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Bernd Reichart
« Que les clubs deviennent maîtres de leur destin »
Le PDG d’A22 Sports Management, société promotrice de la Super Ligue, se veut plus fédérateur que jamais et assure être reparti d’une page blanche pour son projet de réforme des compétitions européennes. DE NOTRE CORRESPONDANT
ANTOINE SIMONNEAU MADRID – Depuis octobre, il incarne le visage de la Super Ligue. Le projet soutenu par le Real Madrid et le FC Barcelone qui vise à en finir avec l’actuelle Ligue des champions. Affable et diplomate, Bernd Reichart nous a reçus, mercredi 25 janvier, pendant une heure dans les locaux de de la société A22 Sports Management, situés dans un quartier cossu du centre de Madrid. Indigné par le monopole de l’UEFA et ce qu’il considère comme de la suffisance, l’Allemand se présente en chevalier blanc des clubs européens. Loin de l’élitiste première mouture de la Super Ligue, en avril 2021, qui avait suscité un tollé et l’aversion générale en Europe.
« La Super Ligue est-elle toujours d’actualité ? Bien sûr. On travaille inlassablement pour faire des propositions qui résolvent les problèmes actuels du football : le déséquilibre compétitif et l’instabilité financière dont souffrent beaucoup de clubs.
Votre souci, c’est que l’UEFA et les Fédérations ont encore rejeté massivement votre projet... La réunion de novembre, à Nyon (Suisse), nous a confirmé que le “système” – comme ils se sont appelés – est satisfait de son niveau d’innovation et des solutions qu’il apporte aux problèmes. Nous pensons différemment. Et on devrait avoir le droit, sans menaces ni peur d’être sanctionnés, de faire des propositions aux clubs. L’UEFA est réfractaire à tout changement et aux idées extérieures parce qu’elle vit très confortablement. Elle contrôle une activité où elle n’a ni concurrence, ni coûts, ni risques entrepreneuriaux et où elle a une influence importante, jusqu’au niveau politique. Donc toute autre initiative et autre compétition ne lui plait pas. Elle s’accroche à son monopole depuis 1955 (date de la première C1).
Mais elle dispose légalement du pouvoir d’approuver une nouvelle compétition… D’après l’avis de l’avocat général, l’UEFA a l’obligation d’évaluer et d’autoriser de nouvelles compétitions. Ce qu’elle ne fait pas. Elle ne peut pas les discriminer uniquement pour favoriser ses propres compétitions. L’autorisation d’entrée sur le marché ne peut pas être accordée par l’organisme qui à la fois régule et détient le monopole du marché. Elle devrait être dans les mains d’un tiers. D’autant que l’UEFA est une association de droits privés suisse, qui ne paye aucun impôt dans l’Union européenne et a le pouvoir d’autoriser des compétitions à l’intérieur de celle-ci. Pourquoi dépendons-nous d’une organisation suisse ?
“Pourquoi seule l’UEFA peut-elle organiser et commercialiser un tournoi de clubs ? Ça nous semble injuste
Votre idée, c’est que les clubs reprennent le pouvoir ? On souhaite qu’ils récupèrent leur souveraineté pour organiser et gérer leurs compétitions européennes. Qu’ils soient maîtres de leur destin. Depuis plus de vingt ans, ils ont obtenu le droit de gérer leurs propres Championnats nationaux, sous la tutelle des Fédérations. Pourquoi ce système considéré comme optimal ne peut-il pas exister en Europe ? Pourquoi seule l’UEFA peut-elle organiser et commercialiser un tournoi de clubs ? Ça nous semble injuste. Les clubs prennent tous les risques et n’ont pas de poids sur leur avenir en Europe. Ou seulement deux sièges sur vingt au comité exécutif de l’UEFA, à travers l’ECA (Association européenne des clubs). Et aucun à l’assemblée générale. Ce n’est pas représentatif.
