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Affaire Darmanin-PSG : le gouvernement embarrassé,l’opposition saisit la justice
Alors que l’eurodéputée LFI Manon Aubry a saisi la justice à la suite de nos révélations sur le traitement
de faveur fiscal accordé par Gérald Darmanin au PSG au sujet du transfert de Neymar, le ministre n’a toujours pas réagi. Le club, lui, a organisé un contre- feu médiatique.
Yann Philippin - 11 janvier 2024 à 07h40
C’est un très grand embarras qui a saisi l’exécutif après les révélations de Mediapart, jeudi 4 janvier, sur la faveur fiscale accordée en 2017 par l’actuel ministre de l’intérieur Gérald Darmanin (à l’époque ministre des comptes publics) au Paris Saint-Germain (PSG), qui a permis au club de ne pas payer des dizaines de millions d’euros d’impôts et de cotisations sociales sur le transfert de la superstar brésilienne Neymar.
Dès le lendemain, Libération indiquait que le député La France insoumise (LFI) Éric Coquerel allait dans les prochains jours, grâce aux pouvoirs que lui confère sa fonction de président de la commission des finances de l’Assemblée nationale, demander à Bercy les documents relatifs au traitement fiscal de cette opération. Ce mercredi, c’est l’eurodéputée LFI Manon Aubry, spécialiste de la fraude et de l’optimisation fiscales, qui a annoncé sur X (anciennement Twitter) qu’elle avait saisi de l’affaire la procureure de la République de Paris. « Il semble donc exister des preuves de l’implication personnelle de Gérald Darmanin dans une opération visant à permettre au PSG de se soumettre à ses obligations fiscales », écrit Manon Aubry dans son courrier.
Un juge d’instruction enquête déjà sur le sujet dans le cadre de l’information judiciaire des « barbouzeries du PSG », mais il n’a pas encore, à notre connaissance, demandé de réquisitoire supplétif au procureur sur le volet purement fiscal de l’affaire.
Face à cette menace judiciaire visant l’un des ministres les plus en vue d’Emmanuel Macron, l’exécutif, qui avait refusé de répondre avant la publication de notre enquête, a joué la politique de l’autruche. Il a fallu attendre quatre jours pour avoir une réaction, grâce aux questions posées par nos confrères de RMC Sport à la ministre des sports, Amélie Oudéa-Castéra. « Je n’ai pas de commentaire à faire », a-t-elle répété lundi à quatre reprises, livrant malgré tout une réaction aussi brève qu’embarrassée. « Rien ne me choque dans tout ça », a indiqué Amélie Oudéa-Castéra, car « il n’y a rien d’illégal dans cet examen qui a été fait » par Bercy de la situation fiscale du transfert de Neymar. Lequel a finalement « concouru à la richesse de notre pays et au rayonnement d’une partie de notre foot ». L’argument, que nous avions déjà évoqué dans notre enquête, est fallacieux : si Neymar a rapporté environ 24 millions par an à l’État et à la Sécurité sociale en impôts et cotisations sociales lors de ses six saisons passées à Paris, ce n’est pas une raison pour renoncer à des taxes éventuellement dues au titre de son arrivée. « Je ne veux pas beaucoup parler de ces affaires
parce que je n’ai pas de temps pour ça. » Le président du PSG Nasser al-Khelaïfi sur RMC
Amélie Oudéa-Castéra a refusé de répondre à RMC Sport sur ce point précis. « Je laisse Gérald Darmanin apporter les précisions qu’il souhaiterait éventuellement apporter à cette question », a-t-elle indiqué. Le problème, c’est que le ministre de l’intérieur ne souhaite toujours pas s’expliquer.Alors qu’on attend toujours la composition du futur gouvernement, il s’est affiché mercredi avec le nouveau premier ministre, Gabriel Attal, lors d’une visite d’un commissariat du Val- d’Oise. Il n’a pas été interrogé au sujet de Neymar.
