arrivée d'Abramovitch et Mourinho à Chelsea. Ils veulent frapper un grand coup. Et ils pensent que ce sera Drogba. Cette offre est de deux tiers de notre budget...
Le joueur qui vous a le plus déçu ?
C'est celui dans lequel on avait mis beaucoup d'espoir, France Football avait fait sa Une dessus : (Philippe) Christanval. C'est le grand espoir du foot français, le remplaçant de Marius Trésor, un joueur de Barcelone et pas d'Endoume, avec tout le respect qu'on a pour Endoume évidemment. On le fait venir et au bout de quinze jours, le médecin me dit : "Ça ne va pas le faire". Comment ça ? "Il a un genou qui ne fonctionne plus, en vrac". Philippe a été le premier meurtri, le pauvre.
Il y a eu des déceptions sur les transferts. Bixente (Lizarazu) arrive et s'aperçoit tout de suite qu'il ne va pas pouvoir jouer à l'OM. Décalage de mentalité. Dans le couloir qui mène à la conférence de presse, il me dit : "Ça ne va pas le faire Christophe". Ce n'est pas à son détriment, au contraire. Il a une vision des choses très intelligente. Ce jour-là, on avait fait la conférence de presse au Vélodrome et les supporters avaient été très bruyants. Ils nous avaient un peu contraints. Bixente voit ça alors qu'il arrive du Bayern, club très carré. Deuxièmement, José s'entête en disant qu'on va jouer à trois derrière, ou à cinq comme on veut. Bixente me dit : "Je ne sais pas jouer comme ça". Ça passe dans ma tête, je me dis que tout ça va se normaliser, que José va revenir à quatre, qu'on va se débrouiller, qu'un tel joueur va être capable de s'adapter. En fait, la greffe est tout de suite rejetée.
Le joueur le plus drôle ?
Mido, dans sa façon d'être, de vivre, assez anachronique. Je me souviens d'une scène qui a failli dégénérer, et qui n'a pas dégénéré. On partait en déplacement. (Alain) Perrin était très militaire dans sa préparation, les horaires, etc... À juste titre. Un jour, on part en déplacement et qui est en retard ? Perrin. Mido l'interpelle : "Oh, oh, coach !" Les autres se disent "Waouh !", parce que Perrin n'était pas facile. Mido non plus. On se dit tous que ça va dégénérer, qu'ils vont se taper dessus. Mais pas du tout. Mido, c'est dommage, ça aurait pu être (Zlatan) Ibrahimovic : grande carcasse, du charisme, très technique... Il s'est dilué dans la fête. Un matin, le téléphone sonne, la secrétaire me dit qu'il y a un problème, qu'il faut aller chercher une Ferrari sur l'autoroute. Je lui réponds que ce n'est pas à moi d'aller chercher des bagnoles. C'est Mido qui est tombé en panne dans la nuit entre Toulon et Nice, et qui a laissé sa bagnole. Il fallait aller chercher la Ferrari... Mido, fantasque.
Le plus pénible ?
Il n'y en a pas eu. Le plus émouvant, ça a été Ibrahima Bakayoko qui signe son départ. Le joueur le plus compliqué à gérer a été, à son corps défendant - c'est le cas de le dire -, Delfim. Ça a été difficile à gérer pour le club et pour lui catastrophique. On n'a jamais trouvé la solution. Avec Alain, puis José, et Philippe Piola qu'on oublie un peu de temps en temps, on avait mis en place un cadre assez strict. J'ai un bon souvenir des joueurs. Il n'y avait pas d'agents qui avaient trop pris le pas sur les joueurs.
Le joueur le plus près de son argent ?
Le plus dur en négociations, c'était Pape Diouf, agent. Il était intransigeant. Il avait des arguments très solides quand il discutait. Les joueurs ont souvent fait les efforts qu'il fallait. Après j'ai hérité de certains cas, comme celui de Frank Leboeuf à qui on avait promis monts et merveilles. Franchement, il a été patient. C'était un joueur très facile à gérer, très impliqué dans le collectif. Un vrai capitaine. Il jouait quand même avec deux chevilles qui n'existaient plus. Quand on a recruté Drogba (en 2003), il est venu me voir en me disant : "Pourquoi vous ne me l'avez pas dit ?""Qu'est-ce que tu voulais que je te dise Frank ?" Il partait faire un dernier contrat dans un club au Qatar. Il a regretté. Il se disait qu'il y avait un truc à faire avec cette équipe. Il n'avait pas tort.
Votre plus gros coup de gueule ?
Ce n'est pas vraiment un coup de gueule, puisque je n'en faisais pas. La saison 2003-2004 part mal, et un jour, à La Commanderie, je vais voir les joueurs. Je devais être inspiré. Je leur dis : "Les gars, vous vous rendez compte ce que vous êtes en train de faire ? Vous avez le maillot de l'OM. Dans quinze ans, vous allez vous regarder dans une glace et vous allez vous dire que..." Je fais tout un sujet là-dessus. C'est marrant, Steve Marlet donne une interview des années plus tard sur l'histoire de la finale européenne et il raconte ça : "Le président est venu nous voir et nous a remué le derrière comme jamais". C'est marrant de voir l'effet autant de temps après. Ça reste pour les joueurs une année à part.
La plus grosse humiliation ?
Ce match de coupe de la Ligue contre Paris (10 novembre 2004) : on mène 2-0 et on perd 3-2. Ça a été dur. Chaque fois qu'on rencontrait le PSG, on se faisait battre. Il y avait Ronaldinho, ce n'était pas une équipe de quartier. La pièce ne tournait jamais dans le bon sens. Même si ce n'était pas une humiliation non plus.
L'ambiance la plus négative au stade ?
Quand vous avez 30 000 personnes qui crient "Bouchet démission", ça touche, oui, oui. Vous sentez les regards. C'est quelque chose qui ne se prépare pas, c'est difficile. Tout le monde est gêné. Moi je suis touché mais les gens sont gênés pour moi. Ils ne savent plus trop comment se positionner, ils deviennent un peu gauches, maladroits. C'est ce que vivent les joueurs souvent aussi. On fait beaucoup de procès aux acteurs du football, mais quand il y a plusieurs dizaines de milliers de personnes qui vous sifflent ou crient votre nom, il faut l'entendre... On n'en sort pas complètement indemne.
Votre plus grand regret ?
D'avoir essayé de mettre en place une structure, un système, une façon de faire en quelques mois ou quelques années, là où il en aurait fallu beaucoup plus. C'est le manque d'expérience à ce moment-là. Président de club, ça ne s'apprend pas. Je constate que depuis, on n'a pas fait mieux non plus. Ce n'est pas très humble ce que je vais dire mais on ne se rend pas compte de la différence de l'OM quand je suis arrivé et quand je suis parti. En deux ans, la structuration, le siège à La Commanderie, les nouveaux contrats commerciaux, le changement incroyable de redistribution des droits télé... Les gens le savent, certains me le disent. Je me suis battu pour ce club, pour mon actionnaire. Il aurait fallu que je fasse preuve de plus de souplesse. Amener les choses plus tranquillement.
La Provence