Information
BERNARD PARDO; " Quand Mozer pétait les plombs..."
Gardanne, un lundi gris de novembre. Il faisait encore froid, mais l'OM était déjà plus ou moins en crise après un match nul piteux à Strasbourg (1-1, 13e journée), et pas grand-chose n'a finalement changé depuis. L'entraîneur, quand même, alors que l'ancien Olympien Bernard Pardo avait répondu "Gattuso" quand on lui avait demandé qui lui ressemblait dans l'effectif actuel. Le reste, ses souvenirs et anecdotes d'une saison 1990-1991 dorée, mais au goût d'inachevé, sont toujours d'actualité. Entretien.
Racontez-nous le jour où vous avez signé à l'OM...
Je viens de Bordeaux où je fais une très grosse saison, mais quand Marseille nous passe devant pour le titre de champion de France, le président Bez annonce que tout le monde est transférable. Ça faisait deux ou trois saisons que j'étais approché par Bernard Tapie et l'OM, et cet été-là, je comprends que les choses vont se faire. C'était le même été que celui où mon fils est né, j'étais entre Toulon et Marseille tout le temps !
Votre meilleur souvenir à l'OM ?
La campagne européenne. Notamment le quart de finale contre le Milan AC (1-1, 1-0). C'était l'équipe souveraine sur l'Europe. Nous, on était le meilleur club français, mais on n'était pas encore affirmé sur la scène européenne. Beaucoup attendaient ce match-là. On nous voyait prendre une raclée contre ce Milan, et ce ne fut pas le cas. On a prouvé à toute la France et à toute l'Europe qu'on était vraiment un club qui allait s'affirmer.
Votre pire souvenir à l'OM ?
Ma blessure à l'entraînement, avec Chris (Waddle). On est côte à côte, ce n'est pas lui qui est responsable, loin de là. Je sens mon genou qui lâche. J'avais déjà vécu ça, je savais à quoi m'attendre. Je savais que ça allait être très long, et que ça mettait en péril la fin de saison avec l'OM et surtout l'Euro-92.
Le joueur qui vous a le plus impressionné à l'OM ?
Ce n'est pas un joueur en particulier, c'est la force mentale de cette équipe. Il y avait un Ballon d'Or africain, Abédi Pelé, un Ballon d'Or européen, Jean-Pierre (Papin), un Anglais magique (Waddle), un Brésilien fabuleux (Mozer)... Tous les Français, on était tous en équipe de France. Ça faisait un amalgame extraordinaire. Il y avait de fortes personnalités, différentes, mais qui arrivaient pendant 90 minutes à rentrer en osmose.
Le joueur qui vous a le plus déçu ?
Ce qui m'a déçu, c'est qu'on n'a pas pu exploiter Pixie (Dragan Stojkovic, Ndlr) à 100 %. C'était un joueur extraordinaire. Mais il y a des matins, ça me faisait de la peine, il n'arrivait pas à marcher, il boitait... Il avait toujours du cartilage, c'était récurrent.
Le plus drôle ?
Certainement Pascal Olmeta. C'était fabuleux, il était drôle, mais il savait être sérieux quand il fallait. C'est un personnage extraordinaire.
Le plus méchant ?
(En riant) Carlos (Mozer) ! Autant il était doux et calme, autant quand il pétait les plombs, il fallait se méfier. Nous, on le savait. J'ai une anecdote d'ailleurs : à l'entraînement, on fait un attaque-défense. Chris (Waddle) se retrouve face à Carlos, il fait deux passements de jambes, et Carlos tombe à la renverse. Chris s'assoit sur le ballon et le regarde. J'ai vu revenir Carlos dans un état de rage... Il nous dit : "La prochaine fois que Chris passe, tout le monde se pousse". Juste après, Chris arrive avec le ballon, Carlos pousse tout le monde pour y aller. Chris amorce un passement de jambe, et là Carlos lui met le pied carrément sur la poitrine ! Chris tombe en arrière, et il garde le pied sur sa poitrine et il lui dit : "La prochaine fois, je te tue" ! (Il éclate de rire) Chris est revenu en nous disant : "Lui, il est fou !" Mais bon, on savait qu'on pouvait partir à la guerre et que derrière, ça allait tenir.
