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Vincent Labrune, l'homme qui pensait valoir un milliard
Vincent Labrune, le président de la LFP, est arrivé dans le football par le biais des médias et de la communication. En une vingtaine d'années, il a conquis sa place au sommet. Avec intelligence et charme, mais aussi opportunisme et calcul. Pourra-t-il cependant redonner de l'éclat à une Ligue 1 en grand danger de déclassement ?
À en croire la rumeur - malveillante, forcément - le bureau de Vincent Labrune n'en compterait... aucun. Juste une télévision et deux canapés disposés en L, où il regarderait les matches et recevrait ses interlocuteurs. À lui, la présidence de la Ligue, les grandes orientations et le relationnel ; à Arnaud Rouger, le solide et stoïque directeur général, la gestion au quotidien.
Les ragots sont évidemment faux - Labrune possède bel et bien un espace de travail en plus de ses sofas. Mais ils disent tout du personnage et de la façon dont on le perçoit, oisif et baratineur : « C'est le plus grand séducteur que je connaisse », sourit son ami de quinze ans, l'écrivain, dramaturge et réalisateur oscarisé Florian Zeller. « Ce que j'aime chez lui avant tout, c'est l'extrême séduction qu'est la sienne. Il théâtralise toutes les situations. Mais c'est un théâtre dont il serait l'auteur, le metteur en scène et tous les acteurs à la fois. C'est très difficile de résister à son charme. »
Une qualité que lui reconnaissent aussi bien ses proches que ses contempteurs qui tous, parlent de cette capacité à enrhumer son interlocuteur, lui donner le sentiment qu'il est unique et privilégié, pour mieux lui vendre - ou lui cacher - son véritable discours. « Son talent est si grand pour raconter l'histoire, que l'on devient spectateur de ce qu'il raconte, poursuit Zeller. Ce qui est important, ce n'est plus la réalité, c'est la façon dont il la décrit. Mais tout cela pour notre bonheur ! »
Instinctif, enjôleur et calculateur
Vincent Labrune opère ainsi dans le football français depuis bientôt deux décennies. Instinctif, enjôleur et calculateur. Avec lui, ses échecs deviennent des succès, les situations inextricables des tremplins, ses petites trahisons des preuves de loyauté, mais toujours au nom de son patron. Hier, c'était Jean-Luc Delarue puis Robert et Margarita Louis-Dreyfus. Aujourd'hui, ce sont ses électeurs : les présidents de clubs les plus influents qu'il cajole et a sans cesse au téléphone.
En 2020, quatre ans après avoir quitté l'OM, honni de tous, il réussit un improbable come-back à la présidence de la LFP. Il amène CVC, un fonds d'investissement, à injecter 1,5 milliard d'euros dans le foot français, crée une société commerciale dont il prend les rênes, le tout sans qu'aucun club ne s'aperçoive qu'il n'y a désormais plus aucun de leur représentant dans la gouvernance.
Les trois millions d'euros de bonus qu'il s'est octroyé à cette occasion choquent ? « Quitte à en prendre plein la gueule », il aurait dû en prendre six, comme on le lui a proposé, provoque-t-il en privé. Sa promesse de viser un milliard d'euros de droits télé par an paraît irréaliste ? Peut-être. Mais alors que la pression monte, que son appel d'offres est déclaré infructueux, Labrune avance dans le bourbier et campe son personnage de sauveur du foot français. Sans moi, le déluge.
Il se veut personnage de l'ombre mais adore prendre la lumière. S'enorgueillit de donner peu d'interviews mais distille ses OFF aux journalistes. Il refuse les séances photo en prétextant n'en faire jamais, et surtout pas pour des articles dont il ne serait pas de près ou de loin à l'origine. Comportement qui témoigne de son expérience emmagasinée en tant que communicant, mais qui dit aussi l'idée qu'il se fait de la presse et de la profession de journaliste.
Il n'hésite pas à appeler les actionnaires des médias qui auraient l'audace de le critiquer, se plaint du comportement d'un grand reporter, s'enquiert d'un article en préparation. Vincent Labrune fait pression et fait très attention à son image.
