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Aux sources du Belge Will Still, l'entraîneur de Reims qui a débuté dans la carrière dès 21 ans
Will Still, l'entraîneur de Reims depuis octobre dernier, né en Belgique de parents anglais, a développé une passion dévorante et précoce pour le football qui lui a permis de débuter, très tôt, comme entraîneur.
À l'intersection de deux routes calmes, la maison se dresse dans la bucolique campagne belge, à une heure de Bruxelles. Une bâtisse chargée de souvenirs, hantée de gentils fantômes en maillot de foot, dont le propriétaire depuis quelques années découvre seulement aujourd'hui qu'elle a hébergé Will Still et toute sa famille : « On avait bien vu que c'était des footeux mais on ne savait pas que le fils était entraîneur. »
La piscine derrière la demeure n'a pas bougé, la pelouse jadis élimée a retrouvé de la vigueur dans un jardin qui ne porte plus les stigmates des heures passées à jouer au football. « Le goal (but) ne tenait plus beaucoup », précise le propriétaire. Il a été remplacé par une rangée de jeunes arbres qui n'auraient jamais survécu aux frappes de l'entraîneur du Stade de Reims et de ses deux frères, Edward et Nicolas, en poste également à Eupen (D 1 belge). Une drôle de fratrie que le père, Julian, un Britannique expatrié depuis trente ans en Belgique, jure ne pas avoir conditionnée : « Mes fils se sont infectés au foot eux-mêmes. »
Devant son thé, dans le bar Amen & Uit de Tollembeek, cet ancien semi-professionnel de cricket en Angleterre (« J'ai même joué pour la sélection belge ») n'a d'autres souvenirs que le football : « Quand quelqu'un me dit : "Mon fils est passionné de foot", je réponds : "OK, mais combien de ballons a-t-il tués ?" Cela situe le niveau de la passion et, chez nous, on a eu des dizaines et des dizaines de ballons. Je suis sûr que l'actuel propriétaire en trouve encore dans ses haies (rires). »
Une famille de passionnés de ballon
Peut-être que les chiens du voisin, aussi, s'usent toujours les crocs sur de vieilles balles passées au-dessus du grillage. « Son jardin était un cimetière », sourit à son tour Felicity, la grande soeur du technicien à qui tout réussit depuis ses débuts sur le banc rémois. Également pratiquante, l'aînée a connu des « week-ends chargés » entre les rencontres disputées, Match of the Day sur la BBC le dimanche ou les parties interminables de Football Manager. Jusqu'aux anniversaires qui se fêtaient avec des gâteaux en forme de terrain de football, surmonté d'un glaçage vert et de Mikado pour dessiner les lignes. « Un jour, une amie vient dîner à la maison, se rappelle le père. Elle finit par dire : "Est-ce qu'on peut parler d'autre chose que du foot ?" »
Une passion que le gamin de Grez-Doiceau, qui s'amuse encore à exagérer l'accent bruxellois, n'a pas perdue en grandissant. Jusqu'à l'an passé, quand il rentrait dans la région où il a gardé un pied-à-terre, à Louvain-la-Neuve, Will Still enfilait les couleurs de Wavre ou de Rixensart, au niveau régional : « C'est son échappatoire, explique Julien Richard, son ancien coéquipier à Wavre et ami d'enfance. Même s'il se fait brancher. Une fois, les adversaires ont même mis des enceintes en bord de terrain pendant son échauffement et ont diffusé le discours du président du Standard qui annonçait le licenciement du staff et de Will. Aujourd'hui il en rigole, mais, sur le coup, il l'avait mal pris car c'est son gagne-pain. »
Car l'enfant « chou et gentil » (Felicity) ne plaisante pas avec le ballon et, sous le maillot rouge et blanc de Grez-Doiceau, sponsorisé par la taverne Le Sphinx, il s'est longtemps rêvé footballeur professionnel, a écumé tous les clubs du coin et d'ailleurs, à Wavre donc, à Jodoigne, Overijse et Saint-Trond, son club de coeur où, à l'adolescence, il a rejoint l'antichambre de la formation. Mais les allers-retours incessants, plusieurs soirs par semaine, ont eu raison de la patience paternelle : « J'étais à la maison seulement le dimanche. Will a été très déçu et j'ai essayé de le convaincre que son talent pouvait éclore ailleurs. »
« Il avait une très bonne vision de jeu, il n'était pas mauvais techniquement »
Julien Richard, son pote d'enfance et ancien coéquipier à Wavre
Assez vite, le milieu défensif s'est résolu à ne jamais ressembler à son idole, Joe Cole, qu'il a vu passer de West Ham à Chelsea en 2003 (« C'était la fin du monde pour Will », soupire Felicity). « Il avait une très bonne vision de jeu, techniquement il n'était pas mauvais, il ne fallait quand même pas lui demander de faire quinze passements de jambes », chambre Julien avec lequel il pratique encore le padel ou partage quelques parties de foot en salle à Ottignies. Son caractère tempétueux lui a valu une belle collection de cartons rouges : « Will était grand, fort, anglais, il jouait à l'anglaise ! », s'amuse la grande soeur.
