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REIMS-OM: WILL STILL, UN NOUVEAU JEU À LA RÉMOISE [RMC]
À 30 ans, Will Still est en train de transformer le visage du Stade de Reims, en difficulté sous Oscar Garcia, dont il était adjoint il y a encore six mois. Face à l’OM ce dimanche, le natif de Braine-l’Alleud, en Belgique, pourrait enchaîner un 18e match sans défaite en Ligue 1. Reportage long format sur la méthode du style Still.
"Encore une caméra? Je n’ai jamais vu autant de micros". Le Stade de Reims version Will Still impressionne et le principal intéressé, tout juste sorti d’entraînement, habillé d’un survêtement noir floqué de ses initiales, ne peut que le constater à quelques heures d’affronter l’Olympique de Marseille. "Rien n’a changé à part qu’il y a 4.000 caméras pendant la semaine", sourit-il au moment d’entamer la conférence de presse d’avant-match dans une des salles du centre de vie Raymond-Kopa.
Quelques jours auparavant, le plus jeune entraîneur d’Europe donnait une interview matinale à un média venu d’Angleterre, le pays de ses parents. "On parle du Stade de Reims partout, se réjouit le maire de la ville Arnaud Robinet. Je dis souvent à des personnes de la communication de taper «Reims actualité» le lundi matin sur Google. C’est le club qui arrive en premier. La performance de notre coach met encore une fois les caméras sur Reims".
"On parle le même langage, on écoute la même musique, on est sur les mêmes réseaux sociaux"
Les joueurs, eux aussi, s’en rendent compte. "Quand tu fais 19 matchs sans défaite, t’es plus le petit Stade de Reims, reconnait le milieu de terrain Alexis Flips. On a Will Still qui ne perd pas un match, Balogun qui marque souvent, Ito qui ramène la presse asiatique… Il y a beaucoup de journalistes en ce moment, c’est intéressant". La presse locale, elle aussi, mesure le basculement. "Depuis le début de cette série, on sent un engouement qu’on n’a pas vraiment connu ces dernières années, constate Cédric Goure, journaliste à L’Union. C’est en partie dû à l’entraineur qui dénote par son âge. On a davantage de sollicitations de la part de confrères de la presse nationale voire internationale, surtout belge".
Mais au-delà d’une présence médiatique plus importante qu’à l’ordinaire, c’est la fraîcheur dégagée du centre de vie qui frappe. L’impression d’un groupe uni, sans faille, de joueurs faisant corps avec leur entraîneur. "On parle le même langage, on écoute la même musique, on est sur les mêmes réseaux sociaux, énumère Will Still. Les discussions de vestiaires, j’ai les mêmes avec mes potes quand on sort ensemble".
Joueur de foot étant jeune, le Belge n’aura jamais été professionnel. Il a vite fait partie de ceux qu’on pourrait définir comme intellectuels du football. Des heures sur son ordinateur à jouer à Football Manager, il veut se détacher de l’étiquette de geek qui lui colle à la peau. "Je ne touche plus à mes ordinateurs depuis des années", confie-t-il. Étudiant le coaching à Preston il devient, à 24 ans seulement, entraineur principal de Lierse, en D2 Belge.
"Je l’ai connu analyste vidéo, puis adjoint et enfin coach principal", se souvient Frederic Frans, aujourd’hui capitaine de Beerschot et déjà titulaire du brassard à cette époque. "Quand il était analyste vidéo on savait qu’il allait rapidement devenir entraîneur. Il venait sur le terrain pendant l’entraînement, il prenait les choses en main. Après quelques semaines, tu le vois déjà comme un adjoint. Il sait tout, assure le défenseur belge qui a remporté sept matchs de suite dès l’arrivée de Will Still en numéro 1. Quand quelqu’un a les connaissances, qu’il dit des choses pendant l’entrainement qui fonctionnent en matchs, tu finis par le croire". Alexis Flips abonde dans ce sens: "Grâce à Will – il refuse qu’on l’appelle coach - avant chaque match, tu sais ce que tu dois faire".
Au point d’être "le meilleur entraîneur" qu’a rencontré Yunis Abdelhamid, 35 ans, capitaine des Rouge et Blancs et qui disputera face à l’OM dimanche son 407e match en professionnel: "Je suis convaincu de ce qu’il propose ainsi qu’à l’équipe donc je le suis à 200%". Pour l’adjoint de Will Still, Samba Diawara, "cette proximité fait qu’il peut se permettre d’être dur et exigeant avec ses joueurs sur le terrain".
