Information
Gennaro Gattuso : « Je suis venu à l'OM car j'ai besoin d'émotions »
Gennaro Gattuso, entraîneur de l'OM depuis trois mois, revient sur son arrivée au club et sur une greffe qui a bien pris.
Après un entraînement matinal où ses cris ont encore rythmé la séance, jeudi, Gennaro Gattuso, qui fêtera ses 46 ans mardi, a reçu L'Équipe pour revenir sur ses débuts marseillais et sur sa vision du métier d'entraîneur. L'ancien milieu dur au mal est devenu un homme posé et serein, à l'aise dans son costume de coach, même si les leçons de français lui donnent du fil à retordre : « Je comprends, mais j'ai beaucoup de mal à parler. Je ne retiens rien, parce que pendant le cours je pense toujours au match d'après. Ma femme parle bien, mais moi, je suis une chèvre ! » Alors, c'est en italien qu'il échange, et avec le sourire, souvent.
SON ARRIVÉE À MARSEILLE
« Quelle a été votre réaction quand l'OM vous a contacté, fin septembre ?
Je sortais d'une semaine où j'avais parlé avec Lyon. Et trois ou quatre jours après l'interruption de mes discussions avec l'OL, Pablo (Longoria) m'a appelé. Je savais quel type d'équipe était l'OM, j'ai demandé une journée de réflexion pour donner ma décision. J'ai appelé mon staff, on a commencé à travailler, on s'est fait une idée. Et on a décidé de venir, sans aucune inquiétude ni hésitation. Parce que, je l'ai déjà dit, il faut avoir deux vies pour dire non à une aventure comme celle-ci, et moi je n'en ai qu'une.
Cela n'a pas été simple, au départ...
S'il n'y avait pas eu de difficultés, ils ne m'auraient pas appelé. En arrivant, nous avons changé le style de jeu, la façon de travailler. Nous savions que nous allions sans doute laisser des points en route. Mais ce qui m'a tout de suite plu, c'est que j'ai trouvé un groupe de gars incroyables, qui se sont lancés derrière nous dès le premier jour. C'est cet état d'esprit qui nous a permis de nous sortir d'une période un peu moyenne, l'envie des joueurs, leur mentalité. L'autre aspect qui m'a beaucoup aidé, c'est d'avoir eu un président, ou Stéphane (Tessier, le directeur général), ou Medhi Benatia, depuis qu'il est arrivé (comme conseiller sportif), qui m'ont toujours montré de l'affection, même dans les moments délicats. Je ne voyais pas la froideur de ceux qui doivent prendre des décisions, mais seulement de la tranquillité, du calme, de la confiance. Et je les en remercie.
Savez-vous pourquoi l'OL a renoncé à vous choisir ?
Je n'ai parlé qu'à une seule personne, John Textor. Je ne sais pas, mais sincèrement je suis content de comment les choses se sont déroulées. Après, il y a des idées toutes faites dans ce milieu. Peut-être que certains pensent que je suis un gars qui crée des problèmes, alors que dans ma carrière je ne me suis jamais disputé avec un joueur, au contraire, je suis quelqu'un qui aime les joueurs. Après, si se disputer avec les joueurs, c'est les recadrer quand je vois qu'ils ne font pas les choses ou qu'ils n'y mettent pas assez de passion, ça, je n'y peux rien. Pour moi, le terrain est sacré et s'entraîner à fond n'est pas négociable.
Vous disiez ne pas avoir eu de doutes avant de venir. Et au bout de quelques jours, après la défaite à Monaco (2-3, le 30 septembre) par exemple, vous êtes-vous demandé où vous aviez mis les pieds ?
Cette défaite-là, je ne la compte pas, parce qu'en trois jours on n'avait pas le temps de faire beaucoup. Mais je ne me suis pas posé trop de questions. Les sous sont très importants, je le sais, mais je ne travaille pas pour l'argent. J'ai eu la chance de faire une belle carrière et je n'ai pas dilapidé mon argent. Je recherche les choses qui me font me sentir vivant et à l'OM, je me sens vivant. J'ai travaillé dans des endroits chauds, et comme dans tous les grands clubs ici les résultats comptent beaucoup. Quand tu as 65 000 personnes au stade, et plus de 3 ou 4 millions en France qui te soutiennent... Je m'en suis rendu compte après le match contre Le Havre (3-0, le 8 octobre), il y avait une trêve, je suis rentré deux jours en Espagne, et j'ai rencontré des centaines de supporters à l'aéroport qui reprenaient l'avion pour repartir. Cela me semblait dingue, mais ça m'a fait comprendre où j'étais arrivé. Au-delà de l'atmosphère au stade, qui est une force énorme aussi.
