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franck haise : “Je n’aurais jamais pensé en arriver là”
Méconnu du grand public il y a trois ans, Franck Haise a été élu entraîneur français de la saison 2022-2023. Son fils et France Football l’attendaient avec le trophée, le 29 juin dernier, au premier jour d’une nouvelle saison lensoise marquée par la Ligue des champions.
“Maël, votre fils de 21 ans (joueur de Compiègne, N3), qui vous remet le trophée de l’entraîneur français de la saison : vous ne l’attendiez pas, celle-là… Ah, ça, non ! Mon fils et mon épouse sont vraiment doués pour garder un secret. Je m’étais interrogé, justement, parce que ce trophée arrivait d’habitude en début d’année pour couronner non pas une saison sportive mais une année civile. Donc j’ai fini par penser que France Football avait arrêté les nominations d’entraîneurs. Quand je suis arrivé (dans l’amphithéâtre de La Gaillette, à 17 heures), j’ai vu Maël, je me suis dit : « Qu’est-ce qu’il fait là, mon fils ? C’est une belle surprise. Mais je l’avais vu ce midi à la maison ! » (Éclat de rire.)
« Meilleur entraîneur français », quels sentiments vous parcourent en entendant ces mots ? Ça signifie beaucoup d’être avec tous ces noms prestigieux. (Il observe le palmarès au dos du trophée). Il y a juste à lire les noms, c’est exceptionnel. Il y a peu de choses qui me rendent vraiment fier, mais que des entraîneurs de cette qualité votent pour moi, c’est très touchant. Ça fait vingt ans que j’ai débuté ce métier. Donc, c’est un chemin. Je n’aurais évidemment jamais pensé en arriver là. C’est une très belle récompense. C’est la reconnaissance aussi d’un club. Un entraîneur, sans un club, son staff et ses joueurs, ne peut pas prétendre à grand-chose.
Vous terminez loin devant le sélectionneur national Didier Deschamps. L’effet des 84 points en Championnat, du capital sympathie et du jeu de Lens depuis quelques saisons ? Un peu de tout ça. D’abord, il faut des résultats, et les entraîneurs qui votent le savent très bien. On en a eu. Même si je tiens à rappeler qu’on a fini deuxièmes. Il y a eu un champion, le Paris-Saint-Germain, avec Christophe Galtier comme entraîneur. Mais bon, Christophe en avait déjà eu tellement (deux trophées FF, en 2019 et 2021), il pouvait en laisser un peu aux autres ! Ensuite, l’évolution du jeu sur les trois ans. On s’inscrit dans la régularité, avec un budget qui n’a jamais été le plus gros de L1 et qui ne le sera jamais. Et puis, je veux y croire, il y a aussi un capital sympathie pour le club, par rapport à ce qu’on essaie de véhiculer. Tout ça, mêlé, donne ce résultat. Mais, en effet, finir devant Didier Deschamps, qui a mené l’équipe de France une fois encore en finale de la Coupe du monde, ce n’est pas rien.
Au vu de votre saison, est-ce vraiment une surprise ? Si les entraîneurs ont voté pour moi, c’est qu’il y a du travail derrière. Il y a un alignement entre la direction et les gens qui bossent pour le club. C’est une vraie chance parce que c’est un métier difficile. Vous le voyez bien, ça saute de partout. On est passés à moins de douze mois d’espérance de vie en moyenne pour un coach dans un même club.
Vous aurez l’honneur d’être juré dans un an. Pour qui auriez-vous voté cette saison ? Je vais être assez franc, il y a trois entraîneurs pour lesquels j’ai voté pour les trophées UNFP. Dans l’ordre alphabétique : Pascal Gastien, Régis Le Bris et Philippe Montanier. Mais c’est un choix loin d’être simple.
Trois entraîneurs qui ont des principes et arrivent à faire bien jouer leur équipe. Oui, ils n’ont pas les plus gros moyens et ont quand même fait des choses assez exceptionnelles.
Lors de notre rencontre dans votre cave à vin préférée, il y a un an, vous nous disiez que la condition pour boire quelques bouteilles avec les joueurs était de se qualifier pour l’Europe. Combien en avez-vous descendu ? Je n’ai pas compté ! On a fait un séjour à Marbella (en Espagne) pour célébrer notre saison. Il y a eu un peu de vin, de champagne, de gin. Ça m’a rappelé ma jeunesse.
