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JEAN-PHILIPPE DURAND; "Francfort, complètement différent de l'OM "; L'ancien responsable de la cellule de recrutement du club olympien est l'oeil des Allemands en France. Le champion d'Europe nous explique le fonctionnement de l'Eintracht avant le duel de demain
Racontez-nous comment vous vous êtes retrouvé à l'Eintracht Francfort...
Après mon départ de l'OM, j'ai une discussion avec un copain, agent en Belgique. Je lui dis que je cherche un poste de directeur sportif. Il m'explique qu'il y a peut-être une opportunité en Belgique. Finalement, le club en question voulait quelqu'un qui parle flamand. Une semaine plus tard, il me rappelle. "Un copain vient d'arriver à Francfort, il veut développer le club et la cellule de recrutement. Il cherche quelqu'un sur la France. Ça peut t'intéresser ?", me demande-t-il. J'étais un peu sur la réserve. Francfort n'était pas une référence, jouait plutôt le bas de tableau. Je connaissais un peu le stade pour y être allé une ou deux fois. Il m'a quand même mis en contact avec les dirigeants. J'ai discuté avec eux, je les intéressais vraiment. Le gars est venu me voir à Marseille. On a échangé pendant trois ou quatre heures. Il m'a expliqué le projet du club, son développement, son organisation. J'ai dit oui pour un essai d'une année. Le projet me paraissait intéressant, le discours cohérent. C'est ma cinquième saison. Depuis, le club a bien grandi.
Qu'est-ce qui a fini par vous séduire et a éteint vos réticences ?
Le discours. Ce dirigeant m'a dit que Francfort n'avait peut-être pas une bonne image, mais que le club était très populaire en Allemagne et ne demandait qu'à grandir. Parfois, 15 000 supporters font le déplacement. Je lui ai répondu qu'il exagérait un peu. "Non, on peut atteindre ce chiffre, ce n'est pas un souci. Le club a un gros potentiel, Francfort est une grande ville, très cosmopolite. On peut avoir des étrangers de tous les pays, l'adaptation se fait facilement." Il venait de reprendre le club avec Fredi Bobic, devenu manager général (il a rejoint le Hertha Berlin en 2021, ndlr). Il m'a détaillé comment ils voulaient structurer le club, avec un scout en France pour les aider. Ce projet-là m'a séduit.
Quel club et quelle organisation avez-vous découvert ?
Un club organisé de façon très simple, avec un circuit très court au niveau décisionnel. Francfort est présidé par un board, mais ce sont les personnes en dessous qui décident. Bobic décidait de tout, une fois que le board avait validé le budget. À tous les postes (manager général, directeur sportif, responsable du recrutement...), il n'y avait que des anciens joueurs. J'ai surtout découvert que l'ambiance dans le club était à l'image de ces gens-là.
C'est-à-dire ?
Ils ont connu le succès et la défaite, des stades avec du monde. Après deux ou trois défaites, ils ne sont pas défaitistes, tout comme ils ne s'enflamment pas après trois victoires comme peut le faire quelqu'un qui n'est pas du foot et se retrouve propulsé dans ce milieu. Ils gardent les pieds sur terre. D'ailleurs, pour notre première année de collaboration, on se fait éliminer par une équipe de 3e division en coupe d'Allemagne. Suivent deux défaites lors des (trois) matches suivants. Un début très compliqué. C'est la saison où Francfort affronte l'OM en Ligue Europa. Et va gagner au Vélodrome alors que l'équipe n'était vraiment pas bien. Le début d'une aventure. Avant le match, j'avais demandé à Bobic si ce n'était pas trop dur. Il m'avait répondu que c'était le football, il restait calme. Au club, c'était la même chose.
L'opposé de ce que vous aviez vécu à l'OM...
Oui ! En plus à Marseille. Quoi qu'il arrive, ça s'enflamme dans tous les sens. À Francfort, c'était complètement différent. Je me suis bien retrouvé dans cette attitude.
Comment s'organise votre travail ?
