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Droits TV, salaire, détracteurs : fragilisé par un mandat mouvementé, Labrune reste favori à sa propre succession
Vincent Labrune, qui sort abîmé de quatre ²ans de présidence de la LFP, semble quand même favori des élections programmées le 10 septembre. À condition qu'il se représente, et que l'épisode de l'attribution des droits télé ainsi que le climat hostile à beIN et Nasser al-Khelaïfi ne pèsent pas plus qu'attendu au moment du scrutin.
Une élection précipitée, une opposition incapable de s'organiser, un président impopulaire qui n'a pas réussi à tenir ses promesses, un environnement économique dégradé... Un air de déjà-vu flotte sur les élections à la Ligue de football professionnel, lesquelles doivent se tenir le 10 septembre. Aucune volonté, assure-t-on à la Ligue, d'anticiper les élections. Statutairement, la LFP avait pourtant jusqu'au 31 décembre pour les organiser. Les candidatures pour le conseil d'administration sont à envoyer le 25 août au plus tard. C'est-à-dire dans la torpeur de l'été, à une période peu propice aux huis clos et autres conciliabules politiques, et alors que les clubs sont plus concernés par leur mercato et leurs finances fragiles que par les élections.
En attendant, Vincent Labrune (*), qui a du mal à décrocher, passe quelques jours en Corse avec son ami Pierre-Antoine Capton, actionnaire du Stade Malherbe de Caen (20 %) et nouvel associé de Kylian Mbappé (80 %). Pour améliorer l'attractivité du Championnat, le président de la LFP aurait sans doute préféré voir le capitaine des Bleus rester en Ligue 1 plutôt que d'investir dans un club de Ligue 2, mais rien ne s'est décidément passé comme prévu dans ces mois de négociation arides des droits télé.
Le pacte du silence se fissure en off
Labrune en sort abîmé après avoir difficilement obtenu 500 M€ de droits domestiques. Les petits clubs qui l'avaient mené à la victoire en 2020 face à Michel Denisot, avant qu'il ne mène une politique tournée vers la compétitivité des équipes disputant l'Europe, n'osent toujours pas le critiquer, preuve qu'il fait encore figure de favori pour les élections. Mais le silence auquel il les avait tous astreints, arguant qu'aucune voix discordante susceptible de parasiter les négociations - d'abord avec CVC puis avec de potentiels acquéreurs de droits télé - ne devait se faire entendre, se rompt doucement. Tantôt pour critiquer le train de vie de la Ligue, parfois pour sa trop grande proximité avec le Qatar de Nasser al-Khelaïfi et de beIN Sports, sur lequel Labrune aurait fait tapis avant d'envisager trop tard des solutions alternatives.
À son entourage, le patron de la LFP dit parfois en avoir ras le bol. Des sénateurs qui en auraient après lui au point de lancer une commission d'enquête, de Vincent Bolloré (propriétaire du groupe Canal) qui ferait tout pour nuire à la Ligue, du Parquet national financier qui chercherait une infraction dans le pacte avec CVC, qu'il présente, lui, comme le deal du siècle qui a « sauvé le football français », des critiques en tout genre, du rythme harassant.
Furieux qu'on le présente comme un « branleur », alors qu'il travaille « comme un malade ». Un de ses confidents l'a ainsi entendu dire qu'il était prêt à décrocher, sans savoir s'il s'agissait là d'une énième bravade, d'un coup de bluff pour mieux s'imposer au centre du jeu. Ils sont quelques-uns à vouloir concurrencer Labrune, ou au moins lui opposer un contre-pouvoir au conseil d'administration. Ses détracteurs tirent cependant pour l'instant en ordre dispersé.
Remboursement de frais, salaire, train de vie : le président contesté
En privé, Waldemar Kita pousse pour une réforme de la Ligue et l'instauration d'une présidence tournante. Une solution soutenue par l'OL de John Textor et qui aurait le mérite, affirme le président nantais, de réduire les frais de fonctionnement de la Ligue. Dans les échanges WhatsApp entre présidents s'installe l'idée qu'en période de vaches maigres, les émoluments de Labrune, qu'il touche au titre de sa double casquette de président de la LFP et de LFP Media (la société commerciale qui a été créée pour accueillir le fonds d'investissement CVC au capital de la Ligue en 2022, fonds qui a injecté 1,5 milliard d'euros en échange de 13 % des revenus de la LFP à vie), ne sont pas entièrement justifiés. Devant le Sénat, fin juin, Labrune avait par exemple reconnu bénéficier de 200 000 euros de remboursement de frais sur la saison 2022 et 2023, répartis entre la Ligue et la société commerciale, et justifiés par le président par de nombreux déplacements à l'étranger pour prospecter dans le cadre de l'appel d'offres.
D'autres pointent - anonymement - un fastueux train de vie avec chauffeur et une suite au Brach (un hôtel 5* à Paris) où il reçoit en grande pompe ses interlocuteurs. Selon nos informations, Édouard Conques et Jean-Christophe Germani, les représentants de CVC, ont eux-mêmes demandé, lors d'un comité de supervision, le remboursement de certains frais de Labrune discrètement refacturés à LFP Media. Face à ces reproches, le président de la Ligue a plaidé des problèmes de communication.
Son salaire (1,2 million d'euros brut annuels) et son indemnité forfaitaire de fin de mandat actée dès octobre 2020 et qui s'élèverait aujourd'hui à plus de 5,4 M€ en cas de départ, selon les calculs du sénateur Michel Savin (LR), font aussi grincer des dents. Et auraient choqué les représentants de CVC lorsqu'ils ont appris le détail de ces rémunérations à la suite de leur audition devant le Parlement. Une contestation qui prolonge les débats nés des commissions touchées par Labrune lors de la signature du deal avec CVC (3 M€ parmi les 8,5 M€ versés à des responsables ou salariés de la LFP) qui ont poussé la justice à ouvrir une enquête préliminaire après une plainte de l'association anticorruption AC !!, fin 2023.