Le plus fêtard ?
Je crois qu'il ne faut pas se voiler la face, c'était moi... Mais bon, quand je disais à Éric Di Meco "viens on va boire un coup" après un match, il était là, Pascal (Olmeta) était là, "Caso" (Bernard Casoni) était là... On rigolait bien.
Le joueur qui est devenu un ami ?
Il y en a beaucoup. Pascal (Olmeta), Caso, Canto, Di Meco, Amoros... Jean-Pierre (Papin) aussi qui habite à côté. Après c'est difficile de rester soudé, parce qu'on part tous sur des horizons différents.
Le joueur avec qui vous aimeriez renouer le contact ?
Dernièrement, Di Meco a fait son anniversaire. Généralement, quand on est invité à un anniversaire, c'est nous qui faisons un cadeau, mais là c'est Éric qui nous a fait un cadeau parce qu'il nous a permis de nous retrouver tous, même ceux partis sous des horizons différents comme Carlos, Pixie... Ça a été merveilleux.
La plus grosse embrouille de vestiaire ?
Quand on perdait. Notamment à Poznan, dans un bourbier, 3-2. Le lendemain, Bernard Tapie a fait un discours en disant qu'il y avait des soucis dans le vestiaire avec un clan Pardo et un clan Tigana... Bernard nous convoque tous et nous dit : "Vous avez perdu contre le Crédit Agricole polonais. Alors au retour, la victoire, je ne vous en parle même pas, c'est obligatoire. Mais je ne veux pas entendre quelqu'un qui vient me réclamer une prime !" Effectivement, on en a mis 7 au retour (6-1 en fait, Ndlr), mais on n'a pas eu de prime pour ce 8e de finale de coupe d'Europe (rires). Personne n'a réclamé...
Le joueur de l'OM qui vous ressemble plus aujourd'hui ?
Je pense qu'il n'y en a pas vraiment, c'est ce qui manque à l'OM, quelqu'un qui amène un peu plus de tempérament.
L'adversaire qui vous a le plus embêté ?
Auxerre. Notamment Enzo Scifo, qu'est-ce qu'il nous avait fait chier ! Il avait fait un match contre nous... C'était un très bon joueur.
Votre match le plus abouti ?
Celui à Milan. Il n'y avait pas autant de matches à la télé que maintenant, donc on connaissait les joueurs de Milan, mais on ne les voyait pas tant évoluer. Quand on rentre à l'échauffement, c'est calme, on se dit que ça n'a pas l'air d'être plus chaud que ça. D'un seul coup, on commence à entendre doucement "Milano... Milano... Milano..." de plus en plus fort, 80 000 personnes qui commencent à monter crescendo et finissent par un "Milano" géant ! On se dit que ça va être du sérieux. En plus, on prend un but dans le premier quart d'heure... Là on s'est regardé et on s'est dit "les gars, si ce soir on ne joue pas, on est mort, ils vont nous manger". Et c'est ce qu'on a fait. Après le match, Berlusconi est rentré dans notre vestiaire et nous a dit "félicitations, je n'ai jamais vu une équipe jouer comme ça chez nous". Bon, c'était surtout de l'intox !
La défaite la plus douloureuse ?
C'est à Auxerre, quand on en prend cinq (4-0 en fait, Ndlr). Une gifle. On était leader, ça nous a fait mal. Tu es soi-disant le plus gros club, avec que des internationaux, et tu coules à Auxerre... On n'en menait pas large.
L'ambiance la plus folle que vous avez vécue au stade ?
Sans doute quand on a été champion de France, je crois que c'est contre Montpellier (contre Auxerre en fait, ndlr). Le retour contre Milan aussi, j'étais dans les tribunes avec Gascoigne, qui était venu voir le match. Chris m'avait demandé de m'en occuper. Ça avait été une sale journée (il soupire). Ce n'était pas qu'une réputation, il était fou complet ! Le Vélodrome, pour moi, c'est le stade où m'amenait mon père quand j'étais petit. Quand ça commence à gronder, c'est fabuleux. Quand on dit que le public est le 12e homme, à Marseille il est 12e, 13e, 14e...
