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Franz Beckenbauer, un Kaiser égaré au sein de l'OM de Bernard Tapie
Son arrivée dans la cité phocéenne avait suscité un engouement extraordinaire, mais Franz Beckenbauer, mort dimanche à 78 ans, regrettera vite d'avoir « succombé » au charme de Bernard Tapie en 1990. Peut-être la seule fausse note dans la prestigieuse carrière de celui qui a tout gagné. Sauf à l'OM.
Juillet 1990, veille de la finale de la Coupe du monde. Bernard Tapie touche au Graal en reprenant une société qui représente la synthèse de sa passion pour les affaires et le sport. Le président de l'OM est alors loin de s'imaginer que l'équipementier sportif Adidas qu'il qualifie « d'affaire de sa vie », et dont il s'est approprié 80 % des parts grâce à l'aide financière du Crédit Lyonnais, sera, plusieurs décennies plus tard, à l'origine de sa descente aux enfers.
Quelques heures avant que Franz Beckenbauer, à la tête de l'Allemagne, remporte le Mondial italien face à l'Argentine de Diego Maradona (1-0), Bernard Tapie croit réaliser le coup du siècle, entre désormais dans une nouvelle dimension et se fixe comme objectif de faire surfer son Olympique de Marseille sur le haut de la vague.
Alors, quoi de plus normal que de vouloir taper très haut en recrutant le Kaiser en personne. Son récent rachat d'Adidas, firme allemande, lui facilite l'accès au double Ballon d'Or France Football (1972 et 1976), qui est ambassadeur de la marque aux trois bandes depuis 1964.
Peu importe que les Américains mettent douze millions de dollars sur la table du roi Franz pour en faire l'homme de leur Coupe du monde 1994. Personne ne résiste au bagout de Tapie. Il lui faudra pourtant des mois de négociations pour convaincre l'Allemand de replonger dans la marmite.
Car après six ans à diriger la Mannschaft, Beckenbauer aspire à traverser la vie en sortant petit à petit du microcosme du ballon rond : « Je voulais m'occuper de marketing, de sponsoring. Je n'avais plus trop la tête au foot et puis, en Italie, tout a changé. Les deux mois que j'ai passés avec la sélection ont été fantastiques. Je me suis alors rendu compte du plaisir que cela pouvait représenter d'avoir des joueurs sous la main en permanence. Et puis Tapie m'a appelé deux semaines après la fin du Mondial. J'ai été séduit. L'idée a ensuite fait son chemin. »
Et ce, même si Karl-Heinz Forster, défenseur marseillais de 1986 à 1990, tente de le prévenir : « À l'OM, Beckenbauer va trouver le ciel bleu et l'enfer. Une équipe forte avec un président qui s'intéresse à son club et un public qui vaut celui de Naples. Mais c'est aussi un club qui ne peut pas rivaliser au niveau des structures avec le Bayern ou les Italiens. Je suis sûr qu'il sera un peu effrayé. » Prémonitoire ! Le Kaiser signe pourtant, le 6 septembre 1990, un contrat de deux ans de directeur technique général.
Tapie réalise là une jolie opération médiatique. En revanche, pour Gérard Gili, l'entraîneur en poste, la déception est immense, même cruelle. L'entraîneur de l'OM sort d'un doublé Coupe de France-Championnat et son équipe se balade en tête du classement. Le club vient de battre le Paris-SG (2-1) et totalise sept victoires et deux nuls en neuf journées.
« Je n'amène pas Beckenbauer à la place de Gili, mais en plus de lui », hurlera Tapie, qui use de son sens métaphorique assez développé pour tenter de convaincre les sceptiques : « Quand vous êtes aux commandes d'un 737, au bout de dix ans vous passez copilote sur un 747. Il n'y a rien de frustrant puisque l'avion est plus gros. »
Gérard Gili se montre dubitatif et explique : « À l'époque, j'étais jeune (38 ans) et il fallait être ouvert... Donc, je lui ai montré le vestiaire et le terrain d'entraînement de Luminy, qu'il allait partager avec... les étudiants qui lançaient le marteau et le javelot. Quand j'ai vu sa tête, je me suis dit que quelque chose ne fonctionnait pas. Ce n'était pas un entraîneur de club. Il serait arrivé seul, en ambassadeur, ça aurait été différent. »
Pour son premier match en Championnat, le Kaiser, 45 ans, ne se doute pas, alors que l'OM des Olmeta, Amoros, Boli, Mozer, Casoni, Pelé, Pardo, Vercruysse, Papin, Stojkovic, Cantona ou Waddle, fait figure d'épouvantail, que son équipe puisse s'incliner au Vélodrome contre Cannes (0-1). Tapie ironise et assure : « Je reste quand même persuadé que Beckenbauer est un peu meilleur que Gili. »
Ce dernier tirera finalement sa révérence et s'engagera avec les Girondins de Bordeaux de Claude Bez, quatre jours après avoir annoncé au Kaiser que l'Allemand serait désormais seul aux commandes de l'équipe principale. En dépit de cette sortie de route contre Cannes, l'OM se ressaisit en gagnant notamment à Monaco (3-1) et face à Saint-Étienne (3-1).
Beckenbauer a fini par être sifflé au Vélodrome
Mais Franz Beckenbauer ne sera pas longtemps dupe d'une situation qui va vite dégénérer. Le 19 novembre, à une demi-heure de la fin de l'entraînement qui se déroule à Luminy entre les plots et les javelots, le Kaiser voit débarquer la police, qui lui enlève les ex-Varois Bernard Casoni, Bernard Pardo et Pascal Olmeta en plein milieu de la séance pour les interroger sur l'affaire de la caisse noire de Toulon. Sa mâchoire se décroche. En trente ans de carrière, il n'avait encore jamais assisté à une telle scène.
Ce jour-là, l'Allemand comprend tout. Dès décembre, Beckenbauer quitte ses fonctions pour devenir manager général du club et laisse sa place sur le banc à Raymond Goethals après un dernier match, le 23 décembre (0-0), à Caen. Le Kaiser est dépité et affirme : « J'ai pris du recul au bout de six mois car Bernard Tapie se mêlait trop de mon travail au quotidien. Notamment sur les questions d'ordre tactique. Je pense que sans lui je serais resté bien plus longtemps. C'est sans doute l'un des seuls regrets de ma carrière. Maintenant, j'ai beaucoup appris durant cette période. Ce que je viens de vivre m'a aidé à développer ma personnalité. Je n'aurais pas voulu rater ça ! Je regrette juste d'avoir succombé au charme de Tapie sans bien en mesurer toutes les conséquences. »
Le roi Franz, dont le nom finit pas être sifflé au Vélodrome, retournera chez lui en fin de saison afin de s'occuper de ses sponsors, Mercedes, NEC... et Adidas. « Ils n'ont pas beaucoup profité de moi ces derniers mois », ironise-t-il avant de se retirer définitivement. Bernard Tapie, pour une fois, reconnaîtra s'être trompé : « J'ai fait une erreur. À savoir celle de croire que l'on peut transformer un sélectionneur qui joue avec des Allemands en un entraîneur d'équipe française de club. » Pour l'OM, la nouvelle ère promise par l'homme d'affaires neuf mois plus tôt aura été de courte durée...