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Kylian Mbappé (Paris-SG) : « Peu importe mon maillot, je ne serai jamais rassasié »
Kylian Mbappé a été élu joueur français 2022-2023 par les anciens lauréats du trophée « France Football ». L'attaquant de 24 ans qui vient de signer sa saison la plus prolifique en buts (54), continue de repousser les limites et revient pour nous sur une saison dantesque.
Ce n'est pas la Coupe du monde ni le Ballon d'Or, « juste » le trophée France Football du joueur français de la saison. Mais la symbolique est là, le jury, composé des anciens vainqueurs, prestigieux, et Kylian Mbappé prend de toute façon les récompenses comme elles viennent, avec un plaisir non dissimulé, lui qui veut marquer l'histoire de son sport, ce qu'il a déjà réussi à faire, à seulement 24 ans.
Le jeune homme repousse les limites, explose les temps de passage, bat les records de buts et tient les comptes à jour. « C'est la troisième fois que je gagne le trophée FF », énumère-t-il au moment de recevoir sa récompense. Exact, après 2018 et 2019.
Mais, dans la foulée, l'attaquant arrive à nous dribbler presque aussi facilement qu'un défenseur de L1 : « Le record est à combien ? C'est Zidane ? » On bredouille que c'est une bonne question et qu'il faut peut-être chercher plutôt du côté de Thierry Henry.
La réponse, un peu improvisée, ne tombe pas trop à côté : l'ancien international français a obtenu cinq fois la distinction, Karim Benzema quatre, la dernière en janvier 2022. Le prix n'avait plus été décerné depuis et, Mondial au Qatar oblige, l'automne dernier, il a été décidé de le calquer désormais sur la saison sportive, comme pour le Ballon d'Or.
En faisant ce choix, une zone grise est apparue, à mettre en pertes et profits, surtout en pertes d'ailleurs pour Benzema. La période qui va de janvier à juin 2022, où l'attaquant du Real Madrid a marché sur l'Europe et la Ligue des champions, n'est pas prise en compte dans les votes qui se sont donc concentrés sur la saison 2022-2023.
Et là, Mbappé, qui a choisi Antoine Griezmann en numéro 1 par courtoisie envers son vice-capitaine chez les Bleus, n'a pas beaucoup de concurrents à son étage. Seulement quelques détracteurs à en juger par la teneur parfois surprenante de certains votes venant du sud de la France ou d'un ancien joueur et entraîneur du Paris-SG.
Trois fois, le Parisien n'apparaît même pas sur le podium, ce qui est largement contrebalancé par le fait d'avoir été placé vingt fois en première position sur vingt-neuf votants. Le jury, dans l'ensemble, a su récompenser le champion de France avec le PSG et le finaliste de la Coupe du monde avec les Bleus, qui a terminé cette saison avec 54 buts toutes compétitions confondues, en club et en sélection.
Un record d'un autre temps pour un Français, détenu jusque-là par Just Fontaine (53) depuis la saison 1957-1958. Et que l'ancien Monégasque avait déjà en ligne de mire quand nous l'avons rencontré le 12 juin à Clairefontaine, quelques heures avant la révélation, dans les colonnes de L'Équipe, de sa lettre adressée aux dirigeants parisiens, dans laquelle il actait qu'il n'activera pas son année optionnelle dans le club de la capitale au-delà de la date de la fin de son contrat en juin 2024.
Un discours pesé, réfléchi
Peu avant cette tempête médiatique, Mbappé s'était présenté devant nous, détendu et très pro, pour une séance photo sympa et un entretien minuté mais toujours instructif. Avec le capitaine de l'équipe de France, chaque mot est pesé, réfléchi. Dans le temps imparti, nous n'avons pas eu droit à beaucoup de questions mais à des réponses longues. Et, finalement, il n'y a rien à jeter.