De son côté, le PSG, qui avait également refusé de nous répondre avant publication, a organisé un efficace contre-feu médiatique. Le président qatari du club, Nasser al-Khelaïfi, a enchaîné par moins de trois interviews à la suite mardi, dans un grand hôtel parisien, avec Le Parisien, L’Équipe, et l’émission de la radio RMC « Rothen s’enflamme », animée par Jérôme Rothen, un ancien footballeur du Paris Saint-Germain. Nasser al-Khelaïfi n’avait pourtant pas grand-chose à annoncer : il a taclé l’adjoint à la maire de Paris David Belliard (qui avait exprimé son opposition au rachat du Parc des Princes par le club) et livré quelques commentaires sur Kylian Mbappé, affirmant qu’il voulait que l’attaquant vedette reste au club (ce qu’on savait déjà), et qu’il avait un « accord » secret avec lui. Cela a suffi à saturer l’espace médiatique et à détourner l’attention.
Le traitement favorable accordé au PSG pose la question de l’égalité devant la loi.
Sur RMC, Jérôme Rothen et ses coanimateurs se sont contentés de deux questions sur les multiples « affaires » liées au PSG, dont l’une très bienveillante : « Vous trouvez quand même que vous avez un traitement un peu particulier ? On ne vous pardonne pas certaines choses qu’on pardonne à d’autres ? » « Je ne veux pas beaucoup parler de ces af aires parce que je n’ai pas de temps pour ça […] Les avocats s’occupent de ça, a répondu Nasser al- Khelaïfi. Je suis très confiant [envers] les juges, […] On est très propres, on a tout fait légalement. » Aucune question sur l’affaire Neymar/Darmanin ne figure dans l’interview publiée par L’Équipe, car Nasser al- Khelaïfi « n’a pas souhaité faire de commentaire sur les affaires judiciaires en cours », indique dans un encadré le directeur de la rédaction, Lionel Dangoumau. Il précise que le patron du PSG se dit « en privé » (sic) « totalement étranger » à une autre affaire révélée lundi par Mediapart, montrant que Nasser al-Khelaïfi était personnellement informé des raids violents et orduriers menés par le club sur Twitter contre L’Équipe et son ancien directeur de la rédaction, Jérôme Cazadieu. Ce refus de répondre à L’Équipe sur les « affaires » est d’autant plus étonnant que Le Parisien a pu poser, le même jour, quatre questions à Nasser al-Khelaïfi sur le sujet.
Sur les négociations de 2017 avec le ministre des comptes publics Gérald Darmanin au sujet de Neymar, le
président du club a fait cette réponse : « Croyez-vous que nous, le PSG, avec tout ce qu’on a payé en impôts, on a besoin de faire ça pour Neymar ? Il y a quelque chose que vous ne comprenez pas : en France, il n’y a pas de cadre légal pour les rachats des clauses libératoires et quand vous souhaitez en racheter une vous devez forcément vous adresser à ceux qui dirigent en France, au gouvernement. C’est normal. Si vous ne demandez pas, vous êtes stupides. Il n’y a pas de loi, c’est pour ça que je ne comprends pas que les gens inventent cette histoire. Tout est légal, tout est transparent. On n’a pas besoin d’aide. »
Sauf que la réponse de Nasser al-Khelaïfi,très proche de celle de la ministre des sports, est quelque peu éloignée des faits. Certes, la loi ne précise pas le cadre fiscal de la « clause libératoire » de 222 millions que Neymar devait payer pour se libérer de son contrat avec le FC Barcelone – et que le PSG a réglée pour lui. Mais les propres avocats du club estimaient que le risque de taxation était « fort », avec une facture potentielle estimée entre 67 et 224
millions d’euros. Et l’administration avait récemment décidé que des cotisations sociales devaient être payées
dans des cas similaires dans le domaine du rugby. Il est par ailleurs inexact d’affirmer que le PSG n’avait pas besoin d’aide : l’ancien directeur de la communication du club, Jean-Martial Ribes, a au contraire sollicité en urgence l’ancien vice-président de l’Assemblée nationale Hugues Renson, qui est immédiatement intervenu, de façon apparemment très efficace, auprès de Gérald Darmanin. Jean-Martial Ribes a été mis en examen pour « corruption et trafic
d’influence » au sujet de cette intervention – il est présumé innocent et conteste les faits qui lui sont reprochés.
Dans la foulée, le PSG a été conseillé par le directeur de cabinet de Gérald Darmanin, et a obtenu, en moins de quatre jours, des documents lui garantissant qu’il ne paierait aucune taxe, à rebours de la jurisprudence récente de l’administration.