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Joey Barton « J’ADORERAIS ENTRAÎNER LʼOM UN JOUR »
L’ancien milieu anglais de Marseille, fraîchement retraité des terrains, entame une carrière de coach avec appétit et ambition. DE NOTRE ENVOYÉE SPÉCIALE
MELISANDE GOMEZ FLEETWOOD (ANG) –Dans son bureau au premier étage du beau centre d’entraînement du Fleetwood Town FC (D 3 anglaise), les murs sont tapissés de tableaux blancs que Joey Barton a recouverts de notes. Sur les étagères sont empilés des livres, biographies d’entraîneurs ou de sportifs. À trente-cinq ans, l’ancien milieu de terrain découvre le métier de manager avec curiosité et il raconte sa fraîche reconversion avec sa verve habituelle.
« Quand avez-vous pris la décision de raccrocher les crampons et devenir entraîneur ? Il y a encore quelques mois mon projet était de rejouer avec Burnley. Je pensais continuer encore trois ou quatre ans sans problème. Au printemps, je jouais au golf à Vidauban quand mon agent m’a appelé et m’a dit : “Est-ce que tu serais intéressé par le poste de manager de Fleetwood ?” Je me suis dit, pourquoi vais-je reprendre ma carrière ? Pour jouer à quel niveau ? J’avais trente-quatre ans et j’ai toujours voulu entraîner, depuis tout petit. Je n’ai pas de vie sans le football, c’est clair. C’était naturel pour moi de devenir coach.
Vous y pensiez vraiment ? J’ai toujours étudié le jeu. J’ai toujours pensé au jeu. Je vois ce rôle comme un rôle de service : je sers les joueurs. Je veux les voir progresser et je veux qu’ils sachent que le staff tient à eux. Plus la personne va bien, plus le joueur va bien. Moi je fonctionnais comme ça, je donnais le meilleur quand j’étais bien dans ma vie, dans mon environnement.
Vous avez passé vos diplômes d’entraîneur alors que vous étiez encore joueur. Est-ce vraiment un métier qui s’enseigne ? C’est une bonne question, parce qu’entre la théorie et la pratique… Il y a tellement de choses dans ce métier qu’on apprend sur le tas. Pendant dix minutes tu es psychologue, les dix minutes suivantes tu es conseiller conjugal, les dix minutes suivantes tu es conseiller financier, et les dix minutes suivantes tu es entraîneur de football professionnel. Mon voyage de vie, très riche, va m’aider dans ma carrière de coach. La vie que j’ai eue, je pense que c’est un atout pour devenir un bon entraîneur. J’ai fait beaucoup d’erreurs, je le sais, mais aujourd’hui je les vois venir chez les autres, peut-être, et je sais les éviter. Je pense qu’en football les entraîneurs ne disent pas assez à leurs joueurs qu’ils les aiment.
Comment organisez-vous les séances ? Je pense que chaque joueur doit être entraîné individuellement. Ils s’entraînent tous ensemble, pour la compatibilité de l’équipe, les automatismes. Mais ensuite il faut aussi que tu progresses toi, personnellement. On fait trente minutes d’entraînement individualisé le lundi et le mardi, parfois on monte à une heure. Quand je jouais, je voyais que beaucoup de joueurs passaient une demi-heure ou trois quarts d’heure par jour en salle à faire de la musculation. O.K., il faut être musclé, mais c’est bien aussi d’entraîner ses pieds. Si tu es buteur tu dois t’entraîner devant le but, parce que ton boulot c’est de marquer.
Quelle est la part des relations humaines dans le métier, à votre avis ? C’est au moins 80 % du travail. C’était déjà mon rôle dans une équipe en tant que joueur. Parfois, je m’énervais pour que l’équipe s’énerve. Parfois, je me calmais pour que l’équipe se calme… Bon, c’était plus rare (rires). J’ai eu une jeunesse difficile, tout le monde le sait, j’avais des problèmes, je me battais souvent. Le club (Manchester City, son club formateur) m’a envoyé chez Peter Kay, le fondateur (avec l’ancien joueur Tony Adams) de la Sporting Chance Clinic, pour gérer mes problèmes de comportement. Avec lui on parlait de psychologie pendant des heures. C’est une immense partie de ma vie, et j’apprends chaque jour. Ici, à Fleetwood, nous avons l’aide de Steve Black, qui a travaillé pendant quinze ans avec Jonny Wilkinson (l'ancien rugbyman anglais). On parle de pied gauche, pied droit, mais la partie la plus importante chez les joueurs ce sont les quinze centimètres entre les deux oreilles.