À quel moment de la saison vous êtes-vous dit que vous pouviez faire quelque chose de grand ? On a quand même été assez vite réguliers, on a connu une seule défaite lors de la phase aller (à Lille, 0-1, le 9 octobre). Mais il y a peut-être un point de bascule : la victoire contre le PSG, 3-1 à Bollaert (le 1er janvier). Quand on est capables de faire ça, beaucoup de choses deviennent possibles. Mais, à ce moment-là, je ne pensais pas finir deuxième. On avait totalisé cinq points de plus entre la première et la deuxième saison en L1, de 57 à 62. Donc, je me disais qu’avec 67 points, on aurait déjà de grandes chances d’atteindre l’Europe.
Vous sentiez votre équipe capable de durer ? Oui. On a eu un trou d’air (1 victoire, 4 nuls et 2 défaites entre fin janvier et début mars), mais, dans les stats et dans le jeu, sur le plan athlétique, sur le nombre d’occasions créées et concédées, on était toujours à un très bon niveau. Et puis, on était calmes. J’avais des meneurs, des cadres pour insuffler l’idée qu’on se devait d’être ambitieux. Avec la confiance qui a grandi dans ce groupe et cette solidité qui était affirmée – 29 buts encaissés en Championnat –, on parvient à terminer deuxièmes avec 84 points. Les joueurs étaient assez fous pour y penser, peut-être plus tôt que moi.
La Coupe du monde en milieu de saison a-t-elle été un avantage pour régénérer les corps et tenir la distance physiquement, cette fois-ci ? Oui, je l’ai pris comme une opportunité de pouvoir couper. Trois de nos joueurs ont disputé la Coupe du monde (Openda, Frankowski, Abdul Samed ; Medina était réserviste), mais ils ne sont pas allés au bout et on a pu les récupérer assez tôt. Ça nous a aussi permis d’avoir du temps pour intégrer Julien Le Cardinal, Adrien Thomasson et Angelo Fulgini.
Lens était plus craint, cette saison. À quel point la manière d’aborder les rencontres a-t-elle été différente ? Il y a deux grands points sur lesquels on devait être meilleurs. Le premier, en situation d’attaque placée face à des blocs plus bas, plus denses. Il fallait trouver des solutions dans notre animation offensive collective. On a beaucoup travaillé pour que les joueurs connaissent les déplacements, anticipent, bougent en fonction de ce que le jeu demande. Et le second aspect, c’est la solidité. On avait toujours la volonté, sur certaines séquences, de récupérer le ballon haut. Mais on savait aussi défendre à partir d’un bloc plus médian, qui ouvre moins d’espaces dans notre dos et qui en libère dans le dos adverse.
Est-il possible de faire mieux que ces 84 points ? Le club, né en 1906, n’avait jamais atteint un tel total. J’espère que Lens fera mieux un jour, mais il faut saisir la réalité : on a fait quelque chose d’exceptionnel. Pourra-t-on refaire des choses exceptionnelles sur la durée ? Je ne sais pas. Mais des choses sortant un peu de l’ordinaire, je le pense.
Avez-vous conscience d’être entré dans le cœur des supporters ? Oui, dans le cœur des gens de la région et des amoureux du club. Mais Lens est entré dans mon cœur aussi. Quoi qu’il se passe dans le futur. Peut-être que je serai encore là dans dix ans, même si je commencerai à vieillir. (Il a 52 ans.) J’ai demandé à Maël de me dire d’arrêter le jour où je commence à fatiguer, si je n’ai pas la lucidité, qu’il me dise : « Papa, allez, retraite en Bretagne. » J’ai beaucoup de témoignages d’affection. Ça touche. Oui, c’est important pour un club d’avoir des résultats. Mais, le plus important, c’est de créer des émotions, et ces échanges qu’on a avec les gens. Il y a des matches disputés depuis trois ans, des moments de vie du club dont ils se rappelleront très longtemps. On n’aura pas été champions, on oubliera les 84 points, mais les gens se souviendront de ce dernier match à l’extérieur avec 38 000 personnes devant les écrans géants à Bollaert. On a eu un problème d’avion au retour (d’Auxerre, 3-1), on espérait arriver à 1 h 30. On a débarqué au stade à 3 h 15 avec encore plus de 15 000 personnes présentes. On ne peut pas l’oublier. Les joueurs non plus, même ceux qui vont partir.