En 2014, alors qu'il dirige l'OM - le club est en pleine affaire des transferts douteux - il est mis sur écoute. Les enquêteurs l'entendent pester contre les journaux, dont L'Équipe qui relaie les investigations en cours : « Le coeur de cible de L'Équipe, c'est les CSP +, et c'est mon coeur de cible pour mon après-OM, lâche-t-il au téléphone. L'OM, j'en ai rien à foutre. Mais j'ai 43 ans, et je veux quand même continuer après. »
Il en a aujourd'hui 52, est toujours aussi opportuniste, mais clame un amour intact pour le ballon rond. Il y a quelques années, on le surnommait Vince Vega, du nom de ce personnage du film culte Pulp Fiction joué par John Travolta. Ses tempes ont grisonné, ses cheveux sont plus courts, plus sages. Il porte toujours ses chemises légèrement entrouvertes, à la manière d'un Bernard-Henri Lévy, n'a rien perdu de son arrogance, et ses coups de menton incessants agacent.
Le soutien de toutes les familles
Mais lorsqu'il dit, droit dans les yeux, « le patron du foot français, c'est moi », il n'y a plus grand monde pour le contester. Jean-Michel Aulas, qui le qualifiait de « guignol » il y a peu, est maintenant dithyrambique. Les plus gros clubs lui mangent dans la main, alors qu'il s'était pourtant fait le porte-voix des plus modestes, en 2020, face à la candidature de Michel Denisot pour la présidence de la Ligue.
Désigné en 2016 « pire président de l'histoire de l'OM » par La Provence (alors propriété de Bernard Tapie), le voilà devenu président de la LFP. Vincent Labrune a mené une campagne éclair avec le soutien de ses amis présidents (Féry à Lorient, Nicollin à Montpellier, Caillot à Reims).
Noël Le Graët a eu beau, la veille du vote, appeler Philippe Piat pour lui demander de voter Michel Denisot, le patron de l'UNFP a encouragé Labrune et emporté avec lui le vote des « familles » (syndicat des joueurs, entraîneurs, médecins, personnels administratifs, etc). Quand il se présente le jour de l'élection, ce 10 septembre 2020, l'impétrant a fait ses comptes. Avant même le dépouillement, il sait qu'il a gagné.
En 2020, après l'épidémie de Covid et l'interruption du Championnat, les clubs sont au bord de la faillite et multiplient les prêts garantis par l'État (PGE) pour sortir la tête de l'eau. C'est dans ce contexte que Vincent Labrune est élu. Il doit alors affronter une nouvelle crise : Mediapro, qui a acheté les droits télé de la Ligue 1 pour 780 millions d'euros par an, fait défaut.
Deux options sont sur la table : négocier avec Mediapro un contrat à la baisse, ou récupérer les droits et les remettre sur le marché. « C'était une prise d'otage avec un mec qui faisait human bomb, image un proche du dossier. Si on bougeait le petit doigt, Mediapro allait en procédure collective et se mettait sous la protection du tribunal de commerce. Ils étaient dans une logique de sortir, pas du tout dans une logique de négociation. »
Après plusieurs mois de discussions, la Ligue récupère la pleine jouissance de ses droits fin décembre 2020. Labrune ne veut pas passer pour le dindon de la farce et exige une indemnité de 100 millions d'euros. Il y parvient. « En interne, on avait appelé ça la clause anti-couillon », plaisante un acteur des négociations.
Quand les discussions avec Canal s'enlisent, Labrune va chercher Amazon qui se positionne et achète les droits télé à la casse pendant que le président de la LFP pose les bases d'une future société commerciale de la Ligue, afin d'attirer des investisseurs et beaucoup d'argent.
Le débat est d'ordre quasi philosophique : une association sportive, délégataire de service public, comme l'est la LFP, peut-elle s'ouvrir à des capitaux privés ? Labrune, qui a besoin de l'assentiment politique, obtient l'aval de l'Élysée, mais se fait chahuter au Sénat, un temple de la politique à la papa, fait de conservateurs et de notables, qui sied peu au disruptif Vincent Labrune.
Le président qui ne voulait pas venir s'y montre hautain. « Réfléchissez-vous à un système plus solidaire de répartition des droits de retransmission audiovisuelle ? En Angleterre, le rapport entre le club qui perçoit le plus et celui qui perçoit le moins est de 1,4. En France, il est de 2,9 », lui demande Jean-Jacques Lozach, sénateur PS de la Creuse. Réponse de Labrune : « Si à court terme on n'est pas capable de rentrer de l'argent frais pour nous sauver, rebondir, le Championnat de France deviendra le Championnat de Slovénie, avec tout le respect que j'ai pour nos camarades de Ljubljana. »
Mais d'où lui vient cet aplomb qui a fait sa marque de fabrique ? Il a un peu plus de 20 ans quand il débarque à France Télévisions, à la fin des années 1990, comme attaché de presse. Un des grands manitous de la télé publique s'appelle alors Jacques Chancel, qui « a pour Vincent une fascination », assure Florian Zeller.
