Information
Neymar au PSG Un député téléguidé pour alléger la facture fiscale ? ENQUÊTE
Au détour de l'enquête sur la «cellule secrète» du PSG et le rôle de son directeur de la communication, Jean-Martial Ribes, la justice s'intéresse désormais au transfert de la star brésilienne en 2017. Fort de son influence auprès du député Hugues Renson, le cadre du club parisien aurait réclamé des faveurs fiscales au sommet de l'Etat pour boucler l'arrivée du joueur.
e PSG a-t-il fait jouer ses réseaux jusqu'au sommet de
l'Etat pour réduire la facture finale de l'achat de Neymar, lors de son arrivée en majesté dans le club parisien en 2017 ? C'est une des pistes désormais suivies par la justice. Cette affaire est en réalité un nouveau tiroir du labyrinthique dossier découlant de la découverte d'une officine au sein du PSG, où apparaissait notamment un ancien flic de la DGSI. Ainsi, un rapport inédit signé de l'Inspection générale de la police nationale (IGPN), remis à des juges d'instruction parisiens le 21 novembre et consulté par Libération, détaille les éléments qui ont conduit les enquêteurs à élargir leurs investigations. Lesquelles, rebondissant jusqu'à l'Assemblée et l'Elysée, pourraient mettre plusieurs personnalités publiques en difficulté. L'affaire portait au départ sur d'éventuelles interventions (obtention de titres de séjour, infos confidentielles…) demandées à des policiers par des membres de cette «cellule» parallèle au sein du PSG -une poignée de fonctionnaires et un lobbyiste franco-algérien sont d'ores et déjà mis en examen pour ces faits. Elle prend désormais une autre dimension en s'élargissant à de possibles faveurs du gouvernement - et notamment le fisc, sous tutelle du ministère des Comptes publics alors occupé par Gérald Darmanin- au PSG et à Neymar, afin de favoriser l'arrivée en France du joueur brésilien le plus connu au monde. A la source de ces nouveaux soupçons, étayés dans une synthèse de neuf pages, se trouvent les centaines de messages SMS et WhatsApp issus du téléphone de Jean-Martial Ribes, directeur de la communication du PSG jusqu'à son départ pour «raisons personnelles» en 2022. Mis en examen notamment pour «trafic d'influence», le communicant de 57 ans a longtemps évolué dans les arcanes du club de foot parisien nimbé d'un voile de mystère, doté d'un titre officiel de directeur de la communication mais s'élevant au fil des ans vers le sommet d'une hiérarchie parallèle. Jusqu'à devenir la véritable éminence grise du président qatari du Paris Saint-Germain?
MONTANT LUNAIRE Ribes s'était en tout cas imposé comme l'un des hommes clés du club, jouissant d'une ligne directe avec le tout-puissant Nasser al-Khelaïfi, dit «NAK», un proche de l'émir du Qatar parachuté à Paris après l'acquisition du club par la pétro- monarchie en 2011. Evoluant au sein d'une garde rapprochée aussi informelle qu'opaque composée d'hommes d'affaires et d'amis de jeunesse de NAK, Ribes semble s'être largement affranchi du périmètre restreint de la com pure, comme les découvertes récentes de la justice tendent à l'indiquer.
Ainsi, les enquêteurs ont découvert ses échanges nourris avec un ancien vice-président de l'Assemblée nationale, l'ex-député macroniste Hugues Renson, et une ancienne chargée de mission à l'Elysée sous François Hollande et Emmanuel Macron, Charlotte Casasoprana. Un temps conseiller de Jacques Chirac à l'Elysée, passé chez EDF avant d'être élu député LREM du XVe arrondissement de Paris pour un mandat (2017-2022), Hugues Renson cultive depuis 2012 l'ambition d'être recruté par le PSG, comme en témoignent ses nombreux messages échangés avec Jean-Martial Ribes. Comme d'autres privilégiés «traités» par le club, il obtenait régulièrement des places de matchs, pour luimême ou son entourage, en France comme à l'étranger. Mais la relation du député avec Jean-Martial Ribes ne se bornait pas à la distribution d'invitations pour les rencontres importantes du club parisien ou pour de prestigieuses soirées dans le carré VIP du Parc des princes. Le 24 juillet 2017, alors que se négocie le transfert de Neymar vers le club parisien, Ribes convie le député à une réunion à l'hôtel Costes, à Paris, en présence de Nasser al-Khelaïfi, pour évoquer «un sujet PSG», selon le rapport des enquêteurs. Retenu dans l'hémicycle, où il a été élu quelques mois auparavant, Hugues Renson prévient qu'il ne pourra pas venir mais rappelle ce soir-là en annonçant qu'il vient «d'avoir Gérald [Darmanin]». Et d'assurer, toujours par SMS : «Il a bien le truc en tête, et me dit qu'il y travaille.» Selon le député, celui qui est alors l'un des ministres de Bercy lui aurait précisé que «ses supérieurs», soit le «Pdt» (pour «président») et son équipe, seraient dans la boucle.
