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Comment Samuel Umtiti a mis l'Italie à ses pieds
Le champion du monde 2018 Samuel Umtiti a remporté son pari : celui de se relancer à Lecce, promu en Serie A, après des années difficiles au Barça. Une expérience bien au-delà du football.
Lu mare, lu sule, lu ientu (La mer, le soleil, le vent). Un dicton en patois local devenu la devise du Salento, cette région géographique dont les contours forment le talon de la Botte. La mer, cristalline, prisée, qu'elle soit Adriatique à l'est ou ionienne à l'ouest. Le soleil, que les « Salentini » sont les premiers en Italie à voir se lever chaque matin. Le vent, qui purifie l'air et transporte les parfums des oliviers et des figuiers de Barbarie. Ce sont peut-être ces odeurs, ces images, ces sensations qui traversaient l'esprit de Samuel Umtiti dimanche soir, quand, accroupi, près du banc de touche, il libérait ses émotions et craquait pendant quelques dizaines de secondes.
Le champion du monde 2018 venait d'effectuer seul un tour du stade Via del Mare, antre de l'US Lecce, après les festivités organisées par le club, jeu de lumières et feux d'artifice afin de célébrer le maintien. Des « Um-ti-ti, Um-ti-ti, Um-ti-ti », aux syllabes bien marquées ont été scandés plusieurs fois par les 25 000 spectateurs et très fort lorsque le défenseur de 29 ans est sorti peu avant la fin du match contre Bologne (2-3). De l'émotion, des larmes comme lors du bain de foule à son arrivée le 25 août dernier à l'aéroport de Brindisi et en provenance de Barcelone où il n'avait disputé qu'une seule rencontre durant la saison 2021-2022.
Saverio Sticchi Damiani, le président de Lecce, retrace ce moment : « Mon directeur sportif, Pantaleo Corvino, avait caché la rumeur à tout le monde, moi y compris. Un jour, il m'a appelé : "Président, avant que vous ne l'appreniez par les journaux, on est en train de prendre Umtiti." Ce à quoi j'ai répondu : "Un homonyme du joueur du Barca et de l'équipe de France ?" » Une recrue hors norme pour la plus jeune équipe et le plus petit budget de Serie A. Installé dans le hall de l'hôtel de la mise au vert, à quelques heures du dernier match de la saison, Marco Baroni, l'entraîneur des Giallorossi, rappelle qu'il avait mis l'ex-Blaugrana en garde : « Dès le premier appel vidéo, je lui avais dit que ça allait être compliqué, qu'ici, on n'a pas de centre d'entraînement, on a des difficultés pour les déplacements. Mais il avait justement besoin de retrouver les origines, il a fait preuve d'une grande humilité et il s'est mis à disposition. »
À Lecce, Umtiti retrouve trois Français, Valentin Gendrey, Rémi Oudin et Alexis Blin, l'ancien capitaine d'Amiens recruté un an avant lui : « Il est arrivé avec l'envie de montrer qu'il en avait encore dans les jambes et dans la tête, il s'est mis de suite au diapason, il a bossé fort et est revenu fort sur le terrain. Nous, les autres Français, on lui a proposé notre aide, si jamais, mais il a été de suite d'une simplicité remarquable : "Ne vous inquiétez pas, je suis là pour m'entraîner tranquillement, me relancer et aider à obtenir le maintien." Ça a matché direct avec le groupe car on voyait qu'il voulait apporter sa pierre à l'édifice. »
Il s'est imprégné de l'endroit
Dans l'optique de repartir sur des bases saines, Umtiti a choisi de vivre dans une masseria, du nom des anciennes habitations des paysans locaux, à Acaya, en pleine campagne avec la mer d'un côté et les cultures d'oliviers de l'autre. Il s'est imprégné de ces horizons, les postant régulièrement sur ses réseaux sociaux. Le président, Leccese pure souche, complète : « Le Salento est une terre magique, d'hospitalité. Les gens ont envie de recevoir, il n'y a pas de barrières. Souvent, les touristes sont étonnés par la chaleur de cette bande de terre, très étroite, qui nous permet d'avoir toujours une belle mer selon la direction du vent. D'ailleurs, beaucoup de footballeurs restent y vivre après la fin de leur carrière. » Baroni est, lui, natif de Florence, mais il en est à sa quatrième saison dans le coin, deux en tant que joueur dans les années 1980 et les deux dernières en tant qu'entraîneur : « Samu' emmènera avec lui cette richesse humaine », assure-t-il.