De la télévision au ballon rond
Les vedettes de l'information, Patrick Chêne et Daniel Bilalian, s'entichent rapidement de ce jeune venu d'Orléans, très efficace et qui sent les coups. C'est à peu près à cette époque, en 1998, que celui qui va devenir le parrain d'un de ses enfants, Pierre-Antoine Capton, patron du groupe audiovisuel Mediawan et président du conseil de surveillance du stade Malherbe, le rencontre dans les coulisses d'une émission pour Canal+. Labrune dont on dit déjà, à l'époque, qu'il est la star des communicants de la télé deviendra son meilleur ami.
Mai 2002, quelques années plus tard, Vincent Labrune est le directeur de la communication de Réservoir Prod, la puissante société de Jean-Luc Delarue qui produit les magazines les plus regardés de l'époque : C'est mon choix, Ça se discute, Stars à domicile. Il vit un mercato exaltant et fait monter les enchères. « Rien n'est fait, tout est encore possible », assure-t-il au Monde, alors que deux chaînes se disputent Delarue : TF1, qui veut contrer la toute-puissance d'Endemol, et France 2, qui veut conserver ses émissions qui cartonnent.
Labrune crée sa propre boîte, VLB Communication, et facture fort cher ses prestations. Il devient lui-même producteur de plusieurs émissions. Étienne Mougeotte et Patrick Le Lay, les patrons de TF1, font sans arrêt appel à lui pour sa science de la communication de crise. Robert Louis-Dreyfus aussi, qu'il rencontre via les boxeurs Brahim Asloum et Louis Acariès. Il devient le porte-parole du milliardaire et, en 2008, le contrat de confiance est tel entre les deux hommes que Labrune devient président de la holding de Louis-Dreyfus, Eric Soccer, et président du conseil de surveillance de l'OM.
Il vire Pape Diouf, adulé à Marseille, qu'il remplace, sans grand entrain, par Jean-Claude Dassier : « Mougeotte m'a appelé pour me dire de le prendre. Il me l'a fait à l'affect », se souviendra Labrune devant les policiers. Deux versions de leur histoire commune coexistent. Dassier ne compte plus les coups bas, les « peaux de banane » et les articles dépréciatifs qu'il dit découvrir dans la presse : « Il balançait des infos, c'était sa politique, c'était ça en permanence. Tout était bon pour faire en sorte de prendre ma place. »
L'ancien directeur de l'information de TF1 ne veut pas se montrer acide, sait que toute critique de sa part serait suspecte au vu de leurs relations, mais estime que Vincent Labrune n'est peut-être pas tout à fait étranger au fait qu'on ait osé l'accuser d'avoir « tapé dans la caisse ». « Soi-disant, Labrune avait dit à Mougeotte avant sa mort : "Bon allez, on arrête (avec Jean-Claude)." Je ne suis pas rancunier, mais je ne peux pas pardonner une attitude qui était systématiquement hostile », dit Dassier. Labrune, lui, explique partout qu'il n'avait aucune envie de prendre la tête de l'OM et n'y être allé qu'à contrecoeur pour défendre les intérêts de Margarita Louis-Dreyfus, veuve de Robert.
En 2010, l'OM est champion de France. « C'est une période très chaude avec Dassier, avec qui on se dispute le jour du titre, narre Labrune, dans un procès-verbal de police. Lui et l'entraîneur Didier Deschamps passaient pour des héros pour le titre obtenu. D'un autre côté, je jouais les rabat-joie et leur disais qu'ils ne pouvaient plus recruter, car il n'y avait plus d'argent. » Un an plus tard, Dassier est débarqué, Labrune prend le club dans un environnement hyper hostile.
Bernard Tapie, Pape Diouf et leurs réseaux lui font la réputation d'un petit Parigot mondain, qui gèrerait le club depuis la capitale. Lui n'a de cesse de serrer la vis budgétaire à une période où le Qatar, avec ses moyens illimités, arrive au PSG. Vincent Labrune n'est pas spécialement bling-bling mais mène grand train.
