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Vincent Labrune, sur la corde raide, candidat à sa succession à la tête de la LFP
Fragilisé par le feuilleton de l’attribution des droits télévisés de la Ligue 1, le président de la Ligue de football professionnel veut briguer un nouveau mandat, le 10 septembre. En faisant une croix sur une « indemnité forfaitaire de fin de mandat » de 5,4 millions d’euros.
Interminable, le feuilleton de l’attribution des droits télévisés domestiques de la Ligue 1 de football pour le cycle 2024-2029 s’est achevé, le 31 juillet, avec la validation par le conseil d’administration de la Ligue de football professionnel (LFP) de l’offre de BeIN Sports (100 millions d’euros pour la diffusion du match du samedi à 17 heures), codiffuseur officiel du championnat, avec la plate-forme britannique DAZN.
Si la barre des 500 millions d’euros par saison pour les droits domestiques du championnat français a été atteinte, ce recul commercial constitue un échec pour le président de la LFP, Vincent Labrune, qui n’a pu ni suivre sa feuille de route (la vente des droits à un diffuseur unique ou la création d’une chaîne 100 % Ligue 1), ni atteindre l’objectif financier annoncé (1 milliard d’euros annuel espéré en comptant les droits internationaux).
Une séquence plus politique va désormais s’ouvrir à la LFP, alors que M. Labrune, élu grâce au soutien de petits clubs, en septembre 2020, avec une courte avance sur le journaliste Michel Denisot, achève son mandat. L’ancien dirigeant de l’Olympique de Marseille, affaibli par l’attribution fastidieuse des droits télévisés et la baisse drastique des recettes redistribuées aux clubs de l’élite, est de facto candidat à sa succession, le 10 septembre, à l’occasion de l’assemblée générale élective de la Ligue.
« Notre mission n’est pas terminée »
Lundi 19 août, M. Labrune est auditionné en visioconférence, avec le directeur général de la LFP, Arnaud Rouger, par les différentes familles (syndicats des joueurs, des administratifs, des entraîneurs, médecins, arbitres) du football français, afin de récolter des parrainages, indispensables pour pouvoir rester membre dit « indépendant » du conseil d’administration de la LFP. Une étape préalable au dépôt officiel de sa candidature, six jours plus tard.
« Dans un contexte de crise majeure et de forts “vents contraires” depuis quatre ans – avec en point d’orgue l’erreur stratégique Mediapro [la société, détentrice des droits télévisés en 2020, n’était pas en mesure de payer ses échéances à la LFP] que nous payons encore aujourd’hui, nous avons initié, avec Arnaud Rouger, une réforme profonde du modèle du football professionnel français, il y a tout juste deux ans, plaide M. Labrune, contacté par Le Monde. Nous ne sommes qu’aux prémices de ce projet de longue haleine, lancé, en 2022, avec la création de notre filiale commerciale, et notre mission n’est donc pas terminée. Loin de là. »
« Les déceptions que nous venons de rencontrer lors de notre dernier appel d’offres nous rappellent cependant que notre secteur traverse une mutation profonde, et que les réformes que nous avons initiées sont plus que jamais d’actualité », développe-t-il, avocat de son propre bilan.
Le communicant et homme d’affaires de 53 ans n’en a jamais fait mystère : il entend conserver son siège à la tête de la LFP. « Je ne suis pas encore parti », avait-il déclaré, le 26 juin, lors de son audition par la mission d’information du Sénat sur la création, en 2022, d’une société commerciale de la Ligue, dans le cadre d’un accord financier avec le fonds d’investissement luxembourgeois CVC Capital Partners. Un deal qui fait l’objet d’une enquête préliminaire du Parquet national financier pour détournement de fonds publics.
Le 26 juin, sous le feu roulant des questions du rapporteur Michel Savin (Les Républicains, Isère), M. Labrune avait laissé entendre qu’il souhaitait poursuivre son action à la LFP, « le plus longtemps possible, y compris lors de la mandature prochaine ».
Le train de vie de la Ligue (achat d’un nouveau siège parisien pour 120 millions d’euros), qui bénéficie d’une subdélégation de service public (par une convention avec la Fédération française de football, délégataire de service public), et les émoluments de M. Labrune ont toutefois crispé certains cercles autour de de la LFP, dans un contexte financier tendu par l’issue décevante du dossier des droits. Selon les prévisions de la LFP, elle devrait encaisser 751,6 millions d’euros, lors de la saison 2024-2025, tous revenus confondus (contre, par exemple, 837,2 millions en 2021-2022). Et elle aura à reverser son premier dividende à son associé CVC, soit 120,9 millions d’euros, un montant rattrapant notamment deux premières années sans transfert d’argent.
« Je ne suis pas un homme d’argent »
Interrogé par les sénateurs sur sa rémunération (1,2 million d’euros brut annuel), validée par le conseil d’administration de la LFP, les remboursements de ses frais (200 000 euros en 2022-2023, de l’aveu même du dirigeant) et un bonus de 3 millions d’euros touché dans le cadre du deal avec CVC, M. Labrune avait dû se justifier sur une « clause de départ ou de non-réélection » lui octroyant un bonus de 5,4 millions d’euros s’il n’était ni candidat ni réélu en septembre.
M. Labrune avait promis devant les sénateurs de « revoir », lors du « prochain » conseil d’administration de la Ligue, le montant de ce bonus.
La chose a été actée lors d’une réunion du conseil d’administration, le 25 juillet. M. Labrune a fait une croix sur ledit bonus, officiellement nommée « indemnité forfaitaire de fin de mandat ». « Vincent Labrune (…) renonce purement et simplement au principe de l’indemnité prévue le 15 octobre 2020 dans l’hypothèse où son mandat ne se poursuivrait pas pour quelque raison que ce soit », précise le procès-verbal.
« En effet, Vincent Labrune considère que la rémunération et le bonus qu’il a obtenu à la suite de la création de la filiale commerciale de la LFP et l’entrée de CVC au capital de celle-ci étaient des éléments exceptionnels au sens littéral du terme et qu’il n’est pas question qu’ils puissent servir de base de calcul à l’indemnité de fin de mandat préalablement prévue et votée », est-il aussi écrit. « Ce geste est symbolique mais pas neutre. Je ne suis pas un homme d’argent, et j’en ai assez des procès d’intention », s’agace le dirigeant.
M. Labrune peut-il perdre sa couronne, le 10 septembre, alors que l’ancien patron des sports de Canal+ Cyril Linette, auditionné par les « familles », lundi 19 août, veut présenter sa candidature ? « La majorité des votants souhaitent le maintien du statu quo et veulent protéger le système, décrypte un proche du dossier. Ils sont comptables et complices des décisions prises ces dernières années et n’ont aucun intérêt à ce qu’un nouvel arrivant mette son nez dans les dossiers de la Ligue. »
Malgré les turbulences, M. Labrune a su serrer les rangs derrière lui. Le soutien affiché récemment, dans les colonnes de Midi libre, par Laurent Nicollin, président du club de Montpellier, confirme cette tendance. « Vincent est toujours l’homme de la situation », a déclaré celui qui dirige également Foot Unis, le syndicat des clubs professionnels.
« Nous pensons que nous sommes les meilleurs garants d’une unité du football professionnel qui de tout temps a été difficile – voire impossible – à mettre en place », argue M. Labrune, sur la corde raide, mais grand favori du scrutin du 10 septembre.
Le Monde