La population de Lecce n'atteint même pas les 100 000 habitants, le tour du centre-ville historique au style baroque aussi intime que gracieux, se fait en un quart d'heure. L'ancien Lyonnais s'est nourri de cette authenticité, de cette proximité. « Les gens ne sont pas bêtes... Ils ont vu qu'il s'est très bien intégré aux valeurs du club et de la ville. Il est champion du monde mais a débarqué avec une énorme humilité, décrit Blin. Sam' fait partie des mecs qui donnent une bonne image du football. »
Illustration ? Le 2 décembre, pour fêter les trois ans de l'ouverture de la boutique du club, il était de séance de dédicaces. Elle devait durer une heure, mais s'est éternisée pendant deux de plus, parce que le natif de Yaoundé a insisté pour dédier un moment à chaque supporter venu le voir. Pinuccio Milli, ancien ultra et figure locale très respectée, a lui aussi été conquis : « Il pouvait être un corps étranger dans cette équipe quelconque qui n'avait rien à voir avec lui, mais il n'a jamais eu un comportement de supériorité. Il est venu dans le Sud profond et a été comme une espèce de messie. Sans lui, on ne se sauvait pas. Ce n'est pas seulement le meilleur défenseur qu'on ait vu ici, c'est le meilleur joueur de l'histoire de Lecce. »
De fait, la dimension humaine de cette expérience ne doit pas faire passer au second plan celle purement footballistique. Milli surenchérit : « La pause liée à la Coupe du monde (entre mi-novembre et fin décembre) a été une panacée. À partir de janvier, il était devenu Franco Baresi par sa façon de commander la défense, ses sorties balle au pied, ses coast to coast. » Baroni décrypte cette renaissance : « Il a réinitialisé son football et a compris nos besoins. Il venait d'une équipe habituée à gérer le ballon, où il ne faut pas courir après les joueurs adverses ; nous, ici, on a mis en place un football plus agressif, de duels, sans jamais donner la possibilité à nos adversaires d'exprimer toutes leurs capacités. Il emmènera aussi avec lui ce bagage professionnel. »
Umtiti a notamment enchaîné les prestations XXL face aux cadors. « Face à la Lazio, en janvier (2-1, le 4), lorsqu'il a subi les cris de singes venant du parcage visiteurs, il a ressenti toute l'affection du stade qui l'a soutenu en scandant son nom, reprend Baroni. Samu a réalisé un match incroyable aussi parce qu'il a été touché dans ses sentiments. Et il en a beaucoup, il faut juste aller les chercher parce que c'est un timide, un introverti, mais les mecs comme lui sont les personnages les plus beaux. »
Son patronyme a continué de retentir au fil des mois dans les travées du Via del Mare où les chants personnalisés avaient pourtant disparu depuis des années. Plus les matches passaient, plus Umtiti se sentait investi par cette mission sauvetage remplie à l'avant-dernière journée, menant de main de maître la 9e défense de Serie A, et qui, jusqu'au but vainqueur de Bologne à la 97e minute, dimanche, était la seule des cinq grands Championnats européens à ne pas avoir concédé plus de deux buts sur un match.
Avant de quitter ses partenaires et de rentrer à Barcelone (où il est sous contrat jusqu'en 2026), pour s'envoler ensuite vers d'autres cieux, Umtiti a tenu à organiser une soirée d'adieu la semaine passé. Blin raconte : « Il a offert un petit cadeau à chaque joueur et membre du staff, il n'a oublié personne. Cela témoigne de sa valeur, il n'était pas obligé. Il y a des gars qui étaient gênés de se sentir maintenant redevables. C'était un très beau geste de sa part. Sam a retrouvé la joie de jouer au foot et surtout de partager la vie d'un groupe, il s'est aussi retrouvé en tant que personne, il conservera cela, peu importe où il va. » Le président Sticchi Damiani lui a glissé un mot : « Je lui ai dit durant que dans plusieurs années, on parlera du grand Lecce d'Umtiti. » Lu mare, lu sule, lu ientu, lu Samu.