L'ambiance la plus négative ?
Nous, on n'en a pas trop eu, dans la mesure où on a passé une saison extraordinaire. Mais quand tu perds, tu lis la déception dans les yeux des supporters. Pour eux, le match de l'OM, c'est important, ça rythme leur vie, ça conditionne la semaine. Les gens de l'extérieur ne peuvent pas s'imaginer à quel point ça berce notre quotidien.
Le moment où vous vous êtes demandé ce que vous foutiez là ?
Encore à Auxerre. Pour moi, c'était un trou noir, je n'avançais plus. Physiquement, c'était ma force, et j'avais du mal. Je me demandais quand est-ce que ça allait s'arrêter. C'est la plus grosse gifle que j'ai prise, alors que c'est la plus grosse équipe avec qui j'ai joué ! Je me sentais impuissant.
La consigne ou le choix d'entraîneur que vous n'avez toujours pas compris ?
C'est avec Paul Orsatti, qui est devenu un ami derrière, que j'ai eu à Toulon. Il nous faisait nous entraîner en marchant et assis ! Je lui avais posé la question pourquoi, il m'avait dit "tu verras plus tard". Je n'ai toujours pas compris quel était le but ! (il se marre) Quand je le revois en Corse, je n'ose pas lui reposer la question !
Le jour où vous avez ressenti le plus la pression ?
J'en ai plus bu que j'ai eu la pression je pense... En équipe de France, une fois on est arrivé en retard au stage à Clairefontaine parce qu'on avait mangé ensemble, quelques joueurs, et on n'avait pas vu le temps passer. Platoche (Michel Platini) me convoque dans son bureau et il me dit : "C'est la première et dernière fois. Et si vous faites un mauvais résultat, tous ceux qui étaient en retard, c'est fini, ça sera leur dernière sélection." On attaque le match, contre l'Écosse, et en deuxième mi-temps, Di Meco se fait expulser au bout de 5 minutes ! (rires) Je me suis dit "on n'est pas bien" ! Mais en fait, on a gagné 3-1 (3-0, ndlr), donc ça s'est bien fini. À la fin, je dis à Platini "alors, t'as vu ?" et il m'a répondu "oh ferme-la" !
L'entraîneur qui vous a le plus marqué ?
Raymond Goethals. Je l'ai eu à Bordeaux, j'ai vécu au Haillan avec lui. Et après je l'ai retrouvé à l'OM. Il savait dédramatiser toutes les situations, il connaissait son groupe. Peut-être que les gens disaient "c'est Tapie qui fait l'équipe". Peut-être que Bernard pensait faire l'équipe, mais Raymond il faisait toujours comme il avait envie de faire, à la fin.
Le dirigeant qui vous a le plus marqué ?
Il y en a trois, trois fortes personnalités. François Yvinec à Brest, Claude Bez à Bordeaux et Bernard, évidemment, à Marseille. C'était un monument.
Votre plus grand regret à l'OM ?
Cette finale à Bari que je n'ai pas pu jouer. Elle me restera en travers tout le temps. Je n'ai jamais revu le match, je ne veux pas le revoir. Cette blessure m'a coûté énormément, parce que ça me prive de l'Euro-92 aussi.
Une anecdote que vous n'avez jamais racontée ?
Un jour, Bernard Tapie téléphone à la maison, et tombe sur mon ex-femme. Il demande "il est là Bernard", elle lui répond non. Il rappelle vers 23h, demande encore à me parler, et elle lui répond que je ne suis pas là. Il lui demande "mais où il est ?" et elle lui répond "il est dans l'arbre". Le lendemain, il vient me voir à l'entraînement et il me dit "mais toi, t'es le plus fort, t'arrives à faire croire à ta femme que tu passes la nuit dans un arbre !" Je n'ai jamais pu lui expliquer que j'étais allé dans un arbre le soir parce qu'il y avait des sangliers qui faisaient des dégâts dans la propriété d'un ami à moi et qu'il fallait qu'on les tue ce soir-là ! Il n'a jamais voulu le croire.
La Provence