Y a-t-il des choses ici qui vous ont surpris ?
La passion autour du club, comme une religion. La semaine dernière, on a ouvert le stade pour la reprise, ils étaient 20 000. Chaque jour, quand je sors d'ici, même tard, il y a toujours du monde, des enfants de 4 ou 5 ans qui attendent avec le maillot et veulent faire une photo. C'est extraordinaire, ce sentiment d'appartenance. À Naples (qu'il a entraîné de décembre 2019 à juin 2021), j'y étais pendant le Covid, donc j'ai moins ressenti cela. Ici, je le sens même si je sors très peu. Et quand je parle avec ma femme, qui va souvent en ville, elle le ressent elle aussi, cet amour pour l'OM.
Votre famille se plaît-elle ici ?
Oui ! Ma femme a trouvé une application française qui te dit si la nourriture que tu achètes est de niveau A, B, C, etc. Et elle adore ce truc, elle m'en parle tout le temps (rires). Elle va au supermarché, elle regarde son appli, elle prend les produits A, et le problème c'est que les aliments qui ont la note de A, ce n'est pas forcément ce que je préfère !
SA DÉCOUVERTE DE LA LIGUE 1
Je la connaissais déjà, je regarde beaucoup de football. Cela a toujours été une compétition difficile et si vous prenez certains paramètres, physiques notamment, c'est l'un des Championnats qui se rapprochent le plus de la Premier League. Chaque équipe a des joueurs très rapides, certaines avec un jeu très vertical. Mais, depuis quelque temps, cela change et il y a six ou sept équipes qui aiment jouer au ballon, comme Lille, Nice, Monaco, Reims. Tactiquement, ce Championnat progresse beaucoup. Avant, quand tu prenais un défenseur central ou un milieu en Ligue 1, il fallait lui laisser le temps ; aujourd'hui, à mon avis, quand ils quittent ce Championnat, ils sont presque prêts.
Individuellement, y a-t-il beaucoup de qualité ?
Les Français ont une caractéristique bien précise, ce sont des joueurs de rue, de un-contre-un qui ont d'énormes qualités techniques. Après, au niveau tactique, tu perds peut-être quelque chose, parce qu'ils ne sont pas habitués à travailler en équipe, mais si tu prends une individualité, ils sont incroyables techniquement. Et cela me plaît beaucoup. En Italie, à 14 ans, tu travailles déjà la tactique à fond. Ici, tu travailles plus la technique, le rapport avec le ballon, les un-contre-un. Et cela donne des joueurs d'une grande qualité.
Et sur la mentalité de travail ? Les Français travaillent-ils assez ?
J'ai entendu cela, et je n'aime pas ce discours. Pourquoi ce serait seulement en France ? C'est celui qui propose les exercices à travailler qui doit être assez bon pour savoir les proposer et assez convaincant pour qu'on le suive. Tu ne peux pas arriver dans un endroit et dire : désormais, on fait comme ça.
Vous vous êtes adapté, donc, en venant ici ?
Moi, je donne tout, mais je veux recevoir ensuite, pour le bien du groupe et de l'équipe. Et si je pense que pour le bien de l'équipe certains exercices tactiques ou physiques sont importants, alors c'est à moi de trouver la clé pour leur faire comprendre cette importance. Il y a des choses avec lesquelles je compose, alors que je n'y étais pas coutumier : le fait de partir le matin du match, par exemple, ou bien des habitudes différentes pendant les mises au vert, ou bien les habitudes alimentaires... Je leur laisse certaines choses, je vais dans leur direction, parce qu'ils sont habitués. Je suis très ouvert, je suis parti à Glasgow en 1997, j'ai entraîné à l'OFI Crête, à Valence, à Sion...
SA PERSONNALITÉ
Ce caractère que vous avez, il vous aide pour travailler dans un club comme l'OM ?
Je ne sais pas. Mon caractère ? Je ne me regarde pas, je ne joue pas ma vie, quand je me vois à la télé je change de chaîne, je ne lis rien sur moi, je n'ai pas de profil sur les réseaux sociaux... J'ai dit à mes enfants qu'ils pouvaient faire ce qu'ils veulent sur leurs réseaux, parce que je ne suis pas un homme préhistorique, mais quand ils sont avec moi, je ne veux pas apparaître. Je ne vois pas l'intérêt de montrer où je suis, ce que je mange. Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour ce club, mais je suis un sanguin et j'ai besoin de ressentir des émotions. Sinon, je suis très bien chez moi, avec ma femme, je suis heureux, j'ai une belle maison en Espagne, j'ai mes chiens. Mais je suis venu car j'ai besoin d'émotions. Et ici, je n'en manque pas.