C’est-à-dire ? La dernière frontière est là, dans notre sport. La tactique, si je ne l’ai pas comprise après dix-sept ans de carrière, c’est inquiétant. Les sciences, la condition physique, la nutrition, les données de partout, les GPS, les statistiques, tout ça on connaît, on mesure. Mais la dernière frontière est dans l’esprit, dans le mental. Les plus grands managers étaient surtout des grands psychologues. Tous sont des leaders, des gars qui parlaient au mental de leurs joueurs. Bill Shankly, Alex Ferguson, José Mourinho, Jürgen Klopp, Mauricio Pochettino, Pep Guardiola. Et chacun cuit le roastbeef à sa façon. Il y a beaucoup de bons chefs dans le monde, et il y a beaucoup de façons de cuire le roastbeef. Je prends l’exemple du roastbeef, parce qu’en France on m’appelait comme ça.
Comment voulez-vous que votre équipe joue ? Un bon kick and rush à l’ancienne ? (Rires.) Ce n’est plus ça le foot anglais ! On passe notre temps à se faire des passes. Il y a tellement de joueurs étrangers maintenant que foot anglais cela ne veut plus rien dire. Entre la Deuxième Division française et la Deuxième Division anglaise, il n’y a pas match. Le foot anglais, il ne faut pas le sous-estimer. Regardez le PSG à Liverpool : ils ont eu beaucoup de chance de marquer deux buts (2-3). Ici, nous avons quatre divisions professionnelles, qui sont toutes fortes. C’est difficile de gagner en League 2 (la 4e Division), il fait un temps pourri, les pelouses sont moyennes. Bon, elles sont meilleures que les pelouses de L 1, cela dit.
Quel style de jeu vous plaît, alors ? Vous voulez que votre équipe ait le ballon ? Je veux qu’elle gagne, c’est tout. Et il y a beaucoup de façons de gagner. Certains jours, il faut gagner une guerre. D’autres jours, on peut gagner en étant créatif, en jouant un bon football. Cette saison nous aurons 46 matches et trois Coupes, donc 60 matches, si tout va bien. Quand tu joues 60 matches, tu dois savoir que les 60 seront différents, à cause du terrain, de l’adversaire, du climat. Il faut que les joueurs s’adaptent. Le foot, c’est comme la théorie de Darwin : survivent ceux qui savent le mieux s’adapter. Pendant le cursus d’entraîneur tout le monde était là : alors, quelle est ta philosophie ? Comment veux-tu jouer ? Hey, mais je ne sais même pas quels joueurs je vais avoir ! Je peux avoir une idée de comment je veux jouer, mais si vous me donnez Messi et Suarez cela va peut-être changer deux ou trois détails. Le problème, c’est que plein de coaches ont une idée et veulent caser les joueurs dedans, coûte que coûte. Mais ce n’est pas comme ça que ça marche. Parfois, je me trompe, mais j’essaie d’aligner l’équipe pour gagner, pas l’équipe pour incarner mon idéal de football.
Qui sont les entraîneurs qui vous inspirent ? Il y en a tellement, tous les jours, partout. Des entraîneurs de foot, de baseball, de foot américain, des gens aussi, dans la vie. Je prends certaines choses chez les autres, mais bon. Beaucoup d’entraîneurs essaient d’être Guardiola, mais il n’y a qu’un Guardiola. C’est un coach phénoménal, un exemple, parce qu’il travaille énormément, il est passionné, obsédé, il voit le football comme un art. C’est fantastique. Pep est un entraîneur incroyable, mais il a toujours eu de l’argent à dépenser. Il est le meilleur entraîneur du monde, avec les meilleurs joueurs. Et peut-être que le meilleur entraîneur du monde n’est pas dans les meilleurs clubs, mais au niveau au-dessous.
Vous voyez-vous entraîneur de Marseille ?