Au cours de leurs échanges, Jean-Martial Ribes indique à Renson que le PSG doit s'acquitter d'une «clause libératoire» afin de pouvoir embaucher Neymar: c'est-à-dire régler la somme forfaitaire de 222 millions d'euros, inscrite dans le contrat du Brésilien avec le FC Barcelone, son club d'origine, destinée à le libérer de tout engagement avant de pouvoir être recruté au PSG. Dans les mois précédant le transfert de l'attaquant, cette clause avait suscité nombre d'interrogations, non seulement en raison de son montant lunaire, mais aussi car ce type de clause n'existe pas en droit français. Les autorités du foot espagnol, furieuses du départ du joueur, s'étaient prêtées de très mauvaise grâce à l'opération. Schématiquement, il s'agit pour le joueur, au moment de la rupture de contrat, de payer la somme à son employeur -le FC Barcelone en l'espèce-, avant d'être remboursé par le club qui l'achète. C'est là que le fisc français entre en jeu : le remboursement des 222 millions par le PSG à sa nouvelle recrue pouvait être considéré comme une avance sur salaire, et donc soumise plein pot à l'impôt, comme tout revenu…
Durant quarante-huit heures, les 24 et 25 juillet, soit une semaine avant la finalisation du transfert le 3 août 2017, Ribes bombarde le député de synthèses rédigées par une petite main du club et autres «mémos ultra confidentiels». Le communicant presse le ponte de l'Assemblée d'organiser un rendezvous avec quelqu'un du «ministère» au plus vite. L'objectif ? Que le financement de la fameuse clause (c'est-à-dire le paiement des 222 millions d'euros au Barça transitant par Neymar) ne soit pas assujetti aux cotisations de la Sécurité sociale et à l'impôt sur le revenu, histoire de ne pas alourdir la facture du transfert de quelques dizaines de millions d'euros supplémentaires… «Ils doivent pouvoir accepter ça pour que l'on finalise», écrit le communicant à Hugues Renson, désignant par ce sibyllin «ils» l'Etat français. Réponse du député: Gérald Darmanin lui aurait indiqué que «son dircab était en train de traiter» le dossier.
SÉISME Jean-Martial Ribes relance son correspondant à plusieurs reprises durant cette journée clé du 25 juil- let 2017, au sujet ce qu'il qualifie de «deal sportif du siècle». Celui-ci doit être bouclé à 19 heures mais sans «être tué par [l']administration». Sous-entendu, que l'Etat français ne matraque pas fiscalement le club qatari… Une réunion doit justement avoir lieu à Bercy ce jour-là à 18 h 30, et Ribes insiste pour que Renson, qui semble décidément bien éloigné de ses fonctions de vice-président de l'Assemblée nationale, aide le PSG à assister à ce rendez-vous auquel il n'aurait pas été convié. Le cadre du PSG semble finir par avoir gain de cause, textotant «le ministère vient [d'appeler] il y va merci mon ami». Le soir même, le député, qui s'est enquis à plusieurs reprises du dénouement de l'affaire, est à nouveau convié à dîner avec les patrons du club. Invitation qu'il ne pourra honorer, car encore empêché. Le lendemain, le transfert n'est pourtant pas totalement bouclé. Ribes s'inquiète. «Le Barça fait de nouvelles offres» pour retenir Neymar, prévient-il. Il adresse à son contact un nouveau message «ultra confidentiel» concernant la réunion ministérielle - à laquelle il n'aurait pas assisté, selon nos informations. Hugues Renson répond : «J étais Avec Gérald. On a parlé. Il considère que c est bon. Le calendrier a l'air fixé.» Et d'ajouter, dans une formule mystérieuse : «Ce qui compte, c'est que les documents que nous avions évoqués soient produits. Ils protégeront.» L'arrivée de Neymar au PSG est finalement annoncée en mondovision le 3 août 2017, véritable séisme sur la planète foot. Mais quelles ont été finalement les conditions offertes par le gouvernement au PSG dans le cadre du transfert de Neymar? Les finances publiques ont-elles été touchées? Quels ont été les rôles exacts de Jean-Martial Ribes, de la hiérarchie du PSG et de Gérald Darmanin, alors ministre des Comptes publics, dans ces négociations ? Seule l'enquête sera en mesure de le déterminer. Il ne s'agit pas de la seule requête de Jean-Martial Ribes à Hugues Renson, loin de là. Ici, un coup de pouce pour le passeport de sa femme ou des visas accordés à des membres de sa belle famille, là une demande de salle dans le XVe arrondissement afin d'accueillir la section «PSG Judo» taillée pour Teddy Riner. Le responsable du PSG propose au député des audiences avec des ministres qataris ou un voyage à Doha, le presse de l'aider à débloquer des masques contre le Covid coincés en douane, et le conseille quand ce dernier se met en tête de se présenter aux municipales à Paris en 2019, initiative qui fera long feu faute d'investiture. Un jour, le député se pique d'écrire un tweet critiquant Kylian Mbappé, mais pas sans la bénédiction de Ribes : «Envie d'envoyer ça… Ça gênerait tu crois?» Le communicant lui donne son feu vert.
