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Noël Le Graët dans « Le Monde », grandeur et décadence d’un président grisé par les victoires
Cerné par les scandales et visé par une enquête pour « harcèlement moral et sexuel », la fin de règne se précipite pour le patron de la Fédération française de football, dont le nom apparaît pour la première fois dans le journal le 13 mars 1973.
Les gens changent, contrairement à ce que professe l’adage. La preuve par Noël Le Graët, 81 ans. Le 8 janvier, le président de la Fédération française de football (FFF) s’est laissé aller à des propos de vestiaire, sur l’antenne de RMC, en assurant qu’il n’aurait « même pas pris au téléphone » Zinédine Zidane si ce dernier avait eu l’idée de chercher à remplacer Didier Deschamps au poste de sélectionneur de l’équipe de France. Scandale immédiat – on ne touche pas à l’idole de la victoire en Coupe du monde 1998.
Effet domino : l’octogénaire a été mis en retrait de ses fonctions, trois jours plus tard. Les accusations de harcèlement sexuel qui pèsent à son encontre depuis plusieurs mois, tout comme ses pratiques managériales autoritaires, avaient déjà contribué à le rapprocher de la porte de sortie. Le 17 janvier, le parquet de Paris a ouvert contre lui une enquête pour « harcèlement moral » et « harcèlement sexuel » à la suite d’un signalement pour « outrage sexiste ».
Au départ, pourtant, Noël Le Graët était présenté comme un homme prudent, discret, pour ne pas dire corseté dans ses apparitions publiques. Son nom est mentionné pour la première fois dans Le Monde le 13 mars 1973, sous la plume de Gérard Albouy, à la faveur du parcours héroïque en Coupe de France de l’En Avant Guingamp, le club amateur qu’il préside alors, à 32 ans.
Quatre ans plus tard, l’équipe bretonne grille les étapes et grimpe dans le monde du football professionnel en accédant à la deuxième division. Mais son patron attendra près de deux décennies pour que le quotidien lui consacre un portrait, le 9 septembre 1993. Deux colonnes, signées Hervé Morin, qui l’érigent en personnage « inflexible » face aux dérives du foot business et aux tricheries incarnées par l’Olympique de Marseille de Bernard Tapie.
Noël Le Graët préside depuis deux ans la Ligue nationale de football (LNF), réunion des clubs professionnels de l’Hexagone. Il vient de porter plainte contre X au nom de l’institution dans l’affaire du match Valenciennes-Marseille, pour lequel des joueurs nordistes ont été corrompus afin de lever le pied et de laisser filer la partie. « Le football n’est pas au-dessus des lois », décrète le Breton.
Un self-made-man sculpté dans « le granit »
Cette posture lui vaut d’être qualifié par Jean-Jacques Bozonnet, deux ans après, le 18 mars 1995, d’« ambitieux redresseur du football français ». Le journaliste retrace le parcours d’un homme « tenace », « comme son nom – le granit – l’indique », et qui, à 53 ans, a démontré une « ambition menée sans hâte excessive ». Issu du milieu ouvrier breton, Noël Le Graët a trouvé sa vocation dans le commerce, comme représentant en antennes de télévision et postes de radio, d’abord, puis comme VRP d’une marque d’électroménager. Il rachète ensuite une entreprise de surgelés et une autre de conserverie, fondations d’un groupe qui fera de lui un millionnaire.
En 2012, le Guingampais est reconduit dans ses fonctions après avoir coupé la tête du sélectionneur de l’équipe de France, Laurent Blanc. Didier Deschamps le remplace. Noël Le Graët repart pour un « dernier mandat », jure-t-il.
Sa « prudence », son « intelligence stratégique » et sa « volonté farouche d’aboutir » se retrouvent dans sa conduite de l’En Avant Guingamp, porté au haut niveau européen. Sous sa « carapace d’homme public », blindée par « des dehors un peu froids et lointains », se dessine un personnage aux « noires colères ». « On le dit provocateur et d’un humour corrosif, plus à l’aise en petit comité que dans les cocktails », rapporte Jean-Jacques Bozonnet. Le grand public apprendra, un peu plus tard, à profiter de son verbe haut.
