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DE L'ARRIVÉE DE BERNARD TAPIE À MARSEILLE AU RACHAT DU CLUB PARISIEN PAR CANAL PLUS; OM-PSG Aux origines de la rivalité
Et si on prenait la machine à remonter le temps pour un voyage aux origines de la rivalité OM-PSG ? Un saut de bébé puce dans le passé à l'échelle de l'humanité, mais un bond en arrière de géant dans la chronologie du foot français pour comprendre ce qui fait le sel de cette adversité si particulière. Avril 1986. Bernard Tapie prend les commandes de l'Olympique de Marseille, lui, le Parisien star de l'entrepreneuriat, icône du tube cathodique et gendre rêvé qui transpirait en débardeur rouge dans "Gym Tonic" aux côtés de Véronique et Davina. "Quand Bernard Tapie est arrivé, ça a vraiment commencé", se souvient Jean-Pierre Bernès, alors bras droit de celui qui devient le "Boss". Marseille la rebelle, la volcanique, la Méditerranéenne. Paris, la capitale, ville des élites qui regarde parfois "vers le bas" avec un certain dédain. Dans le monde du ballon rond, le Paris SG n'a que 16 ans et une page quasi blanche en guise d'histoire. L'OM, de son côté, est déjà presque centenaire.
Au début, l'opposition est avant tout sociétale. "Bernard Tapie cherchait à donner un intérêt supplémentaire au championnat de France en opposant la capitale, ses instances dirigeantes avec la Fédération et la Ligue, et la province avec Marseille et son histoire, Marseille, la frondeuse", recontextualise Gérard Gili, une première fois sur le banc olympien entre 1988 et 1990.
Il y a eu l'opposition sportive emblématique des années 1970 - et ancrée pour toujours - entre l'OM et Saint-Étienne, l'époque des Marcel Leclerc et Roger Rocher. "Il y a eu des matches épiques, une grosse rivalité des présidents. Il y a eu l'affaire Carnus-Bosquier, puis Salif Keita qui signe à Marseille : un soir de 3-3 (novembre 1972), il fait un bras d'honneur après son but à Roger Rocher", rappelle Bernès. L'adversité avec Bordeaux va prendre aussi des allures de détestation mutuelle, incarnée par Tapie d'un côté et Claude Bez de l'autre. "Claude Bez venait à Marseille avec sa Cadillac, rembobine Bernès, c'était quelque chose, une ambiance. Bordeaux dominait le championnat, Bernard arrivait, on voulait dégommer Bordeaux. C'était la présence de grands dirigeants, très ambitieux pour leur club et qui mettaient les moyens pour réussir."
Sous Borelli, un PSG "familial"
C'est dans ces années-là, donc, que la mayonnaise commence gentiment à monter entre l'OM et le PSG, entre deux clubs aux relations alors plutôt amicales. Les années 1980, c'est la présidence Francis Borelli à Paris (1978-1991), dirigeant emblématique à l'ancienne. "C'était engagé mais pas la même mentalité que par la suite. Sous l'ère Borelli, Paris était un club familial, il n'y avait pas de méchanceté entre les deux équipes", recontextualise le Gardannais Daniel Xuereb, attaquant du PSG entre 1986 et 1989, où il avait rejoint son mentor Gérard Houllier, avant de faire une saison à l'OM en 1991-1992. Néanmoins, rien ne vaut une victoire contre la "capitale" pour faire gonfler le moral de toute une ville. Le 28 novembre 1986, les Olympiens fessent les Parisiens au Vélodrome (4-0), grâce notamment à un doublé de Patrick Cubaynes. "C'était une autre époque, sourit l'enfant de Villeneuve-lès-Avignon. Marseille était trois fois plus fort que le Paris SG, maintenant c'est le contraire (rires). Il y avait la rivalité avec Bordeaux, mais le Paris SG ça a toujours été un derby (sic). Ce jour-là, 4-0 ça avait fait du bruit, un petit peu..."
Une rivalité sportive s'installe véritablement avec le tournant du 5 mai 1989. Cet OM-PSG s'achève au bout du suspense par un but de Franck Sauzée qui permet au Vel' d'exulter (1-0) et au peuple bleu et blanc de célébrer, au bout de la saison, un doublé coupe-championnat. "Contre Paris, ce n'étaient pas des matches de championnat mais de coupe d'Europe, image Gili. C'était une autre dimension, ça faisait partie du spectacle. C'était préparé comme un combat de boxe : on présente les deux adversaires, les forces et faiblesses de chacun, on y mettait quelques ingrédients comme quelques injures plus ou moins cachées de chaque côté et on jetait les protagonistes sur le terrain."