Et dire que si Florian Sotoca n’avait pas inscrit son penalty face à Orléans en L2 le 9 mars 2020 (1-0), vous n’en seriez peut-être pas là… Certains appellent ça le destin. Moi, je pense que quand on sème de bonnes choses – et ils sont nombreux à le faire au RC Lens –, il y a quand même plus de chances qu’on récolte de belles choses.
Vous êtes maintenant un Ch’ti d’adoption, vous, le Rouennais, passé par la Mayenne, Beauvais, Rennes ou Lorient. Je suis adopté. Ma famille et moi nous sommes toujours totalement intégrés dans les clubs ou les régions dans lesquelles nous étions. Ici, il n’y a peut-être pas tout, ça manque un peu de luminosité l’hiver, l’automne aussi parfois, mais il y a tellement d’autres choses. On a déjà fait plein de belles rencontres et pas uniquement au club. Vivre ça et vivre Bollaert, c’est quand même une sacrée expérience.
Vous aviez émis des doutes quant à votre avenir lors des trophées UNFP en déclarant que vous espériez être encore sur le banc à la reprise. Ces doutes ont-ils été levés ? Je n’ai pas dit que je partirais (il est sous contrat jusqu’en 2027), mais il était légitime que je me pose avec ma direction. Je voulais être sûr qu’on continue à être alignés. Je n’ai pas demandé de garanties, ce n’était pas un délire de dire « il faut garder lui et lui », je suis aussi manager général, donc je sais qu’il y a certaines choses qu’on ne peut pas faire. Il était question de la façon dont on voit les prochaines années. Pendant ces jours à Marbella, on n’a pas fait que boire des coups. On a eu une longue discussion avec le président (Joseph) Oughourlian (aussi propriétaire), Arnaud Pouille (directeur général) et Greg Thil (directeur sportif). Même s’il y a eu des sollicitations, ma décision intime a été rapidement prise. J’avais envie de vivre la saison prochaine ici et pas uniquement pour la Ligue des champions.
Comptiez-vous sur des moyens financiers supérieurs pour jouer l’Europe ? Je savais que l’objectif n’était pas de faire des recrutements à 30, 40 ou 50 millions d’euros. Le club avance, progresse. Mais je n’oublie pas qu’il y a six ans, on vivait un plan de sauvegarde de l’emploi. Des gens ont perdu leur job. Et ce n’est pas vieux. Donc, il faut grandir, centimètre par centimètre. C’est comme dans la vie, on ne prend pas 15 centimètres d’un coup.
Vous avez vu partir Florent Ghisolfi (directeur sportif), puis Laurent Bessière (directeur de la performance) à Nice en cours de saison. Là, votre capitaine Seko Fofana est proche d’Al-Nassr en Arabie saoudite, Loïs Openda tenté par Leipzig. Craignez-vous une saignée ? D’abord, il y a des opportunités. Quand ça fonctionne, c’est normal, et chacun fait ses choix. Ce serait facile de dire que je les comprends ou ne les comprends pas. C’est tellement personnel. Le plus important, pour les joueurs qui partent, c’est qu’ils aient tout donné pour le club.
Au fond, si vous continuez, est-ce parce que vous êtes certain de ne pas avoir atteint un plafond de verre ? Je suis certain de ne pas avoir joué la Ligue des champions avec Lens, déjà. Je n’ai jamais joué ni entraîné à ce niveau-là. Et, si j’avais le sentiment qu’on avait atteint notre plafond de verre, j’aurais certainement pris une autre décision, cet été. Il y a encore beaucoup de choses sur lesquelles on peut progresser : dans la structuration du club, la formation, chez les féminines, peut-être l’achat de Bollaert…
Le PSG, l’OM, Nice et Monaco cherchaient un entraîneur. Impossible de ne pas être sollicité après une telle saison, non ? Essayez de ne pas nous faire une réponse de Normand… Je vais vous faire une réponse très simple. Ce sera celle d’un Normand, d’un Breton d’adoption et de Lensois de cœur, comme vous voulez. Il y a eu des sollicitations, ce n’est pas la première année. Mais, après avoir échangé avec ma direction, j’ai décidé de continuer à vivre l’aventure, dans un club, un endroit où je me sens bien.