Soutiennent-ils votre projet ? La quasi-totalité des clubs avec lesquels on discute partage notre diagnostic : le football souffre d’une instabilité économique et la compétitivité à l’intérieur des Championnats, comme celle des Championnats entre eux, s’est polarisée de manière préoccupante. Aucun club ne voit de solutions à l’avenir parce qu’ils constatent que leur Championnat perd en attractivité et en puissance économique. Et aussi en compétitivité par rapport à la Premier League. Être prisonnier d’un Championnat peu compétitif – ce qui est le cas de certains du Big 5 – ôte leur compétitivité aux clubs. La polarisation à l’intérieur des Championnats et entre les Championnats est un problème. Pour beaucoup de clubs, la solution c’est de disputer plus de matches européens et plus régulièrement. Or le système actuel, comme le futur format de la Ligue des champions, ne convient pas. Il y a de meilleures formules pour leur offrir un ancrage européen plus important.
Mais le football n’a jamais généré autant d’argent et de matches européens… Le problème, c’est que les clubs “modestes” ont des perspectives économiques limitées et ont besoin de jouer plus de matches européens pour être plus compétitifs. Le format actuel leur offre peu de perspectives de croître. Parce qu’une année, tu te qualifies pour la Coupe d’Europe et la suivante, non. Compter sur la Ligue des champions et construire une équipe à sa mesure, c’est à la portée de très peu. L’analyse de beaucoup de clubs, c’est que la C1 a contribué à creuser un fossé entre le premier de leur Championnat et les suivants. Ils nous disent que si plusieurs clubs de leur Championnat avaient accès aux compétitions européennes, ça le rééquilibrerait.
“Sur tous les clubs qui disputent la C1, seulement cinq sont au minimum à l’équilibre
Que comptez-vous faire ? Un format complètement différent de la première version, sans membres permanents. Ce ne sera pas un club d’élite fermé mais une compétition ouverte, basée sur le mérite, compatible avec les Championnats nationaux et jouée sur les fenêtres des tournois européens actuels. Elle sera gérée par les clubs et avec un fair-play financier bien plus sévère. Il faut une compétition plus attractive, qui procure de l’émotion pas seulement à partir de février, pour générer plus d’attrait et de revenus pour tous. La compétition européenne phare, avec tous ces grands clubs, devrait être la plus importante en termes de suivi et de revenus. Or, c’est la Premier League qui, chaque semaine, est capable de proposer des affiches. Quelque chose cloche.
Souhaitez-vous garder la formule de la C1 ? Le concept de Coupe, comme la C1, ne te permet pas de croître en Europe. Beaucoup de clubs nous disent que c’est un feu d’artifice. Pas assez solide économiquement ni sur la durée. Parce que tu ne sais pas si tu te qualifieras la saison suivante. Soit les clubs s’endettent, soit ils préfèrent ne pas investir sachant qu’ils ne passeront pas les poules. Il existe des formules pour offrir plus de stabilité économique et sportive aux clubs.
La Super Ligue a-t-elle la volonté de freiner l’accroissement des clubs-États comme le PSG et Manchester City ? C’est une préoccupation majeure du monde du football : la compétitivité et le fait que le système ne s’autofinance pas, qu’il ne vit pas de ses ressources. Le foot ne doit dépenser que ce qu’il génère. Il y a une surchauffe du système économique européen, motivé par l’injection de capitaux extérieurs, qui empêche beaucoup de clubs d’être compétitifs. Ce n’est pas sain. Le football accroît son chiffre d’affaires mais dans le même temps, les pertes augmentent. Une étude de Deloitte montre que sur tous les clubs qui disputent la C1, seulement cinq sont au minimum à l’équilibre. Le reste perd de l’argent. La mise en place d’un fair-play financier strict, avec des sanctions importantes en cas de non-respect, va favoriser la viabilité du système à long terme.
Avec quelles règles ? On maintient l’idée que les clubs ne pourront pas dédier plus de 55 % de leur budget en masse salariale. On veut aussi interdire les tours de passe-passe de certains clubs avec des contrats de sponsoring gonflés. Le football peut offrir plus de spectacle à ses fans et mettre en place des règles financières qui lui évitent de dépenser plus que ce qu’il ne génère. »
L'Equipe