Sa société de conseil, dont la comptabilité est assurée par son frère, baisse en régime. Il émarge tout de même à 650 000 euros par an à l'OM et déclare 940 000 euros de revenus en 2013. Il achète sa maison à Saint-Rémy-de-Provence qu'il rembourse 12 000 euros par mois, est propriétaire d'un très bel appartement parisien dans le XVIIe arrondissement, d'un autre à Ibiza qu'il revend pour faire une plus-value, et possède des parts d'un cheval de course à Deauville - son autre passion. Vincent Labrune n'a pas le permis et se fait véhiculer partout par son chauffeur.
« On peut toujours le critiquer mais se retrouver à diriger un club comme l'OM sans argent, c'est la pire des positions. Je trouve que son parcours, devenir président à son âge et au vu de ce que ça représente, est exceptionnel », le défend Pierre-Antoine Capton. Il s'active à alléger la masse salariale, s'estime victime de la gestion désastreuse de ses prédécesseurs.
En novembre 2012, alors que l'OM perd 4-1 face à l'OL, les caméras de Canal+ le filment quelques secondes, hilare, en loge. La séquence embrase la Toile. Stéphane Tapie, fils de, réagit sur France Bleu. Une « honte », clame-t-il, avant de donner en direct le numéro de téléphone du président marseillais. Labrune réagit immédiatement et annonce des poursuites judiciaires. France Bleu retire le replay et preuve de son influence, Canal+ se confond aussi en excuses : « Un plan malencontreux. »
Amour du maillot et sens des affaires
À L'Équipe, Labrune se justifie, explique qu'il était évidemment mortifié par le résultat, et qu'il a été filmé juste après le but de Loïc Rémy. « Sur les images, on me voit en conversation avec l'agent de notre attaquant qui m'assure que ce premier but en Championnat de Loïc annonce une fin de saison en boulet de canon de sa part. »
Pas question, donc, de remettre en cause son amour du maillot. Labrune, pourtant, reste un homme d'affaires. Un mois et demi plus tard, il place Loïc Rémy aux Queens Park Rangers. « 10,5 millions d'euros pour un mec qui a mis un but ! », jubile-t-il au téléphone. Un miracle, un coup inespéré, se vante-t-il, pour un joueur qui valait « zéro ».
Deux jours plus tard, le club phocéen est perquisitionné dans le dossier des transferts douteux de l'OM. Une instruction interminable qui durera huit ans et s'achèvera en 2022 sur un non-lieu quasi général. « Ah quelle journée de con, putain ! », lâche-t-il à José Anigo sans savoir ce qui l'attend derrière. Les gardes à vue, les suspicions permanentes, les gros titres de la presse. Il devient parano, est certain que l'agent de Didier Deschamps, DD, Jean-Pierre Bernès, est la « source principale des policiers » et des journalistes.
En bon communicant, il impose son narratif et passe volontiers à table devant les enquêteurs. Non, il n'a pas besoin d'avocat, car il est victime. Oui, il est effrayé : « On m'avait parlé de Ribéry qui payait une fortune un voyou juste pour qu'il aille laver sa voiture. Voici un peu le contexte dans lequel je suis arrivé à l'Olympique de Marseille (...) Vous savez qu'aujourd'hui, quand on m'appelle en numéro masqué, j'ai peur. »
Oui, les transferts et le montant des contrats passés sont scandaleux. Oui, il assume le contenu des écoutes téléphoniques, où on l'entend dire à DD que l'OM s'est fait « baiser » sur le contrat de plusieurs joueurs. Il en profite pour enfoncer Dassier avec qui l'OM a un contentieux devant le tribunal arbitral : « Soit c'est de l'incompétence, soit c'est de la malveillance (...) Le recrutement de Lucho, ça a été de l'arnaque », observe-t-il devant les policiers.
L'affaire « Mercato », ainsi surnommée par les enquêteurs, devient un fantastique mélodrame et du pain bénit pour les journalistes, qui se régalent des interceptions téléphoniques et des procès-verbaux de police, que les différents acteurs du dossier distribuent à la presse comme des bonbons.