À l'aube de sa vie d'adulte, entre des petits boulots de livreur de vin ou de vendeur dans une animalerie Tom & Co, l'entraîneur de Reims prend justement la direction de Preston (au nord de Manchester) pour lancer sa carrière sur le banc, une évidence salutaire, selon son père : « Il n'aimait vraiment pas l'école. C'était un élève 51 (51 sur 100, tout juste au-dessus de la moyenne). Quand il est arrivé à Preston, lui, pourtant timide, parlait avec tout le monde. J'ai vu Will dans son monde, il est devenu un élève 95 (sur 100). » En deux ans, le rouquin moqué (« il rentrait en pleurs à la maison, on le traitait aussi de saleté d'Anglais », déplore Julian) se métamorphose, « devient un autre personnage sur le terrain, le patron », insiste son ami Julien devant une triple Carmélite.
à 21 ans, analyste à Saint-Trond dans le staff de Yannick Ferrera
De retour en Belgique, il se découvre du culot. L'entraîneur belge Yannick Ferrera n'a pas oublié ces quelques minutes de discussion « entre le terrain d'entraînement de Saint-Trond et mon bureau. On a fait le chemin ensemble, il me posait des questions, comment, d'une manière ou une autre, il pouvait faire quelque chose pour mon staff. J'ai trouvé qu'il avait beaucoup de courage, j'ai apprécié qu'il ose le faire. Je lui ai demandé : "Peux-tu visionner notre premier adversaire ?" »
À 21 ans, Will Still venait de mettre un pied dans le football professionnel. Ferrera fit de son « petit frère » son analyste à Saint-Trond (« On n'avait pas de budget, il n'était pas payé, alors je lui donnais de ma poche pour qu'il fasse ses pleins et qu'il mange ») puis au Standard de Liège, où le technicien de 42 ans l'avait embarqué. Laissant derrière lui un bout de son enfance, le charmant stade Stayen où, tous les quinze jours, il engloutissait des frites avec son père, sa soeur et ses deux frangins devant les matches de Saint-Trond.
« Quand il est parti, il a pleuré, se rappelle Peter Delorge, légende locale (près de 400 matches) et aujourd'hui directeur sportif des Canaris. Mais il n'était pas stupide, il savait qu'il allait dans une top équipe. Il est ambitieux, il n'a jamais eu peur de prendre des risques. C'est difficile à expliquer mais c'était évident qu'il deviendrait entraîneur. Il dormait football. » Polo de West Ham sur le dos (« Je n'ai que ça »), le paternel a eu le même ressenti : « Il prenait vie quand il avait un ballon dans les pieds. » « Quand, avant l'entraînement, je lui disais "Will, tu vas t'occuper de tel exercice", il avait les yeux qui pétillaient », rembobine Ferrera. « C'est inné chez lui, jure Julien Richard. Dans un match, Will voit des choses que les gens normaux ne voient pas. »
D'où sa précocité : analyste vidéo à Saint-Trond à 21 ans puis au Standard avant d'étoffer son CV comme adjoint à Lierse où il prit finalement la tête de l'équipe d'octobre à décembre 2017. Avec une série de sept victoires de suite à la clé (en neuf rencontres), déjà. À 24 ans, il est devenu le plus jeune entraîneur de l'histoire du football belge, accessit qu'il brandit fièrement mais qui lui a coûté, aussi. Au KFCO Beerschot, de janvier à avril 2021, il avait assuré l'intérim et redressé l'équipe, mal en point, mais, la saison suivante, les dirigeants l'avaient trouvé trop tendre alors qu'« il a commencé à 21 ans et qu'il a donc dix ans d'expérience ! », s'agace Delorge.
Attendu en Premier League, « son rêve d'enfant », selon sa soeur Felicity
Parfois maladroit dans sa communication, mauvais perdant (« Il pouvait rester trente minutes sans bouger sur le banc après une défaite », pointe Ferrera), il « jure comme un charretier », regrette sa frangine en repensant à ses causeries fleuries. Une posture, sa façon à lui d'entrer dans la tête de ses joueurs « car il sait les préparer psychologiquement, analyse Delorge. Mais il n'a pas changé, il n'est pas devenu un "dikkenek" (un vantard). C'est le même Will. »
Le même mais à la tête d'un club de L1 et, pour le manager de Saint-Trond, ce qu'il réalise en Champagne, « c'est extraordinaire ». « Comme Will, Reims n'a peur de personne, ni de rien », constate Yannick Ferrera qui a rendu visite à son compatriote, jeudi et vendredi, au centre d'entraînement rémois.
À l'avenir, tous le voient en Premier League (« Son rêve d'enfant », révèle Felicity), dans l'idéal à West Ham, dont Peter Delorge a fini par connaître l'hymne Forever Blowing Bubbles, à l'usure : « Il le mettait tout le temps ! (rires) » Le manager belge constate « le temps qui passe. Il m'avait montré une photo de lui enfant posant avec moi quand j'étais capitaine de Saint-Trond ». Quinze ans après, sur le mur du complexe d'entraînement du club flamand, adossé à une rangée de maisons de briques ocre, un graffiti (« Go hard or go home ») rappelle que William, de son vrai prénom (« il le déteste car cela signifie Guillaume en français. Alors, parfois, on l'appelle Guillaume », s'amuse son ami d'enfance, Julien Richard), n'est pas près de rentrer chez lui.
L'Equipe