"Quand on est ami, on se dit tout, poursuit Samba Diawara. Évidemment, il y a la barrière, car il est entraîneur. Mais son naturel fait que les joueurs vont plonger. S’il demande d’entrer dans un mur et de le casser, ils vont le faire". Les supporters sont eux aussi sous le charme. Will Still a sa chanson à Auguste-Delaune sur l’air de Freed from Desire. "Tout le monde est amoureux de lui ici depuis qu’il est numéro 1. Il y a une vrai hype autour de lui", avance Geoffrey.
La constante recherche de renouvellement, l’école Sir Alex Ferguson
Se projeter n’est pas dans la nature du technicien belge. Will Still accepte la plupart des challenges qui lui sont présentés, nourrit quelques espoirs futurs mais surtout, reste terre à terre. "Il ne faut jamais oublier qui on est comme individu et collectif, rappelle-t-il. On a créé une vraie identité ici et les joueurs se retrouvent là-dedans. Restons tranquilles et lucides. Ma philosophie? Mets-moi sur un terrain avec 24 mecs et je paierai pour le faire. Là, on me paie pour le faire. C’est le plus beau métier du monde je pense".
Ses inspirations, l’entraîneur champenois les puise partout: d’un match de U19 du Stade de Reims aux méthodes de grand techniciens, de Pep Guardiola à Diego Simeone. Son leitmotiv, être un homme de son temps. "Je sais que je vais prendre de l’âge, mais je veux me renouveler à chaque fois, rester au contact des nouvelles générations. Ce sera un point de travail, de voir comment la société évolue et comment j’évolue avec, philosophe-t-il. Un homme comme Sir Alex Ferguson renouvelait ses effectifs, les personnes autour de lui et lui-même. J’ai toujours envie de grandir, d’apprendre, c’est important."
"À quoi ça sert? À rien"
Un renouvellement remarqué par ceux qui l’entourent au Stade de Reims, des joueurs au staff. "Avec Will, je suis dans la surprise au quotidien", se marre Samba Diawara qui l’a connu à Saint-Trond en Belgique - où Still pouvait dépanner s’il manquait un joueur à l’entraînement - avant de le retrouver en Champagne. "Quand on arrive le matin, on ne peut pas savoir ce qu’il va se passer", raconte-t-il aussi. Comme lors d’une séance avant d’affronter l’AC Ajaccio: "On prépare la séance et je me dis «Qu’est-ce qu’il nous a pondu, ce n’est pas lui ça». Finalement, c’était volontaire." Les joueurs n’accrochent pas, Will Still raconte le contenu: "Ils me disaient «Allez arrête Will, c’est quoi cette séance de crabe». J’ai volontairement organisé une séance claquée en changeant l’ordre des exercices. J’ai mis en place des exercices bidon et ennuyeux avec du jeu long, des deuxièmes ballons qui partaient dans tous les sens, sans structure pour que ça les embête. C’est intéressant de voir comment ils réagissent."
Et ce, à chaque fois, dans le partage. "Ça lui arrive souvent de nous interroger, de nous demander pourquoi on fait ça, pose Yunis Abdelhamid. Quand on arrive en vidéo, il nous demande ce qu’on en a pensé. Les veilles de match, quand on analyse, il nous responsabilise. C’est comme ça qu’il nous a redonné confiance". Sans oublier ses fameuses réunions d’après-match sur la pelouse quelques minutes seulement après le coup de sifflet final. "À quoi ça sert? À rien, s’amuse à répondre Still. Si ce n’est clôturer un moment d’effort intense passé ensemble". Et à surprendre ses propres supporteurs comme Daniel. "Je vais avoir 87 ans et je n’avais jamais vu ça", avoue le président du club des supporteurs officiels.
Instagram, padel et taquineries
Ce qu’il n’a jamais vu non plus, c’est un entraîneur-copain "même si, une fois sur le terrain, on voit que c’est lui qui commande". Au centre de vie Raymond-Kopa, les sourires fusent, les rires résonnent parfois. Will Still est accoudé à l’accueil, échange avec la réceptionniste. À quelques mètres, ses adjoints lancent quelques regards moqueurs vers l’entraîneur.
"Il est jeune et pense comme nous. C’est top de travailler dans ces conditions, c’est notre coach et pas un ami mais… je dirais qu’il est comme un joueur de l’effectif, sourit Alexis Flips, 23 ans. On se taquine tous, on accepte la critique. Il dit lui-même qu’il n’est pas très beau, on le taquine là-dessus et il fait de même en retour". Le milieu de terrain est gentiment taclé à la sortie de la salle d’interview par son coach: "T’as dit quoi comme connerie? Il ne faut pas l’écouter, il est jaloux parce que j’ai plus de followers que lui sur Instagram." Lorsqu’il apprend que son capitaine Yunis Abdelhamid l’a encensé face aux médias, la réponse du Still n’est pas banale: "C’est un ouf. Il n’a pas besoin de dire ça, il sait qu’il va jouer dimanche".