Avez-vous pu couper et vous reposer ? J’ai eu trois semaines de vacances, elles sont passées à une vitesse folle, J’étais au téléphone tous les jours, avec Arnaud (Pouille) Greg (Thil), Sarah (M’Barek), manageuse des féminines, mes adjoints aussi, avec Benoît (Delaval), le responsable de la perf. J’ai envoyé des messages aux internationaux et leur ai octroyé deux jours de plus pour la reprise (le 12 juillet).
Quel est votre degré d’implication dans le recrutement ? La plupart du temps, je n’impulse pas. Une cellule est là pour ça. Et j’ai entièrement confiance en Samir Chamma (coordinateur technique), en Greg Thil. Je le dis souvent aux futures recrues : quand un joueur vient à Lens, ce n’est pas le choix du président, du directeur sportif ou de l’entraîneur. C’est le choix d’un club.
Ne vous manque-t-il pas un joueur avec une grosse expérience pour la C1 ? (Il réfléchit longuement.) Peut-être qu’on en fera un !
À quel point vous renseignez-vous sur la personnalité d’un joueur et sa capacité à se fondre dans votre collectif ? On cherche à ce que les joueurs viennent avec leur personnalité. Je ne cherche pas à ce qu’ils se fondent (Il insiste) dans le collectif.Je veux que ce qu’ils sont vraiment, comme joueur mais aussi en tant qu’homme, fasse grandir le collectif. La partie importante de mon job, c’est d’arriver à ce que tout ça alimente des résultats, un projet de jeu, à travers des attitudes. Que ça renforce leur ambition, leur folie, leur côté cartésien parfois. Pour que l’équipe, donc le club, soient plus forts. Ce n’est pas facile, un sportif de très haut niveau est aussi un ego de très haut niveau.
Y a-t-il des profils potentiellement problématiques que vous écartez ? On cherche des gens travailleurs, respectueux, engagés. Ambitieux, mais aussi humbles. Car cela ressemble aux valeurs du club, aux valeurs que je défends.
Vous avez longtemps été formateur. En quoi vos expériences en amateur ont forgé l’entraîneur que vous êtes ? Je n’en serais pas là s’il n’y avait pas eu tous ces moments-là, et notamment ma première expérience au Stade Mayennais (en CFA2, l’équivalent du N3). Je sors de ma carrière pro et j’arrive dans un club de 400 licenciés où l’idée est de jouer trois-quatre saisons (il a 32 ans) pour, ensuite, reprendre l’équipe. Le coach part, l’adjoint dirige la première séance. Au bout de dix minutes, je prends les exercices. Et à la fin, il me dit : « Franck, il vaut mieux que ce soit toi le coach. » Ça part comme ça ! J’ai fait trois ans là-bas, je me suis éclaté. C’était hyper formateur. Il fallait connaître tous les licenciés, convaincre, sans moyens, des joueurs, des éducateurs de venir, avoir des résultats, mettre une politique sportive en place, faire les réunions de direction, aller chercher des sponsors… La dernière année, j’essayais même de trouver des arbitres. Pour le coup, j’avais atteint le plafond de verre. Le club est redescendu un an après mon départ et n’est jamais remonté, mais il vit toujours (en R1) !
On a du mal à trouver des gens qui disent du mal de vous. Est-ce normal ? En creusant, vous en trouverez. Je préfère quand même être apprécié… Je suis comme je suis. Quand j’ai quelque chose à dire, tout le monde sait que je suis capable d’en parler. Et donc, certaines personnes peuvent aussi moins m’apprécier.
Est-ce facile de travailler avec vous ? Je dirais oui, 95 % du temps.
Et les 5 % restants ? Je veux que ça aille plus vite, je peux être un peu impulsif. Je me suis soigné, mais, parfois, il y a des réminiscences.
Comment vivez-vous le succès actuel ? Je n’ai pas peur de l’après. Il y aura un moment où nous n’aurons pas les mêmes résultats. Je ne dis pas que je suis prêt, parce qu’il faut le vivre pour le savoir. Mais je sais comment ça fonctionne.
Imaginons : en décembre, vous n’avez marqué qu’un point sur 18 en C1, vous êtes treizième de Ligue 1 et menacé… Je continuerai à donner le meilleur de moi-même. J’essaierai de faire tout ce qui dépend de moi. Mais je sais qu’un jour je vais me faire virer. Ça fait partie du jeu.
On ne vous a pas trop chicoté ? En tout cas, vous m’avez posé beaucoup de questions !” h T. T. et E. Bj.
L'Equipe