Signe d'une défiance nouvelle, le collège de Ligue 1, s'il a exclu tout audit externe des comptes de la Ligue et de LFP Media, a confié un audit interne à plusieurs présidents. Cela fait suite à une discussion animée lors de laquelle Laurent Nicollin, pourtant soutien de la première heure de Labrune, avait expliqué la situation très compliquée dans laquelle son club de Montpellier se trouvait. Sans pointer du doigt les rémunérations de Labrune, il avait appelé à faire toutes les économies possibles au niveau de la Ligue.
Pour autant, rien ne se dessine vraiment au niveau de l'opposition. Le Havre, qui a saisi la justice contre l'accord de la Ligue avec CVC, entend conserver sa liberté de ton et se gardera de briguer le conseil d'administration. Le 1er août, le président du HAC, Jean-Michel Roussier, a ainsi transmis ce mot à ses confrères : « Au-delà du délai de quatre ans à respecter pour un mandat, peut-on m'expliquer l'urgence qu'il y a à convoquer une AG élective alors même qu'un audit est en cours sur les charges LFP et LFP Media, alors même qu'une commission d'enquête parlementaire est également en cours, et alors que nous sommes le 1er août et que rien n'est définitivement calé sur l'organisation et la répartition de nos droits télé pour la saison à venir ? »
Le nom de Bernard Caïazzo, l'ancien président de l'ASSE (qu'il vient de vendre au groupe canadien Kilmer Sports) et très actif en coulisse, a beaucoup circulé ces derniers jours. Il est notamment désigné comme un référent par des clubs de L1 et de L2 échaudés contre beIN, qui a bousculé toute la grille à deux semaines de la reprise du Championnat, pour finalement programmer la Deuxième Division le vendredi et le lundi, au grand dam des supporters. Mais Caïazzo adresse une fin de non-recevoir : « Je n'irai pas à la présidence de la Ligue malgré les sollicitations car j'estime qu'il n'y a que des coups à prendre vu la situation économique dramatique du football professionnel français. »
Joseph Oughourlian, à la tête du RC Lens, tête bien faite et très écouté, avait lui aussi manifesté pour la première fois mi-juillet son opposition à la stratégie « court-termiste » de la Ligue, pointant la hausse des tarifs, l'éclatement de l'offre entre DAZN et beIN et un risque accru de piratage. Il se refuse aujourd'hui à tout commentaire, après une passe d'armes verbale qui l'a opposée à Al-Khelaïfi, lequel avait perçu ses propos comme une attaque contre beIN, lui qui est président de beIN Media Group en plus d'être président du Paris-SG.
Jusqu'en mai, Labrune a retardé auprès de ses équipes le projet de création d'une chaîne de la Ligue, répétant à qui voulait l'entendre qu'il possédait un engagement oral de beIN pour une offre à 700 M€, et qu'il ne voulait surtout pas heurter la susceptibilité des Qatariens. Pour des raisons qui dépassent manifestement le football, l'offre a fait long feu et la chaîne qatarienne n'est venue qu'en appui de DAZN avec une offre de 100 M€ pour environ 80 M€ de droits télé et 20 M€ de sponsoring imposé avec des marques du Qatar. « On est pris en otage », « mainmise du Qatar sur la Ligue », persifle un président. « Je préférerais avoir la liberté de construire pour le futur, sans beIN », dit un autre. « La toute-puissance de Canal nous a fait sortir de la route ? On pourrait dire pareil du Qatar, soutient, toujours en off, un membre du CA. L'option de la chaîne de la Ligue, que Benjamin Morel (directeur général de la société commerciale et relais de CVC en son sein) poussait, a été sortie beaucoup trop tard. »
Et gare à ceux qui pointeraient publiquement un possible conflit d'intérêts du Qatar, pris entre le PSG et beIN. Lorsqu'il s'agit d'acter une décision en conseil d'administration pour l'attribution des droits télé, Al-Khelaïfi prend certes le soin de se déconnecter de la visioconférence. Mais lors du CA du 14 juillet, après s'être écharpé avec plusieurs présidents de club en collège Ligue 1 et avoir critiqué l'offre d'Amazon, le patron du PSG s'était incendié qu'on puisse lui reprocher un conflit d'intérêts, lui qui a toujours fait le maximum pour le football français, a-t-il dit. Prenant à partie ses confrères du CA, et soulignant que s'ils pensaient qu'il était en conflit d'intérêts, il pouvait tout à fait retirer l'offre de beIN...
Un ancien dirigeant, qui a côtoyé Labrune et en a gardé une forte inimitié, allume : « Il est capable de comprendre parfaitement ce qu'attendait chacun des présidents. Il a également profité de l'état du foot français. Marseille, Monaco et Lyon appartiennent à des propriétaires étrangers, qui ont regardé le dossier des droits télé de très loin. Tout cela représente la faiblesse du football français. On l'a laissé faire. Son ego a mené le foot français dans cet état. »
À la LFP, on sourit jaune des pseudo-états d'âme des clubs devant le Qatar, jurant qu'à la fin tout le monde « prendra le fric ». Ce qu'admet un autre membre du conseil d'administration de la Ligue : « Ils jouent la carotte avec les ânes qu'on est. Et nous, on a envie de croquer la carotte, donc on avance dans le sens qu'on nous indique. »