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« L'OM sera toujours fragile »
EXCLUSIF Appelé au chevet d'un OM en pleine crise en 2004, l'ancien champion de boxe raconte son expérience marseillaise
INTERVIEW
Mardi soir, au bar de l'Hôtel Carlton de Cannes. Un homme traverse toute la salle pour saluer Louis Acariès. « Merci pour votre travail à l'OM », lui souffle-t-il, provoquant le sourire de notre hôte, ravi de cette popularité persistante. En novembre 2004, le champion de boxe et promoteur à succès avait été missionné par son ami Robert Louis-Dreyfus, propriétaire de l'OM, pour remettre de l'ordre dans un club qui partait à vau-l'eau. Il s'est confié pour le JDD avec force détails inédits, sur cette période incroyable, et trace des comparaisons avec la poussée de fièvre de ces derniers jours.
Louis Acariès au festival de Cannes, le 28 octobre 2020.
Comment êtes-vous arrivé à l'OM ? Fin novembre 2004, Robert Louis-Dreyfus n'avait que des problèmes, il commençait à être gravement malade (il est décédé des suites d'une leucémie en 2009, NDLR). Dans son avion, nous sommes trois : lui, mon épouse Muriel et moi. « Et si ton mari s'occupait de l'OM ? », lâche-t-il soudainement. Robert veut changer de président et il n'y arrive pas. Aussi absurde que cela paraisse, il avait finalement peu de pouvoir au club, même pas le contrôle de la marque OM ! Il me dit : « Je te laisse le club pour un euro symbolique, je paye tout, et retour à bonne fortune. » Je réfléchis, et je lui réponds : « Écoute Robert, je descends demain, je règle les problèmes et on s'en va. » Il y avait le feu à l'époque, le départ de Didier Drogba à Chelsea avait été très mal vécu, le mercato mal géré, les supporters voulaient le départ de Robert, insultaient sa femme… Inadmissible. On s'est tapé dans la main et je suis arrivé à l'OM le lendemain.
Vous avez été chargé d'un audit du club, et cela avait fait beaucoup jaser. De quoi était-il question ?
C'était surtout de la com'. Un audit humain, je peux le faire. Un audit financier, c'est plus difficile. J'arrive tout seul comme représentant du propriétaire. Je dis au président en place (Christophe Bouchet, dont il ne veut pas prononcer le nom, NDLR) : « Cela fait un moment que Robert souhaite que vous partiez, c'est le moment. » Il était journaliste et avait écrit des bouquins à charge contre Tapie, l'idole de l'OM et du Vélodrome. Robert n'avait pas pensé à ça. Il lui avait même donné 10 % du club ! L'animosité était réelle avec les supporters. Ils ont des droits, dont celui d'être respectés. Mais aussi des devoirs, en premier lieu celui de ne pas malmener l'institution. Pendant cinq ans, avec Pape Diouf (président de l'OM entre 2005 et 2009, décédé en 2020, NDLR), que j'avais installé presque à son insu, on a rendu ce club normal. Robert était perdu, il avait investi beaucoup d'argent. Le club était beau par sa ferveur, mais l'institution était abîmée et son argent dilapidé.
Quelles relations aviez-vous avec les supporters ?
Je n'ai pas vu un seul d'entre eux. N'oubliez pas : je suis de Marseille, j'avais mes réseaux, mes amis. Ils m'ont dit : « Mais qu'est-ce que tu viens faire là ? » J'avais quand même une renommée mondiale dans la boxe. Ils m'ont écouté et m'ont dit : « On va t'aider. » Je leur ai dit que je ne voulais pas devenir président, que j'étais là pour réparer et repartir. Ils connaissaient les supporters, ceux qui géraient tout ça, ils leur ont parlé de manière convaincante. Et du jour au lendemain, les problèmes ont disparu au stade.
Vous parlez d'amis, de réseau. De qui s'agit-il ?