On y découvre les liens entre les dirigeants marseillais et des membres du grand banditisme ; la complaisance à l'endroit des groupes de supporters marseillais qui, pourtant, déraillent régulièrement ; les mauvaises relations entre Deschamps et Labrune - « Didier, il ne supporte plus Labrune, hein. Pouaaa, il ne le supporte plus ! », confie Jean-Pierre Bernès fin 2011 à son ami journaliste Charles Villeneuve ; les coulisses de la guerre que se livrent Anigo, directeur sportif, et Deschamps, entraîneur.
En 2012, les tensions entre les deux hommes atteignent leur apogée lorsque Rachid Zeroual et ses South Winners déploient leur banderole : « Deschamps et tes joueurs, cassez-vous. » DD ne comprend pas cette mansuétude envers Zeroual et estime que Labrune n'a aucun courage : « Ils ont une peur bleue, quoi. Je te dis, ils font les durs, les cadors euh... avec des gens faibles, quoi. Mais dès qu'il y a un peu là... ! Putain, ils s'écrasent tous comme des... », s'emporte-t-il au téléphone.
Vincent Labrune est bien trop malin pour s'immiscer dans ce conflit. Il a par ailleurs besoin de Zeroual et des supporters s'il veut récupérer la commercialisation de la billetterie du Vélodrome qui, en vertu d'un vieux système instauré par Tapie, leur incombe.
En 2014, les gardes à vue s'enchaînent, éprouvantes. Vincent Labrune a peut-être la presse contre lui, mais il y a un policier, Yannick H., qui ne lui est pas franchement hostile. Le major a participé à sa garde à vue, en novembre 2014, et Vincent Labrune l'appelle imprudemment dès le lendemain.
Il lui raconte qu'il a débarqué à Saint-Rémy en pleine nuit et que, ayant oublié ses clés, il a dû jeter des cailloux sur les volets pour que sa femme se réveille et vienne lui ouvrir. « Elle est pas énorme celle-là comme histoire ? » Il remercie l'enquêteur pour sa prévenance. « J'ai vraiment apprécié ton comportement du début à la fin, ton approche des choses et, surtout, même si c'est un détail, ton attention avec les croissants donc heu c'est des choses qui sont importantes pour moi », soutient-il.
Vincent Labrune ne sait pas trop s'ils ont joué, la veille, à « good cop bad cop » mais tient à dire au major qu'il l'a trouvé « sympa ». Yannick H. le rassure : pour lui, ce n'est pas un suspect, mais bien « une victime du système ». Puis il se met à son service : « Même la nuit, si tu as un gros souci, un truc grave, que tu as peur de quelque chose, tu peux m'appeler (...) Si tu as un problème, tu me téléphones. Je prends un billet de TGV et je viens te voir. »
Ainsi, Vincent Labrune serait-il en train d'amadouer un des enquêteurs qui travaille sur son affaire ? Le 11 septembre 2015, Yannick H. obtient du club la signature d'un contrat pour devenir le Monsieur Sécurité de l'OM : 9 000 euros par mois, voiture et appartement de fonction. Laurent Nuñez, alors préfet des Bouches-du-Rhône, apprend la nouvelle et déconseille fortement à Vincent Labrune de procéder à une telle embauche. Le contrat ne sera jamais exécuté.
Le combat des droits télé
Fin 2016, les polémiques à répétition ont usé Vincent Labrune, qui termine son mandat exténué à la tête de l'Olympique de Marseille. Le président s'accorde du répit en famille. Encore aujourd'hui, lorsqu'il travaille comme un « fou » en semaine, à Paris, on peut le voir, le samedi matin, au bord des terrains de Saint-Rémy et des villages environnants, encourager son fils qui évolue en U10.
En 2018, il rejoint Moma, un groupe d'événementiel, en tant que vice-président. Il garde aussi un siège au conseil d'administration de la LFP et s'implique dans sa boîte de production, Black Dynamite, aux côtés du réalisateur Éric Hannezo. Une société qui rencontre un grand succès et qui produisait déjà des contenus, en 2012, pour l'éphémère chaîne créée par la LFP sur la TNT, CFoot, alors que Vincent Labrune était le président de l'OM...
Black D a aussi produit Les Infidèles en 2012, avec Gilles Lellouche et Jean Dujardin, ou encore les documentaires Emmanuel Macron, les coulisses d'une victoire et Le K Benzema en 2017. Cette année-là, au mois de juillet, il fait discrètement entrer au capital de Black D, à hauteur de 10 % environ, l'agent de joueurs Meïssa N'diaye, patron de Sport Cover, avec qui il a fait de très bonnes affaires à l'OM (transferts de Benjamin Mendy, Michy Batshuayi, Georges-Kévin Nkoudou). Labrune et N'diaye revendront leurs parts fin 2019 à Mediawan, le groupe de Pierre-Antoine Capton.
