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Dans les secrets de Gian Piero Gasperini, le maître du jeu de l'Atalanta
Arrivé à l'Atalanta en 2016, Gian Piero Gasperini en a fait un club européen. La réussite d'un entraîneur exigeant mais respecté, qui sait imposer un style comme peu d'autres. Son équipe fait face à l'OM en demi-finales de Ligue Europa ce jeudi soir (21 heures).
Pour mesurer l'impact de Gian Piero Gasperini sur son équipe, le mieux est peut-être de tendre le micro à ses adversaires au moment où ils quittent le terrain, comme ce Cristiano Ronaldo essoufflé et trempé de sueur, un soir de novembre 2021, après un nul (2-2) entre l'Atalanta et Manchester United en Ligue des champions. « Ce sont toujours des matches très difficiles contre eux, parce qu'ils ont un entraîneur fantastique et ils savent toujours quoi faire sur le terrain », avait constaté le Portugais, pourtant rodé au plus haut niveau. À 66 ans, Gasperini n'a pas l'aura ni le palmarès de Pep Guardiola, mais il a su, lui aussi, marquer ses équipes d'un style bien à lui, offensif, spectaculaire et identifiable en quelques secondes.
L'Italie le connaît depuis longtemps, lui le natif de Turin qui fut un honnête milieu de terrain, beaucoup de Serie B, un peu de Serie A, avant de se lancer dans une autre carrière entamée dès 1994, au centre de formation de la Juventus qu'il avait lui-même fréquenté, adolescent. Après dix ans à former les futurs pros, il se lance dans le grand bain à Crotone, qu'il fait monter de la Serie C à la Serie B avec des idées bien arrêtées, un bloc haut, un pressing agressif, un système en 3-4-3, un marquage individuel tout terrain, des jeunes joueurs qui le suivent les yeux fermés et des adversaires complètement dépassés par cette intensité. Son empreinte est visible et son nom commence à circuler.
« On cherchait un entraîneur jeune et Crotone jouait vraiment bien, se souvient Stefano Capozucca, alors directeur sportif du Genoa. On était curieux de ce Gasperini, on est allés le voir jouer plusieurs fois et on l'a pris. Il avait déjà son jeu à lui, peu de monde à l'époque jouait à 3 derrière. Et il y avait surtout son envie de foot offensif, il n'avait jamais peur de perdre. »
« Gasp » détonne avec ses consignes ambitieuses et nouvelles, à rechercher les duels dans toutes les zones du terrain, à attaquer la surface adverse en nombre quitte à accepter de laisser ses défenseurs en un-contre-un. Dès la première saison, il fait remonter le Genoa en Serie A, avant de le hisser, deux ans plus tard, à un cheveu d'une qualification en Ligue des champions. Cette année 2008-2009 à Gênes constitue, à l'époque, la plus achevée de sa carrière et celle, aussi, qui lance définitivement « l'école Gasperini » : dans son effectif figurent ses disciples d'aujourd'hui, Ivan Juric, entraîneur du Torino, Thiago Motta, entraîneur de Bologne, Raffaele Palladino, entraîneur de Monza, qui se revendiquent tous de son inspiration.
Au-delà d'une vocation qu'il a parfois éveillée, ses anciens joueurs constatent en choeur les progrès effectués sous sa direction, malgré les entraînements épuisants. « Il a changé ma carrière, résume Marco Rossi, son ancien capitaine au Genoa. C'est un génie, pour moi. On voit sa patte et c'est rare dans le foot. Il rend les joueurs plus forts, parce que quand tu as le ballon tu as toujours trois solutions autour de toi, alors c'est difficile de se tromper. Il m'a fait jouer à tous les postes, mais j'avais confiance à chaque fois. Même quand on était promu, on allait à la Juve ou à Milan pour gagner les matches. Et sur le terrain, on prenait beaucoup de plaisir. »
De Gênes à Bergame, la réussite est la même, le style aussi, et la douloureuse parenthèse à l'Inter, où il a échoué à l'été 2011, un peu mieux digérée. Ces deux mois à Milan lui ont laissé des regrets et collé l'étiquette d'un entraîneur trop rigide pour les grands clubs. Son cycle vertueux à l'Atalanta a redoré son image, même s'il reste un personnage peu consensuel, capable de s'emporter contre un arbitre et pointilleux sur les règles auprès de son vestiaire.
Pour son ancien joueur Joakim Maehle, il était même « un dictateur », mais un de ses anciens dirigeants balaye la critique : « Les joueurs qui ne jouent pas beaucoup se plaignent toujours, mais la vérité, c'est que Gasperini fait des miracles. »
« Il a de la personnalité et n'est pas très flexible, c'est vrai, mais il rend les joueurs tellement meilleurs qu'ils sont nombreux à le remercier plutôt qu'à lui en vouloir », appuie Capozucca. Sous les consignes précises du maître, les joueurs sont comme transfigurés et ils sont nombreux à avoir connu la sélection après leur passage entre les mains de Gasp. Avec lui, l'Atalanta engrange des plus-values énormes sur les transferts (Höjlund, Romero, Kulusevski, Gosens...), et s'est donc installée dans le paysage européen.
« Il a compris quinze ans avant tout le monde que si tu ne cours pas, si tu ne presses pas, tu gagnes moins. Et si tu n'exploites pas au maximum le physique de tes joueurs, tu ne peux pas faire ressortir toutes leurs qualités », nous disait la saison dernière un autre de ses disciples, Igor Tudor.
La philosophie de jeu, les méthodes d'entraînement, la passion du foot, l'admiration de ses pairs : Gasperini a tout, et il ne lui manque qu'un trophée, enfin, pour enjoliver son parcours. Lui ne s'en formalise pas : « L'important, c'est de gagner contre tes propres limites. » Mais son Atalanta est en demi-finales de Ligue Europa et en finale de Coupe d'Italie : à force de repousser les limites, le Gasp va finir par gagner.