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« C’était des gentils, ça »
L'ancien défenseur de l'OM Souleymane Diawara, soupçonné d’avoir commandité une descente chez un vendeur de voitures pour récupérer son argent, sera jugé à partir du 25 octobre. « C’était des gentils, ça »
L'ancien défenseur de l'OM Souleymane Diawara, soupçonné d’avoir commandité une descente chez un vendeur de voitures pour récupérer son argent, sera jugé à partir du 25 octobre. Mathieu Grégoire
S’il avait su, il serait sans doute « allé chez le concessionnaire », comme il en plaisantait lui-même dans ces colonnes en août 2015, quelques semaines après sa sortie de prison. Mais Souleymane Diawara ne doit plus vraiment avoir envie d’en rire, aujourd’hui, alors que l’affaire le suit depuis plus de trois ans et qu’elle l’enverra devant le tribunal correctionnel de Digne-les-Bains (Alpes-de-Haute-Provence) le 25 octobre. L'ancien défenseur de Nice et de l'OM, entre autres, pensait pourtant cette procédure dégonflée pour de bon, quand il avait été remis en liberté sous contrôle judiciaire, le 26 juin 2015, après onze semaines de détention à la prison des Baumettes, à Marseille. « La juge s’est bien rendu compte que je n’étais pas du tout un délinquant et que ce que le plaignant avait raconté, c’était beaucoup de bla-bla, disait-il à l’époque. Tout est rentré dans l’ordre. »
Mais rien n’est réglé encore, et l’ancien défenseur central, retraité des terrains depuis l’été 2015, devra revenir sur cette affaire « d’extorsion et tentative d’extorsion » pour laquelle il a été mis en examen en compagnie de cinq autres personnes. Le plaignant s’appelle Adriano B. et il a rencontré le joueur en août 2012. Ancien légionnaire, vendeur de véhicules de luxe, il propose à Diawara un Range Rover contre 49 000 €, que le joueur paie en liquide. Mais la voiture n’arrive jamais.
Début 2014, Adriano B., qui a plusieurs mentions à son casier judiciaire, fait une nouvelle offre : contre 10 000 € de plus, il fournira un Porsche Cayenne. Diawara fait un chèque, va chercher la voiture en région parisienne, mais constate qu’il s’agit d’un véhicule volé. Alors le joueur veut récupérer son argent. L’affaire traîne en longueur et, lassé de patienter, il en parle à son jeune frère, Adama. Ce dernier, accompagné d’une « équipe » de quatre hommes, décide de se présenter au domicile d’Adriano B., dans les Alpes-de-Haute-Provence, au soir du 19 mars 2015.
Le frère du joueur et ses amis confisquent la BMW du vendeur
Peu après 21 heures, Adama et ses compères débarquent dans la bourgade de Reillanne, perchée sur une colline. Ils sont sur leurs gardes, Adama leur a présenté Adriano B. comme un « voyou », potentiellement dangereux. La recherche du garagiste est épique : la nuit est tombée sur le village, ils n’ont pas de lampes de poche pour lire les noms sur les boîtes aux lettres. Ils arrivent dans une impasse et tombent sur une personne qui leur demande d’un ton sec ce qu’ils font là. « Nous cherchons un certain Adriano B », répondent Adama et ses camarades, sans se rendre compte qu’ils se trouvent… en face de l’intéressé ! Adriano B., aux tatouages imposants et reconnaissables, comprend qu’il va vite être démasqué et remonte l’impasse en courant. À bout de souffle, il appelle la gendarmerie de Forcalquier pour alerter sur la présence de « rôdeurs ».
