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"La conséquence de l'absence totale de stratégie"
Ex-secrétaire général de l'OM (2004-09), Julien Fournier porte un regard particulier sur le club marseillais. Sans vouloir donner de leçon, l'ancien dirigeant confie ses impressions sur les mercatos olympiens.
Comment jugez-vous le travail réalisé par Pablo Longoria dans l'exercice du mercato ?
Le mercato, c'est la partie visible, celle qui plaît, que tout le monde commente. Globalement, on ne peut pas dire que le travail de Longoria soit mauvais. Le bilan est positif, il a eu des résultats et il a fait du bien à l'OM. Mais quand tu es dirigeant, comme pour les joueurs ou les entraîneurs, il y a des saisons où tu es moins performant que d'autres. Cela ne remet pas en cause la qualité intrinsèque de la personne, mais d'après moi, un président qui fait le mercato, c'est une preuve de fragilité. Le mercato doit être la conséquence d'une bonne organisation, mais je ne vois pas de stratégie qui se dégage. J'ai l'impression qu'ils sont plus subis qu'anticipés. J'entends aussi que l'OM n'a pas d'argent, mais si on regarde la masse salariale, c'est stratosphérique. En France, le PSG est hors norme, mais derrière il y a Marseille, avec une masse deux fois supérieure à Nice, Lille, Rennes... Il y a donc beaucoup d'argent, et tant mieux. (Frank) McCourt a investi, mais les investissements n'ont pas été bien faits. Quand on regarde l'actif joueurs, c'est affolant. Quand tu vends un joueur, c'est pour se renforcer. On l'a vu avec Monaco (Badiashile à Chelsea), Rennes (Doku à Manchester City). L'OM devrait avoir ce type de joueurs et ne pas avoir honte de les vendre à des énormes clubs pour faire rentrer beaucoup d'argent. C'est le club le plus attractif de France. Des joueurs comme Fofana à Monaco, Todibo ou Thuram à Nice, et d'autres encore, seraient venus à Marseille s'ils en avaient eu la possibilité. Il faut toujours s'interroger sur la meilleure manière d'enrichir le club, et ça passe au début par de grosses ventes. C'est peut-être subjectif et l'époque est un peu lointaine, mais avec des Taiwo, Valbuena, Nasri, Niang, Ribéry, on a enrichi le club pour qu'il puisse se payer des Lucho et être champion de France. En réalité, j'aimerais connaître la stratégie de la construction d'effectif.
On se le demande aussi quand on voit le recrutement des internationaux africains l'été dernier six mois avant la CAN...
C'est la conséquence de l'absence totale de stratégie et de la désorganisation. On voit aussi que ce mercato d'hiver n'a pas été anticipé. Un président doit fixer une stratégie, s'entourer de gens compétents dans le recrutement. Selon mon analyse, et je ne dis pas que j'ai raison, il y a trois piliers dans le recrutement. Le premier, c'est ce que fait Longoria, c'est le réseau, avoir les agents. Le deuxième, c'est la data. Et le troisième, c'est la cellule de recrutement. L'alliage de ces trois piliers te permet en théorie de concurrencer les autres clubs européens, qui travaillent tous comme cela. J'ai le sentiment, à tort ou à raison, que l'OM se concentre uniquement sur le réseau.
On constate un changement dans ce mercato d'hiver avec des cibles différentes, des niveaux de rémunération plus bas...
Quand on parle de stratégie, c'est ça. Ce que tu ne perçois pas quand tu es à l'OM et que tu vois quand tu n'y es plus, c'est que tous les joueurs français rêvent de venir à l'OM. À salaire équivalent, le joueur préfère venir à l'OM plutôt qu'aller à Nice, Monaco, Lille ou Rennes. Cet attrait doit être une force, et il doit te permettre de moins payer que la concurrence. Or, j'entends toujours : "À l'OM, ils gagnent tous 250 000€ - 300 000€, mon joueur doit avoir le même salaire". Je me souviens de Benoît Cheyrou, il flippait un peu car on lui avait proposé le même salaire qu'il touchait à Auxerre. Je lui avais demandé si à salaire équivalent il préférait jouer à Auxerre ou à Marseille, et il était venu. Cela ne nous a pas empêché, quand il nous a montré son investissement, de revaloriser son salaire par la suite. Pour moi, tu dois donner de gros salaires à des joueurs qui ont une valeur sur le marché. Il y a des exceptions, et tu peux en donner un à un Alexis Sanchez. Tu peux en avoir trois dans ton équipe. Mais d'après moi, quand tu donnes 400 000€ à un gars, c'est parce qu'il vaut minimum 40M€.
L'échec fait partie de l'exercice du mercato. Comment éviter de les multiplier ?
Bien sûr. On pourrait faire un comparatif avec Naples. Ce sont deux villes et deux clubs qui se ressemblent, que ce soit dans la difficulté à gouverner, l'importance des supporters, la pression. Depuis une dizaine d'années, Naples a mis en place une véritable stratégie de recrutement pour arriver à gagner le titre. Ce n'est pas si facile. Quand tu compares les budgets de l'OM et de Naples avant les participations en Ligue des champions, ce sont les mêmes. Mais quand tu regardes la valeur des effectifs, tu comprends que ça ne va pas... L'effectif de Naples doit être valorisé autour de 600M€, celui de l'OM doit être maximum à 250M€. Tous les clubs font des erreurs. À Nice, on en a fait plein, mais il faut une stratégie.
Longoria a fait pas mal de bons coups au début, un peu moins ces derniers temps. Comment l'expliquez-vous ?
Il faut être indulgent. Tu vois un bon dirigeant à sa capacité à rester performant et lucide. À l'OM, il n'y a pas eu de dirigeants qui ont réussi à rester lucides. Nous compris avec Pape Diouf, on n'avait plus la même fraîcheur sur la fin. À Nice pareil, j'étais beaucoup moins performant sur la fin. Si tu n'es pas bien entouré, tu ne peux pas durer. Longoria est arrivé avec sa fraîcheur, son envie, et il a été bon. Aujourd'hui, il est moins performant, mais ça n'en fait pas un mauvais président, ni un mec à jeter à la poubelle.
Quelle serait la plus grosse erreur ?
Il y a eu beaucoup trop d'erreurs sur des joueurs clés. Des Clauss, Vérétout, Mbemba, par exemple, ce sont des joueurs de club, au sens où ils n'ont pas une grosse valeur marchande, mais ils sont fiables et ils te permettent d'avoir autour des joueurs plus talentueux. C'est sur les joueurs talentueux que l'OM s'est un peu planté à mon avis. Vitinha, Ounahi, Ndiaye, Sarr : tous ces mecs devraient te permettre de les développer et de les vendre extrêmement cher pour réinvestir l'argent dans ton équipe et faire grossir la valeur de l'effectif. Pour moi, quand tu investis 1€ sur ce genre de joueurs, tu dois vendre 3€. Quand tu mets 15M€ sur Ismaïla Sarr, tu sais déjà que tu ne le vendras jamais 45M€. Quand tu achètes Vitinha 30M€, c'est que tu imagines qu'il partira à 90M€ ? Si tu as 8 joueurs d'actifs (des éléments qui ont une valeur minimum de 20M€), tu peux en vendre un l'année où tu ne fais pas la Ligue des champions sans que ton projet tombe à l'eau.
La Provence