La carrière politique de Noël Le Graët – admirateur de François Mitterrand, proche de François Hollande et maire socialiste de Guingamp, de 1995 à 2008 – ne trouve pas droit de cité dans Le Monde, qui préfère s’intéresser à sa vision du devenir économique du football. « Les clubs français (…) ne sont pas riches, mais ils sont sains », estime-t-il, en 1996, auprès de Benoît Hopquin, promettant de les faire « rentrer dans la bagarre des grands », face à l’Espagne, l’Italie et l’Angleterre.
Trois ans plus tard, dans un entretien accordé à Elie Barth et à Frédéric Potet, le président de la LNF défend sa politique de redistribution des droits télévisés auprès de l’ensemble des clubs, et pas seulement des « gros », au nom du principe de solidarité. Outsider, il est, outsider, il restera.
Grisé par la victoire
En 2011, Noël Le Graët est élu, « contre toute attente », relève Rémi Dupré, président de la Fédération française de football, qui réunit les mondes amateur et professionnel. « Je ne suis pas le président de l’élite du football. Lorsque j’ai pris les rênes de l’En Avant Guingamp, le club évoluait au niveau amateur. Les électeurs connaissent mon parcours », souligne-t-il dans une interview accordée au journaliste. Au lendemain de la débâcle des Bleus à la Coupe du monde 2010, en Afrique du Sud, marquée par la grève des joueurs à Knysna, le Breton entend « ouvrir un nouveau cycle ». Sa communication, elle, sera parcimonieuse, expose-t-il. « Je ne m’exprimerai pas pour ne rien dire », prévient le président. Une promesse tenue avec zèle.
Le Guingampais est reconduit dans ses fonctions, un an et demi plus tard, après avoir coupé au passage la tête du sélectionneur de l’équipe de France, Laurent Blanc, dont il dénonce le salaire – trop élevé – et le staff – pléthorique. Didier Deschamps le remplace. Noël Le Graët repart pour un « dernier mandat », jure-t-il à Rémi Dupré le 13 décembre 2012.
L’ivresse des cimes – la France est auréolée de son accession en finale de l’Euro 2016 – lui en fait pourtant reprendre un autre pour la route, en 2017. Ses adversaires le préviennent contre le mandat de trop. « A 75 ans, il faut savoir passer la main, estime Jacques Rousselot, alors président de l’AS Nancy Lorraine, qui se présente contre lui. Il faut diriger la FFF de manière collégiale et pas de manière dirigiste. La Fédé n’appartient pas à un homme ou à une administration. Il y a une crise de gouvernance. On a une présidence omnipotente. »
Mais la victoire est totalitaire. Avec le titre de champion du monde acquis en Russie, en 2018, la « dyarchie » formée par Noël Le Graët et Didier Deschamps, « tandem indestructible, soudé dans la tempête comme dans les moments de gloire », note Rémi Dupré le 12 juillet 2018, s’enracine. Le premier, même, « réaffirme son autorité sur le foot français », analyse Alexandre Pedro, en mai 2020, en s’opposant au passage de la Ligue 2 à 22 clubs, pourtant décidé par la Ligue de football professionnel.
L’homme « pèse » 2,1 millions de licenciés et cinquante ans d’expérience dans le milieu. Il rempile, encore, à la tête de la FFF, en 2021. « “NLG” a résisté à tout, à l’usure du temps comme aux vicissitudes de son sport », décrivent, le 20 janvier 2021, Rémi Dupré et Adrien Pécout, qui rapportent ce propos de l’homme d’affaires Jean-Claude Darmon, ancien argentier du football français : « Il y a quelque chose de mitterrandien chez lui. Très fin stratège, il a besoin d’exercer le pouvoir pour vivre. » Jusqu’à ce que ce dernier le dévore.