C'est aussi à cette époque que de nombreux agents s'agacent de voir Vincent Labrune « s'immiscer dans un nombre incroyable de dossiers de transferts », comme l'écrit L'Équipe. Lui se défend d'exercer une activité d'agent, et assure conseiller bénévolement ses amis présidents de club. Sans jamais en parler, il crée toutefois une kyrielle de sociétés de gestion de droits à l'image avec son ami agent Meïssa N'diaye.
Avec la première, Digicover, il s'agissait d'améliorer la gestion des réseaux sociaux des sportifs et développer leur image. Tidwell se voyait en société de conseil aux clubs pour développer leur stratégie de communication digitale. L'objectif de Touché, enfin, était de produire de petites séquences mettant en scène des athlètes. Selon Meïssa N'diaye, seul Digicover a finalement prospéré. Quant à Vincent Labrune, qui se serait montré peu actif, il a officiellement quitté ses fonctions dans ces sociétés au moment de devenir président de la LFP.
Il travaille désormais et depuis des semaines à décrocher un montant de droits télé record. Sa stratégie ? Valoriser au mieux le football français, appelé « le produit ». Une armada de cadres spécialistes du marketing et du merchandising, ont été recrutés pour « amener le football en culture », selon la novlangue en vigueur.
Le faire entrer dans notre patrimoine et nos modes de vie. La LFP regarde avec gourmandise ce que la Formule 1 a par exemple réussi à faire : la série Formula 1 sur Netflix a attiré des millions de téléspectateurs, dont une immense partie n'avait probablement jamais regardé un Grand Prix de leur vie. Reste que la période n'est pas très propice : stars (Messi, Neymar) parties cet été, incidents chaque week-end (bus de l'OL caillassé, supporter nantais tué), Lyon en queue de classement.
Un vent de contestation s'est aussi levé à l'automne, à l'image du HAC qui proteste devant les tribunaux contre la répartition de l'argent de CVC entre les clubs. Jean-Michel Roussier, le président du Havre, monté en L1 en 2023, déballe un argument qui fait mouche dans les médias : son club a touché 1,5 million d'euros, soit moitié moins d'argent que... Vincent Labrune.
Un bonus que le président de la Ligue avait préféré ne pas annoncer en conseil d'administration, déléguant cette tâche à un personnage plus neutre, Marc Sénéchal, celui-là même qui avait joué les conciliateurs entre la Ligue et Mediapro... Sauf que l'action judiciaire du HAC ulcère le président, qui estime ne pas avoir ménagé son temps ces deux dernières années - « Nous avons fait 111 réunions avec les clubs depuis mon élection ».
Au point d'apparaître parfois en visio au bord de sa piscine, pour houspiller tel ou tel dirigeant qui ne serait pas sur la ligne, certains évoquant volontiers une forme de « chantage » : Labrune leur disant de voter unanimement l'accord avec CVC, sous peine de devenir le fossoyeur du foot français...
Alors quand l'US Concarneau, promu en Ligue 2 en 2023, a envoyé un courrier à la LFP pour se joindre aux critiques du Havre et se plaindre de ne pas avoir perçu d'argent de CVC, Vincent Labrune est sorti de ses gonds. Tempêtant contre un club qui n'avait même pas de stade à lui (des travaux de mise aux normes sont en cours) ; des « Harlem Globetrotters » qui s'imaginent à la « Foire du Trône », à une époque où il tente de faire de la Ligue 1 un Championnat concurrentiel à l'Espagne, l'Italie ou l'Allemagne, a-t-il pesté.
En ce mois de novembre 2023, et à un an de nouvelles élections à la LFP, le patron du foot français rumine dans son bureau aux rideaux fermés, où il enchaîne les cigarettes dans une ambiance pluvieuse de fin d'automne. Assis sur son canapé, face à nous, le président raconte avoir envoyé récemment un message à Michel Platini pour se plaindre de ses déboires. L'ex-numéro 10 des Bleus lui aurait alors répondu par un proverbe bien connu en Italie : « Tu as voulu la bicyclette ? Alors maintenant tais-toi, et pédale ! »