Tout d'abord mon amie intime, l'avocate Sophie Bottai, à qui j'adresse une pensée car elle traverse une période difficile. Elle m'avait un jour présenté l'un de ses clients. On va mal l'interpréter, on se trompera, mais j'assume : Jacky le Mat, décédé aujourd'hui (Jacky Imbert, mort en 2019, figure du banditisme français et proche de personnalités du show-biz comme Alain Delon, NDLR), qui était devenu un copain. Il avait suivi tous mes combats, toujours au premier rang. Je ne vais pas faire son apologie ici. Mais c'était un type qui m'admirait pour ma carrière. Je leur ai expliqué la situation. Il a appuyé sur des boutons, je ne veux même pas savoir lesquels, et à partir de là, on m'a fait confiance. Je voudrais dire aussi l'importance d'une autre personne, le préfet Bernard Squarcini, en poste à Marseille (préfet délégué pour la sécurité de la région PACA de 2004 à 2007, NDLR). Il m'a énormément aidé à gérer les supporters quand ça chauffait. Et pourtant c'est un flic, pas un voyou. Il y a eu des tensions durant ces cinq années, bien sûr, mais rien de grave. L'institution et le propriétaire étaient respectés.
« Jacky le Mat a appuyé sur des boutons, et on m'a fait conf iance »
Bernard Tapie a-t-il bien fait de déléguer la gestion des virages du Stade Vélodrome aux associations de supporters ?
Tapie voulait gagner avec l'OM pour être un grand de la politique. Le club était un tremplin pour lui. Robert était très généreux, mais il avait aussi une entreprise à contrôler. Quand il ne l'a plus fait, il s'est retrouvé au tribunal. Et pour le sortir de là, heureusement qu'il y a eu Louis (rires). Ils m'en ont fait des misères, les gens en place à l'époque. Je lui avais dit : « Robert, ils vont te mettre sur la charrette comme ils ont fait avec Louis XVI, ils vont te couper la tête. » Après le premier procès (des comptes de l'OM, portant notamment sur des transferts frauduleux de joueurs, NDLR) en 2006, quand il a pris trois ans de prison avec sursis, Robert ne voulait même plus reprendre la direction du groupe Louis-Dreyfus tellement il était touché. Le petit Vincent (Labrune, futur président de l'OM et de la LFP, qui s'occupait de la communication de M. Louis-Dreyfus, NDLR) m'a demandé de l'aider. Et j'ai réussi, il s'en est bien sorti. La peine a été ramenée à 10 mois avec sursis. J'ai dit stop peu après.
Qu'avez-vous pensé de la réunion houleuse au siège de l'OM le 18 septembre dernier avec les associations de supporters ? Une enquête est ouverte pour menaces.
Ça me fait de la peine mais je ne suis pas étonné. J'ai fait la connaissance de Pablo Longoria (président de l'OM depuis 2021, NDLR) lors des vœux de Renaud Muselier (président de la région PACA, NDLR) l'an passé. Je me suis permis de lui dire : « Je vous félicite, je pense que vous faites du bon boulot pour l'OM. » Peut-être n'est-il pas aussi bien conseillé qu'on le pense, que trop de choses sont faites dans le secret. Cela appartient aussi aux supporters de savoir ce qu'il se passe dans leur club.
Ces groupes sont-ils représentatifs de l'évolution de la ville de Marseille, de la violence et de l'image de mafia qui lui sont associées ?
Je viens de la Rose, un quartier difficile. Je n'ai jamais trafiqué ni même été mis en garde en vue. Le seul problème que j'ai eu était fiscal, il est réglé. Les supporters de l'OM ne sont pas des gens comme ça. Rachid Zeroual (leader de l'association South Winners en conflit avec la direction de l'OM et condamné à deux reprises pour violences, NDLR), même s'il a fait de la prison, ça n'en fait pas un mafieux – pas plus que Rolland Courbis. Je ne le connais pas plus que ça, et quand il a menacé Didier Deschamps (le sélectionneur des Bleus a été entraîneur de l'OM de 2009 à 2012, NDLR), j'étais déjà parti du club, je l'ai appris bien après. Avec toute l'estime que j'ai pour Didier, le club avait changé de direction, on permettait aux supporters de faire la loi parce que le nécessaire n'était peut-être pas fait de l'autre côté. Ils sont chauds, ces gens-là, ils se mettent vite en colère. Mais si vous leur parlez vrai, correct, entre hommes – ou femmes, car elles sont nombreuses ! – ils peuvent vous faire confiance.
Êtes-vous malgré tout optimiste pour l'avenir de l'Olympique de Marseille ?
En mon for intérieur, oui. Mais l'OM sera toujours fragile.