Mon secteur, c'est la France. Je suis leur seul référent, même si beaucoup de scouts allemands viennent voir des matches en France, notamment dans l'Est, à Nancy, Metz ou Strasbourg. Ils viennent aussi voir les joueurs que je leur recommande. Je leur conseille des profils, des joueurs par poste. Ma priorité, c'est de trouver des joueurs pour l'équipe professionnelle, plutôt des profils jeunes avec des qualités et un potentiel de développement, une marge de progression intéressante. Si un joueur est en fin de contrat et peut correspondre à un poste ciblé, ils sont évidemment preneurs. La cible prioritaire, ce sont des jeunes sur lesquels le club va investir un peu d'argent, mais pas énormément. L'Eintracht n'est pas un club qui va payer un joueur 15 ou 20 millions d'euros. Ce n'est pas la stratégie du club, même si celui-ci évolue avec trois participations en coupes d'Europe en quatre ans, dont une Ligue des champions. En cinq ans, le budget a doublé ou triplé.
La victoire en Ligue Europa facilite-t-elle votre travail auprès des recrues éventuelles ?
Non. Depuis ma prise de fonction, je me suis rendu compte que l'Allemagne intéressait énormément les jeunes Français, Francfort aussi car ce n'est pas le Bayern, Dortmund ou Leipzig où l'exigence va être très importante très vite. Le joueur peut y évoluer, grandir et progresser. Ça peut être une étape importante. Le projet Francfort est tout de suite rentré dans les moeurs en France. Aujourd'hui, je suis très sollicité par beaucoup d'agents de joueurs car le club est bien géré, bien structuré, avec un vrai projet sportif pour les joueurs.
Il y a plusieurs joueurs français au sein d'un effectif cosmopolite : Randal Kolo Muani, Evan Ndicka et Almamy Touré...
En quatre ans, ce sont les trois seuls joueurs que j'ai faits. Le premier a été Ndicka. Ça a été un très bon révélateur. Il avait 10 ou 12 matches en Ligue 2 avec Auxerre ; il doit maintenant en avoir une centaine en Bundesliga. Il a fait son chemin, est sollicité par d'autres clubs plus importants. Pour moi, c'est un bon exemple à faire valoir pour les projets futurs. Almamy Touré, c'était plus une opportunité en janvier, financièrement intéressante pour un joueur aussi jeune. Quant à Kolo Muani, c'était un dossier différent. Je m'étais positionné très tôt sur lui, on n'a jamais pu finaliser le transfert avec Nantes qui n'a jamais voulu. On a attendu qu'il soit libre pour le faire signer.
Est-il facile de convaincre un Kolo Muani ?
Je pense qu'on a été les premiers à lui proposer un vrai projet en dehors de Nantes. J'ai vraiment commencé à travailler sur ce dossier quand il est revenu de son prêt à Boulogne. Nantes n'en voulait plus. Le joueur a été séduit par notre projet, le club, ses structures. Son jeu et ses qualités peuvent vraiment bien s'adapter au championnat allemand. Il a une grosse marge de progression. De par la façon de s'entraîner, de se conduire et de travailler au sein du club, l'Allemagne peut le faire progresser.
Il y aurait pu y avoir - au moins - un quatrième Français puisque vous avez longtemps milité pour engager Valentin Rongier...
Il faisait partie des joueurs que j'avais proposés. À l'époque, l'entraîneur Adi Hütter, passé par les Young Boys de Berne, a préféré prendre Djibril Sow qu'il avait dirigé en Suisse.
L'évolution de Rongier doit confirmer ce que vous pensiez alors de lui...
Complètement. Je n'ai jamais eu vraiment de doutes à son sujet. Je le suis depuis longtemps, je connais ses qualités. Je supposais qu'en quittant Nantes pour se retrouver dans un club avec plus d'exigence et d'intensité, il allait forcément franchir un cap. C'est un joueur intelligent qui, selon moi, avait une marge de progression intéressante. Dans un championnat comme la Bundesliga, il aurait sacrément progressé. Mais c'est une autre histoire. Il y en a plein d'autres...
À qui pensez-vous ?
Le dernier joueur pour lequel j'ai vraiment les boules de ne pas avoir réussi à l'engager, c'est Khéphren Thuram. Ça ne s'est pas fait, c'était au moment du Covid. Il voulait quitter Nice, avait un accord avec son club. Je m'étais positionné, persuadé des énormes qualités du gamin qui n'exploitait pas tout son potentiel. J'en avais beaucoup parlé avec Lilian. Ça ne s'est pas fait pour des histoires d'argent... Notre vie de scout est ainsi faite. Deux ans plus tôt, j'avais proposé de "faire" son frère aîné, Marcus, qui jouait à Guingamp. J'étais bien branché sur la famille Thuram (sourire).
La Provence