Été 1991. Canal Plus, diffuseur du championnat, chaîne très "parisienne" et qui biberonne les nouvelles générations aux "Guignols de l'info" et "Nulle part ailleurs ", rachète le PSG. Le volcan de la rivalité marseillo-parisienne va alors connaître ses plus grandes éruptions, à une époque où le Qatar avec ses gazo-dollars n'a pas (encore) hissé pavillon au Parc des Princes. "Canal a fait monter la sauce, ça amenait du piment", sourit Bernard Casoni, défenseur de l'OM de 1990 à 1996. La rivalité devient très médiatique. "Ça a été artificiellement gonflé pour que ça devienne un événement", dit Gili. "Au départ, ce n'était pas une rivalité sur le terrain, elle était montée de toutes pièces médiatiquement", estime Denis Troch, adjoint d'Artur Jorge au PSG de 1991 à 1994. La concurrence sportive monte aussi en gamme entre les deux clubs, avec un OM grand d'Europe, qui reste sur une demi-finale (1990) puis une finale (1991) de coupe des clubs champions (C1). "Sous l'ère Canal, ça a commencé, distille Xuereb. Paris voulait prendre le pouvoir et Marseille était le principal adversaire. Tapie avec les dirigeants de Canal, ce n'était pas le grand amour. Certainement que ça a fait des rendez-vous un peu durs, des tacles un peu hauts. C'était une rivalité forte."
De Monaco, jusqu'en 1989, Manuel Amoros était assez détaché de ce contexte qui montait, "on le sentait juste en lisant les journaux". Derrière, le défenseur international français devient olympien et vit de l'intérieur la montée de ce qu'il convient désormais d'appeler le Clasico : "Quand le calendrier était publié, c'étaient les seuls matches que Bernard Tapie regardait. Il nous le faisait comprendre. Une semaine avant le match, la pression commençait à monter, Tapie nous faisait ressentir ça dès le lundi. Il venait à l'entraînement et nous faisait le speech en nous disant qu'il ne fallait pas louper ce match-là sinon ça allait barder."
Marseille capitale du foot français contre Paris en mode Canal Plus de Michel Denisot, qui aspire à le devenir. "Canal avait des ambitions. Bernard Tapie avait les siennes. Cette rivalité s'est faite naturellement. Elle était entretenue dans l'opposition de joueurs à forte personnalité, de joueurs très forts, et par des présidents très médiatiques qui savaient utiliser ce monde-là, la communication", explique Bernès.
1992-1993, la cocotte-minute explose
La cocotte-minute explose en 1992-1993. "En 1992, on s'attendait à ce que ce soit compliqué, raconte Troch. On était en pleine ascension. Le club et les joueurs étaient prêts à bondir, mais, à ce moment-là, l'expérience était encore du côté de Marseille." Le 18 décembre 1992 est la date qui résume à elle seule cette rivalité dans tous ses aspects (lire en pages suivantes), avec un match aller au Parc (victoire de l'OM 1-0) qui est un condensé d'agressivité. "Quand je revois les images,sur internet ils appellent ça la 'boucherie', poursuit Troch. Marseille a eu peur en 1992, nous aussi. Ma conception du football, ce n'est pas ça du tout, mais, en même temps, si on ne répond pas, on meurt. Il faut être présent face à l'adversité, physiquement et dans les propos. C'était comme ça à l'époque." Casoni, alors capitaine, se souvient : "En 92, il y a eu pas mal d'engagement. Quand on gagne, forcément, c'est un bon souvenir. Il y a eu des gestes, quand même, qui sont allés au-delà des limites. Il fallait rester dans le jeu. J'avais du respect pour certains joueurs, il y en a avec qui j'ai débuté ou que j'ai vu grandir, on partageait des trucs en équipe de France. J'ai toujours du respect, après il y a l'engagement. Je ne vais pas faire un vilain geste ou y aller pour blesser, mais j'y allais avec des intentions. Quand tu vas au duel, tu y vas pour le gagner." "Ces matches-là, c'était comme la coupe d'Europe. C'est ce qui nous a permis de faire un très beau parcours deux années de suite en coupe d'Europe. On était prêt au combat grâce à ces matches", estime Troch qui l'assure : "Quand je vois les joueurs de l'époque, je suis respectueux de ces joueurs. Je suis respectueux des Marseillais, je n'ai aucun a priori sur eux, au contraire. Je suis content de les recroiser. C'étaient des relations difficiles mais fortes et belles."
Ces duels au sommet ont à la fois lancé un antagonisme pour toujours, qu'aucun État ou milliardaire ne changera, et ont été les marqueurs d'une époque, la plus épique de cette rivalité. "On a connu ces bons moments, avoue Casoni. On s'est régalé, on était du bon côté (sourire). Les Parisiens se sont moins régalés : je n'ai jamais perdu contre eux." Pour Bernès : "La vraie rivalité, c'est celle qu'on a connue. Celle d'aujourd'hui, ce n'est pas du tout la même (lire ci-dessous). On a vécu le sommet, des années inoubliables et fantastiques." Sur ces mots, nous pouvons revenir au présent, avec un doux sentiment de nostalgie de cette époque qui a construit les temps forts des décennies suivantes.
La Provence