Que reste-t-il du milieu de terrain aboyeur, "Ringhio" Gattuso ?
Peu de choses, vraiment. J'ai perdu l'espoir de changer d'étiquette, et on ne va pas changer le monde. On vit dans un monde de méchanceté, à cause de ceux que j'appelle les "lions des claviers", qui déversent leur haine, derrière leur écran, et qui peuvent te détruire en dix minutes. Il faut avoir la force de croire dans ce que tu fais. Moi, j'aime mon métier, et je l'aime encore plus que quand j'étais joueur. C'est autre chose. Quand j'étais joueur, je me mettais une pression folle, j'ai perdu tellement d'énergie à cause de ça, j'aurais pu faire tellement plus. Là, c'est une pression différente, je me sens à mon aise dans un vestiaire, j'adore.
Ce n'est jamais frustrant les soirs de match ?
Parfois, oui, quand tu tombes sur un jour sans. Mais je pense savoir parler à mes joueurs, je sais entrer dans leur tête. On fait toujours des comparaisons avec mon époque et on en faisait déjà quand je jouais par rapport aux générations précédentes. Moi, je ne pense pas que les joueurs aient tellement changé. La grosse différence, aujourd'hui, c'est qu'ils doivent avoir plus de passion, parce qu'ils ont tout à disposition. Il faut qu'ils arrivent à garder l'envie.
Certains entraîneurs trouvent les joueurs actuels plus individualistes, plongés sur leur portable. Imposez-vous des règles ?
Si demain je leur dis que le téléphone est interdit à table, on appelle une ambulance et on m'emmène à l'hôpital pour m'interner. Il faut définir des priorités. Ce qui dérangeait à une époque ne peut plus déranger aujourd'hui. Ils vivent comme ça, c'est ainsi. Si tu te bats contre les portables, c'est toi qui es inadapté. Après, un entraîneur ne peut pas parler à tout le monde de la même manière, il y a des caractères différents, il y en a que tu dois caresser, d'autres à qui tu donnes le bâton.
En public, vous défendez beaucoup vos joueurs. Et en privé ?
Mon fils m'a montré l'autre fois une émission, sur la chaîne L'Équipe. C'était après le match contre Lorient (4-2, le 10 décembre), mon fils me dit : "Ils t'ont massacré, ils disent que tu as mis la pression à l'équipe, que tu les as stressés." Alors je lui ai expliqué pourquoi j'avais agi comme ça. Moi, quand je vois la superficialité, je me mets en colère, et même très en colère. Alors oui, je les protège beaucoup mais parfois je leur rentre dedans.
C'est quoi, la superficialité ?
Quand je siffle et qu'on entre sur le terrain, ce que tu as fait le match d'avant, qui tu as été, qui tu es, plus rien ne compte, il faut du sérieux et de l'implication dans le travail. Je ne laisserai jamais personne me ruiner une séance parce qu'il a décidé de faire ce qu'il voulait. C'est mon défaut, peut-être. La superficialité, c'est quand je les vois ne pas être à fond à l'entraînement, comme si ce n'était pas important. Je préfère qu'un joueur vienne me dire : "J'ai fait une soirée hier, j'ai peu dormi", il reste en soins et le lendemain il me sort une grosse séance. Mais s'il vient, fait les choses à moitié, se gère, ça me rend dingue. Et quand je vois en match qu'ils pensent que c'est terminé, ou qu'ils ne donnent pas le ballon de but à un coéquipier pour essayer de marquer eux-mêmes, cette superficialité peut me faire péter un plomb.
Vous la voyez moins, aujourd'hui ?
Encore, encore. Mais il y a autre chose : quand tu te fais éliminer en tour préliminaire de Ligue des champions (*), tu le traînes longtemps, après. On a progressé avec le temps, mais il y a toujours ce truc, tu contrôles le match et à la première chose de travers, tu perds le fil et, sans prévenir, tu baisses d'intensité. Tout le monde parle de problème physique, mais ce n'est pas physique. C'est un défaut que l'on traîne et sur lequel on travaille. Au début, je pensais que c'était l'expérience, le vécu, mais c'est là, dans la tête (geste à l'appui).
SA VISION DU MÉTIER D'ENTRAÎNEUR
Vous criez beaucoup, pendant les entraînements...