Charlotte Casasoprana, chargée de mission à l'Elysée auprès de Nathalie Iannetta, conseillère sport de François Hollande puis d'Emmanuel
Macron, échange elle aussi régulièrement avec Jean-Martial Ribes, à en croire le rapport de l'IGPN. Mais uniquement sur des sujets d'ordre privé, à commencer par le renouvellement du titre de séjour de l'épouse marocaine de Jean-Martial Ribes. A plusieurs reprises, Charlotte Casasoprana apparaît comme celle l'ayant aidé à obtenir des rendez-vous à la préfecture des Hautsde-Seine. L'année suivante, rebelote : elle s'entremet à nouveau, même si la tâche semble difficile. «C juste l'hallu», se plaint-elle dans un message à Ribes, 2 mois pour avoir une CS [carte de séjour, ndlr]». Un zèle manifeste, pour des tâches pourtant bien en deçà de ses responsabilités. La conseillère ne manquera pas de glisser son CV à Ribes dans l'espoir d'être recrutée au PSG après l'Elysée, et bénéficiera, comme d'autres, de places de matchs et de «goodies» du club.
«TOMBER DES NUES» Selon le document remis aux juges, les sollicitations de Jean-Martial Ribes à Hugues Renson et à Charlotte Casasoprana, à qui les enquêteurs attribuent des circonstances aggravantes par leur qualité de «titulaire d'un mandat électif» et de «chargée d'une mission de service public», seraient «sans équivoque». Elles sont susceptibles d'avoir eu pour objectif d'obtenir grâce à leur entremise des décisions favorables des autorités, que ce soit pour des avantages fiscaux sur l'acquisition de Neymar ou pour décrocher des «rendez-vous privilégiés» pour le renouvellement du titre de séjour de l'épouse du communicant. Le député et la chargée de mission ont-ils obtenu des contreparties en échange de ces éventuels «coups de main»? A ce stade, les deux intéressés n'ont pas encore été entendus. L'enquête ne fait que commencer.
L'avocat de Jean-Martial Ribes explique en tout cas que son client «n'a jamais proposé quoi que ce soit en contrepartie du moindre service». «Nous contestons l'interprétation des messages issus de [son] téléphone, précise Romain Vanni. D'autant que les concernés n'avaient pas pu s'expliquer sur ces faits à la date de la mise en examen de mon client.» Aujourd'hui revenu dans le giron du groupe EDF, en tant que secrétaire général d'EDF Hydro, Hugues Renson dit à Libération «tomber des nues», et ne pas avoir d'élément à apporter. Quant à Charlotte Casasoprana, qui, après l'Elysée, a rejoint un grand groupe de restauration et d'hôtellerie, elle répond via son avocat que «le service dont elle dépendait était destinataire régulièrement de quotas d'invitations pour des événements sportifs». «Ma cliente, assure son conseil Pascal Garbarini, n'a pas conservé de souvenirs précis des nombreux dossiers qu'elle a traités. Cependant, elle a toujours agi dans le strict cadre de ses fonctions de secrétaire du conseiller sport.» Les investigations judiciaires ont été élargies dès le 24 novembre par le parquet de Paris. L'ancien communicant du PSG a été mis en examen pour ce «trafic d'influence» potentiel, ainsi que, entre autres, comme l'avait révélé le Monde, pour «corruption et trafic d'influence actifs», «complicité et recel de détournement de la finalité d'un traitement de données à caractère personnel», «complicité de violation de secret professionnel». Sans compter les faits de «harcèlement moral en ligne» qui lui sont reprochés après la création d'une «armée numérique» censée servir à discréditer des cibles, tel le supporteur auquel Neymar s'en était pris en 2019 après la défaite du PSG contre Rennes, ou un journaliste de l'Equipe. •
Libération