J’adorerais entraîner l’OM un jour. Honnêtement, je pourrais entraîner Marseille sans problème. Je connais le club de fond en comble, je comprends les gens, la culture, j’ai connu le Vélodrome et je sais ce que le club représente pour les gens. Beaucoup d’entraîneurs de l’OM ne connaissaient pas le club. Si mon voyage me ramène là-bas, fantastique.
Vous étiez souvent nerveux sur un terrain. Sur le banc, comment rester calme ? Quand tu joues, le terrain c’est la bataille, tu ressens l’adrénaline et tu veux gagner cette bataille. Donc, tu n’es pas lucide, ni calme, tu es au milieu du front. Et si un gars te tacle, tu as mal, tu sens le coup, tu peux disjoncter. Mais sur le banc, c’est mon job de garder mon calme. Et si je crie sur l’arbitre ou sur le public, comment puis-je guider les joueurs ? Quand tu joues, ton rôle est différent, et sur le terrain mon rôle était parfois de rameuter les troupes. Mais comme coach, non.
Jusqu’où voulez-vous aller ? Toute ma carrière je me suis dit que je deviendrais un entraîneur et que j’irais plus haut que comme joueur. En tant que joueur j’avais des limites, techniques, physiques, en tant que coach mon potentiel est moins limité. Tout ce que je n’ai pas réussi comme joueur, je veux le réussir comme entraîneur. Ce qui laisse beaucoup de projets. Je veux passer ma vie dans le football. J’ai trente-cinq ans, j’ai encore au moins trente-cinq ans comme entraîneur.
Qu'avez-vous appris, en France ? Une différence de style, dans l’approche. En Angleterre, certaines choses qu’on voit en France ne passeraient pas. Ici, le foot doit être comme le basket, une attaque par ici, une attaque par là, sinon les fans s’énervent. En France, c’est plus des échecs que de la NBA. Ici, le foot c’est du spectacle.
Vous regrettez le foot d’avant ? C’est comme ça, c’est tout. Maintenant les gens supportent les grands clubs, ceux qui gagnent. Mon fils de six ans, quand il joue il veut être le meilleur joueur, Messi, Ronaldo, Salah, surtout pas Neymar, Kane.
Il ne veut pas être Neymar ou est-ce interdit chez vous ? (Rires.) Nous ne prononçons pas ce nom à la maison. Ses amis supportent tous Liverpool. L’autre jour, il me demande : “Papa, je peux avoir le survêt de Liverpool ?” J’ai dit : “Non, toi tu supportes Everton.” Il a fait une tête bizarre, il ne comprenait pas trop. Aujourd’hui, personne n’insiste des années avec une équipe qui ne gagne pas.
Mais que lui reprochez-vous, à Neymar ? Je pense qu’il est le Kim Kardashian du football. Neymar n’est pas le meilleur joueur du monde, on l’a encore vu en Russie. Il n’est pas au niveau de Ronaldo et Messi, et il y a beaucoup d’autres joueurs devant lui. Neymar, plus qu’un phénomène de football, c’est un phénomène de pub, comme les Kardashian. Quand tu vois le PSG avec un maillot Jordan ! Sérieusement ? Hey, les gars, c’est une marque de basket ! Et vous êtes un club de foot ! C’est bizarre ou c’est moi ?
Avez-vous apprécié la Coupe du monde de l’Angleterre, au moins ? Ne me lancez pas là-dessus ! Ils n’ont battu personne et se sont retrouvés en demi-finales sans qu’on comprenne pourquoi. Mais tout le monde était content. Dans ce pays, personne ne voit les choses rationnellement, c’est inquiétant.
Vous voyez-vous manager de l’Angleterre ? Non. Je rêve de gagner des grandes compétitions avec de grands clubs mais pas d’entraîner la sélection. Si vous demandez à un supporter de Liverpool : tu préfères que Liverpool soit champion ou que l’Angleterre soit championne du monde ? Il te dira Liverpool champion. Et puis si on gagne la Coupe du monde, tout le monde va être anobli, cela m’énerve. Maintenant, tu gagnes un match et tu es chevalier ! Sir Harry Kane ? Sans blague ! Il y a peut-être des choses plus importantes, non ? »