La suite de la soirée est aussi tendue que confuse : Adama et son équipe se garent devant la maison d’Adriano B., en prenant soin de bloquer la BMW. Ce dernier va leur ouvrir la porte vers 22 heures, et au moins deux hommes pénètrent dans le domicile, dont Adama Diawara, qui est au téléphone avec son frère, sur haut-parleur. Souleymane donne les instructions et, après de longs et virulents échanges, les hommes repartent avec la BMW du plaignant, « en gage » d’un futur remboursement de 10 000 €, comme l’expliquera le joueur aux enquêteurs. À 22 h 30, la patrouille de gendarmerie appelée par Adriano B. se présente au domicile. Un des intrus crie : « Voilà les Schmidt ! »
Devant la gendarmerie, le vendeur présente ses visiteurs comme des amis
Le huis clos est étouffant. En présence d’Adama et sa bande, Adriano B. précise aux militaires qu’il s’agit non pas de « rôdeurs », mais d’un groupe d’amis venus lui faire une surprise. Constatant qu’il est mal à l’aise, les gendarmes relèvent les identités de toutes les personnes sur place, et certains vont mentir.
Que s’est-il passé ? Adriano B. dit avoir été bousculé au moment où il a ouvert la porte et avoir subi un violent coup dans le dos. L’examen approfondi réalisé quelques jours plus tard par un médecin légiste ne révélera aucune trace d’hématome, et le docteur conclura à l’absence d’incapacité totale de travail. Si aucune violence physique n’a été constatée au cours de la soirée, le contexte apparaît avoir été clairement pesant, entre les cris et les éclats de voix. Présentes à leur domicile, la femme et les deux filles d’Adriano B., restées sous le choc, ont identifié les plaignants aux enquêteurs. Pour la compagne d’Adriano B., celui-ci a bien été bloqué dans un coin de la cuisine par Adama et un second individu pendant qu’elle était contrainte de s’asseoir dans le salon avec ses deux petites.
L’aînée, alors âgée de dix ans, a déclaré aux policiers avoir entendu un des individus crier à sa mère : « Ta gueule, va dans le salon avec tes enfants. » Elle a aussi reconnu la voix de Souleymane Diawara sur le haut-parleur : et pour cause, un temps très proche, Adriano B. avait présenté sa famille au joueur, qui jouait les nounours très affectueux avec les filles. Un psychiatre, expert auprès de la cour d’appel d’Aix-en-Provence, évoquera une situation de « fort stress » pour tous les membres du foyer, avec des éléments de « stress post-traumatique » pour la fille aînée et la compagne d’Adriano B.
Si le double champion de France (2009 et 2010) assure n’avoir pas commandité cette « visite » et si son frère lui-même assurait en avoir pris l’initiative, les enquêteurs estiment que « c’est sur ses indications que la descente a été organisée », puisqu’il avait, via un ami policier, récupéré l’adresse de la victime et l’avait communiquée à son frère. Le 3 avril, un ami d’Adama, présent à Reillanne, contacte Adriano B. pour lui rappeler qu’il n’a plus qu’une semaine pour payer les 10 000 € et récupérer la BMW. Une conversation téléphonique – qui a eu lieu le lendemain des faits, a été enregistrée puis reconnue par le joueur – s’avère plus délicate encore. Adriano B. s’exclame : « Tu imagines les malades que tu m’as envoyés hier, à moi, ma famille, mes enfants ? » Diawara répond : « Des malades, ça ? Ce n’était pas des malades, c’était des gentils, ça. » Il s’agissait d’une simple pression, selon le joueur.
« Il a reçu cette visite, mais il n’y a pas eu d’agression comme j’ai cru l’entendre ici ou là, assurait Diawara à L’Équipe en août 2015. Sa voiture a été prise en gage, il n’y a rien du tout, je le connais et il me connaît. J’ai même entendu dire qu’il voulait retirer sa plainte. » Il n’avait pas bien entendu, sans doute, et le dernier chapitre va donc s’écrire dans un peu plus de trois semaines, devant le tribunal correctionnel, où Diawara répondra des charges de « complicité du délit d’extorsion et de tentative d’extorsion par violence, menace ou contrainte ».
L'Equipe