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Georgiy Soudakov, l'emblème d'un Chakhtior Donetsk qui continue à jouer malgré la guerre
Le milieu de terrain Georgiy Soudakov est la nouvelle perle du Chakhtior et le symbole d'une génération qui grandit à l'abri des bombes.
Ce jour-là, il répondait à nos questions depuis la Turquie, le chef de presse du Chakhtior assurait la traduction en anglais à distance, lui aussi. L'interview en triangulation ne risquait pas de déstabiliser Georgiy Soudakov (21 ans), le meilleur élément d'une équipe de Donetsk trimballée d'un endroit à l'autre au gré de la guerre déclenchée par l'invasion de l'Ukraine par la Russie, en février 2022.
Les rencontres à domicile du Championnat à Lviv, tout à l'ouest de l'Ukraine, celles de Coupe d'Europe disputées en exil, à Hambourg, dans le nord de l'Allemagne, ou Varsovie, l'incertitude imprègne le quotidien du meilleur espoir du football local.
Son quotidien en exil : « On essaie de faire comme si »
Sa fille Milana est née en avril 2022, quelques semaines après le déclenchement du conflit. Une enfant de la guerre. Les parents eux-mêmes ont vécu la moitié de leur existence dans le chaos. L'actuel capitaine du Chakhtior, originaire de l'oblast (région) de Louhansk, passé par Kharkiv, n'a lui-même vu Donetsk que de loin. « Ma fille et ma femme vont bien. Là, elles sont à Kiev, malgré les combats. Le quotidien est difficile, on vit dans des villes différentes selon les disponibilités. Nous, joueurs, essayons de nous concentrer sur le foot, sur ce qu'on a à faire, à obtenir des résultats, parce que c'est ce qu'on nous demande. »
Jeudi, le Chakhtior reçoit Marseille au Volksparkstadion d'Hambourg. « On est habitués maintenant, on a joué en Pologne, souvent dans les mêmes endroits, et en Allemagne on se sent bien. À Hambourg, on est bien supportés, il y a du monde au stade, on sent que les gens sont derrière nous. Ce n'est pas notre maison, ce n'est pas chez nous, mais on essaie de faire comme si. On a tous des proches qui se battent pour nous. Au Chakhtior, on a Volodymyr Seheda, notre gardien en U19, qui a choisi de rejoindre l'armée ukrainienne en avril dernier. On pense en permanence à ce qu'il se passe, à nos proches sous les bombes. Le seul moment où on n'y pense pas, c'est quand on joue. Sur le terrain, on oublie. ça nous permet de nous évader, de ne pas trop y penser, même si c'est impossible. »
L'avenir en Ukraine : « Ramener le foot à la maison, ce serait déjà un bon début »
L'Ukraine a été devancée par l'Italie dans la course à l'Euro 2024, pour lequel elle peut encore se qualifier à travers un barrage à Zenica contre la Bosnie-Herzégovine puis, si succès, face à Israël ou l'Islande. La participation de la sélection jaune et bleu, au-delà du symbole politique, constituerait un jalon pour l'avenir à en croire Georgiy Soudakov.
« On est très confiants, tout le monde sait qu'on a beaucoup de très bons joueurs, qu'on a une très bonne équipe. Sur notre valeur, on doit y aller. Mais c'est du foot, rien n'est certain. Beaucoup de scouts viennent observer notre Championnat, notre vivier est très fourni. On a une équipe nationale très forte, et je suis très confiant pour l'avenir. On va réussir de grandes choses. Plein de jeunes se sont exilés en Europe de l'Ouest par obligation, ça a ouvert la porte à d'autres jeunes, au moins à ce niveau c'est positif. Mais pour l'avenir, je voudrais jouer en Ukraine. Ce serait déjà très positif qu'on puisse jouer à Lviv, à Kiev et ailleurs. La grande idée, l'espoir, c'est de ramener le foot à la maison. Ce serait déjà un bon début. On est convaincus qu'on va revenir bientôt. »
Son futur : « Zinchenko et Moudrik ? Je ne peux pas dire que je suis meilleur qu'eux mais je suis content qu'on le dise »
Difficile de ne pas croire à un avenir différent du commun quand on débute en Ligue des champions par une victoire sur la pelouse de Santiago-Bernabeu face au Real Madrid (3-2, le 21 octobre 2020). « C'était incroyable. Dix de nos titulaires étaient malades (Covid). Je n'ai pas joué longtemps (il a remplacé Dentinho à la 86e) mais je me souviens combien j'étais déçu quand ils ont égalisé peu après mon entrée en jeu (Donetsk menait 3-0 à la pause). Je me sentais coupable. Heureusement, leur but a été refusé et on a tenu ce succès historique. »
Depuis, Soudakov s'est petit à petit imposé comme l'espoir ukrainien majeur du moment. Fernando Valente, son entraîneur avec les U19, a déjà assuré qu'il aurait une carrière plus marquante que ses aînés Oleksandr Zinchenko (Arsenal, 27 ans) ou Mykhaïlo Moudrik (Chelsea, 23 ans). « Je ne peux pas dire que je suis meilleur qu'eux mais je suis content qu'on le dise, sourit l'intéressé, qui revendique son admiration pour Thiago Alcantara, Luka Modric ou Andres Iniesta. Je suis les quatre meilleurs Championnats européens. La Premier League, comme la Serie A, la Liga ou la Bundesliga, c'est un rêve, je serai content quand ça arrivera. Pour l'instant, on va déjà essayer d'éliminer Marseille. On en est capables pour plein de raisons, on est une vraie équipe qui aime le foot agressif, l'attaque, on a un très bon staff. Vraiment, on a beaucoup d'arguments. »