Je vis très fort l'entraînement, je hurle pendant une heure et quart comme un marteau-piqueur, mais quand cela se termine, je ne veux personne de mon staff qui se balade dans le vestiaire des joueurs ou dans la salle de massage. Et cela ne m'intéresse pas de savoir si quelqu'un dit : "Quel connard le coach !" Parce que moi, je l'ai tellement dit quand j'étais joueur.
Qui sont les entraîneurs qui vous inspirent ? En 2013, vous étiez allé à Munich voir les entraînements de Pep Guardiola...
J'ai surtout attendu trois jours dehors devant le centre d'entraînement du Bayern, en espérant voir arriver la voiture de Guardiola ! Je n'avais rien demandé à personne, car je n'aime pas demander des services. Il m'a reconnu quand il est enfin passé devant nous, mais c'était après deux jours. Qu'est-ce qu'on a eu froid avec Gigi (Riccio, son adjoint) ! J'ai pris des choses à des entraîneurs que j'ai eus, bien sûr. Carlo Ancelotti, qui est un passe-partout : il réussit à entrer dans la tête de tout le monde, ce qui est un don incroyable. Marcello Lippi ne te laissait rien passer, il diffusait de la crainte, tu devais bien te comporter sinon tu ne faisais pas partie de son équipe. Deux méthodologies totalement différentes, deux gagneurs. J'ai eu Walter Smith, à 17 ans, un entraîneur d'une gentillesse et d'une éducation incroyables, mais quand son cerveau tiltait, il pouvait devenir le pire criminel de Glasgow. J'ai eu Alberto Zaccheroni, qui était un monstre de tactique et qui t'expliquait chaque détail du match, mais à qui il manquait peut-être le petit plus pour transmettre la motivation. Ils m'ont tous laissé quelque chose.
Est-ce une reconversion qui vous a toujours tenté ?
J'ai toujours réfléchi au jeu, oui. Et vers 27-28 ans, on a commencé à jouer contre le Barça de Xavi, Iniesta, Ronaldinho, Messi. Il s'est passé quelque chose en moi. On courait quatre-vingt-quinze minutes, je faisais un marathon à chaque match contre eux et je touchais trois ou quatre fois le ballon. On ne comprenait pas ce qui nous arrivait. On se demandait pourquoi, alors qu'on était sept ou huit joueurs derrière la ligne du ballon à attendre, et on n'en récupérait jamais un ! On avait quatre défenseurs, eux un faux neuf, et ils avaient la supériorité numérique partout ! Et j'ai commencé à comprendre pourquoi notre mentalité de l'époque ne nous donnait pas les fruits que nous espérions. Et c'est là que j'ai commencé à vraiment m'intéresser à la question, j'ai étudié, j'ai regardé.
Comment définiriez-vous votre style de jeu ?
C'est le foot que je ressens, celui qui me plaît. Construire depuis l'arrière, et s'enrichir des expériences. Il faut aussi voir quels joueurs tu as. Tu t'adaptes, même si l'idée reste la même. Après, quand tu as gagné avec un système, c'est difficile d'en changer.
Comme cette saison, quand vous êtes passé à une défense à trois alors que vous préférez le 4-3-3 ?
Je l'ai fait parce qu'à ce moment-là on ne maîtrisait pas assez au milieu, on n'était pas assez solide, parce qu'on avait perdu Rongier (absent sur blessure depuis début novembre). Il fallait trouver une façon de voir l'équipe moins souffrir. J'ai pris mon ego, je l'ai posé dans un coin, et j'ai changé, parce qu'il faut toujours s'adapter aux besoins des joueurs. Mais, en général, on donne trop d'importance aux schémas, aux chiffres. C'est surtout l'envie, la vitesse du ballon qui comptent. Des changements, on en a fait plein d'autres, à chaque match, notamment dans la façon de construire. C'est une partie d'échecs, c'est plus complexe que des schémas figés.
Quels sont vos objectifs, en L1 et en Europe ? Vous aurez une année de contrat automatique si vous terminez dans les quatre premiers.
Je ne pense pas à ça. Moi, je ferai tout pour gagner le plus de matches possibles, dans toutes les compétitions. Après, je signerai peut-être dans un mois, dans deux mois, qui sait ? L'important est ailleurs. L'objectif, c'est de se qualifier en Europe la saison prochaine, pour le blason comme pour les raisons économiques. C'est ça, ma priorité aujourd'hui. Il faut que l'on soit européen, c'est fondamental. Et cela me met beaucoup plus de pression que mon contrat. »