Attaché à la cohésion de groupe, le lien qu’il tisse avec ses joueurs dépasse le rectangle vert. "Il pourrait dire avoir envie de jouer au padel, prendre deux mecs du staff et deux joueurs en salle de kiné à qui il dirait: «Vous n’avez pas envie de jouer avec nous?» Il est très spontané et concerne tout le monde". Alors Will Still, bon joueur de padel? "Jouer c’est un grand mot, blague Flips. Il dit qu’il est bon mais demandez au staff". Un comportement qui ne surprend par son ancien joueur Frederic Frans: "Il n'a pas changé, il est vraiment proche des joueurs, constate l’ex-capitaine de Lierse, nostalgique. Quand on s’est côtoyé, on n'était pas payé pendant des semaines voire des mois et le club a ensuite fait faillite. Will s'est servi de ça pour qu'on soit plus proche encore".
L’Europe encore loin, mais…
Et cette bonne humeur impacte forcément les résultats des Rouge et Blanc, invaincus depuis 19 matchs en championnat. Au grand bonheur du maire Arnaud Robinet: "On boit du petit lait, on est sur un nuage quand on aime le sport, le foot et le Stade de Reims. Je suis persuadé que dimanche soir sera le 20e match sans défaite". "On a conscience que c’est peut-être la seule fois de notre carrière qu’on va vivre une telle période, assume de son côté le défenseur international marocain Yunis Abdelhamid. On a envie de faire durer cette série le plus longtemps possible".
Et pourquoi pas accrocher l’Europe, qui n’est qu’à quatre points? "On espère pouvoir en rêver à la fin de saison. Le match de dimanche face à Marseille peut nous faire passer la trêve en ayant de plus grands objectifs".
"La semaine dernière, on annonçait déjà une fin de série à Monaco, explique Bruno, supporteur, au pied du stade. Finalement on a encore gagné". "On n’a plus peur de personne", avoue le vétéran Daniel qui a vu son équipe tenir en échec Paris à deux reprises, Nice, Lille, battant Rennes et Monaco où il s’est rendu. "On est plus nombreux en déplacement. Quand il y a des moins on n’arrivait pas à remplir un bus on pourrait en remplir deux ou trois maintenant", ajoute-t-il.
Une histoire de cycles
Au-delà du résultat, Will Still veut surtout que ses joueurs prennent du plaisir et des risques. C’est sur ces points qu’il axe ses discours d’avant-match. Mais si les résultats s’enchaînent, l’Europe pourrait devenir plus qu’un fantasme. "Lors du mandat précédent, j’avais dit au président Caillot que je ne voulais pas être le maire associé à la descente du Stade de Reims en Ligue 2 et cerise sur le gâteau, qu’avant 2020, on se qualifie pour la Coupe d’Europe", se souvient l’ancien député de la Marne Arnaud Robinet. Ça a été fait avec un tour préliminaire. Aujourd’hui, on regarde ça avec un œil attentif, sans brûler les étapes".
Et en pensant cycle surtout, le maître-mot du directeur général Mathieu Lacour. "Dix-neuf matchs sans défaite, c’est la moitié d’une saison. Pour la symbolique, c’est énorme. L’enjeu numéro un était le maintien, le maintien rapide même. Le deuxième objectif est celui du club depuis deux ou trois ans à savoir se pérenniser dans le top 10. Si on est bien placé après l’OM, on pourra se fixer des objectifs plus ambitieux", assure celui qui rêve secrètement de voir la série d’invincibilité s’étirer jusqu’à la fin du championnat.
"Pour le moment nous avons celui de re-goûter aux coupes d’Europe dans les saisons à venir, sans être fou. On souhaite dans des cycles de trois ou quatre ans accrocher une Conference League". Même si dans l’esprit supporters, la coupe d’Europe n’est pas une priorité immédiate. "Pas l’effectif pour", regrette Daniel. "Un peu trop tôt", selon Bruno, alors que Christelle, refroidie par les dernières violences entre fans de Naples et de Francfort, n'est "pas très emballée". Tous, en revanche, rêvent de voir Will Still poursuivre l’aventure rémoise quelques années supplémentaires, même si les regards en sa direction deviennent de plus en plus présents. Sous contrat jusqu’en 2025, la révélation des bancs de Ligue 1 devrait parler avenir avec sa direction prochainement.
Clément Brossard, à Reims