« Pas mal de choses me rendent fier, nous a-t-il confié au moment de se retourner sur sa saison. D'abord, avoir continué à gagner des titres (Ligue 1), c'est la chose pour laquelle on joue. Peu importe le titre, c'est ce qu'il y a de plus dur, c'est pour ça que tous les joueurs se battent. Et, bien sûr, je suis ravi d'avoir conservé mes standards personnels, avec une saison à une cinquantaine de buts. Il y a Erling (Haaland) qui est là (le Norvégien a terminé avec 56 buts). Je sais que je peux battre le record de Just Fontaine sur une saison, qui est à 53. Je suis à 52 (c'était avant ses deux buts, contre Gibraltar, le 16 juin, et la Grèce, le 19 juin, en éliminatoires de l'Euro 2024) et donc, voilà, je peux rester dans l'histoire du pays, ce n'est pas à négliger non plus.
Et de poursuivre : « J'ai eu des moments marquants, des performances marquantes, donc c'est sûr que c'est toujours un plaisir, même si je pense que je pouvais encore faire mieux. Mais après, c'était une année différente, qu'on ne connaissait pas, avec cette Coupe du monde en plein milieu de la saison (au Qatar, du 20 novembre au 18 décembre 2022). C'est comme si on naviguait à vue. Être allé loin dans la compétition au Mondial, on l'a vu, ç'a pesé ensuite. Parmi les équipes qui sont allées loin en Ligue des champions, rares sont les joueurs qui sont allés loin en Coupe du monde. Car c'est une compétition où tu ne peux pas faire semblant, t'engager à moitié. Ça te prend beaucoup d'énergie. Mais la saison est très positive quand même."
Une prise de pouvoir sans partage
Et elle ne se résume pas qu'à des chiffres puisqu'elle aura été aussi celle de la confirmation d'une prise de pouvoir sans partage sur le football français, matérialisée par le tweet qui a précipité la chute du président de la FFF Noël Le Graët ou par l'obtention du capitanat en équipe de France, après la retraite internationale d'Hugo Lloris. Ce brassard le conduira vers des combats moins personnels que les droits à l'image. Il ne devrait en revanche pas le brider, lui dont les prises de parole trouvent un écho mondial.
« J'ai envie de me battre contre toutes les discriminations, toutes les violences, mener tous les combats que j'estime justes et nécessaires, assure celui qui a défendu publiquement le Brésilien Vinicius, victime de racisme en Espagne, ou qui s'est ému de la mort de Nahel (17 ans), tué par un policier à Nanterre le 27 juin. Il y a des choses qui touchent mes valeurs, mon éducation. Depuis le départ, j'ai toujours dit, et je le répète pour ne pas que les gens oublient : je me battrai pour ce que je pense être juste sans me contenter simplement de jouer au foot. Car, aujourd'hui, j'ai une parole qui compte. Il ne faut pas surestimer ma voix mais ne pas la sous-estimer non plus. Il faut prendre la parole à bon escient, quand c'est nécessaire. »
Dans cette saison dantesque, c'est-à-dire sublime et sombre à la fois, nul besoin de développer le fait que perdre une finale de Coupe du monde, en ayant terminé meilleur buteur du tournoi (8 réalisations) avec, notamment, un triplé en finale contre l'Argentine (3-3, 2-4 aux t.a.b.) dont on reparlera dans cinquante ans, restera une cicatrice.
Mais la différence entre le succès et l'échec tient parfois à un gardien qui sait de quel côté plonger sur les penalties ou les tirs au but, même si Emiliano Martinez n'en a stoppé aucun des trois tirés par Kylian Mbappé dans la touffeur du stade de Lusail à Doha le 18 décembre. Le portier argentin s'est vengé sur les autres Français.
« Il n'y a que la Coupe du monde que je regrette, estime l'attaquant tricolore à l'heure du bilan, mettant de côté l'élimination précoce du PSG en huitièmes de finale de la Ligue des champions contre le Bayern Munich en mars (0-1, 0-2). C'est difficile de répondre autre chose quand tu es si proche, quand tu perds juste aux tirs au but en finale. Mais c'est le sens de l'histoire. Si on a perdu, c'est qu'on devait perdre. Je pars du principe que c'est toujours comme ça. Je vois les choses ainsi. Ce n'est que partie remise. Je pense qu'on va en gagner une encore. Le groupe a cette envie, ce rêve-là. J'espère dire dans quelques années que c'était un mal pour un bien, même si perdre une finale de Coupe du monde, ça restera un mal à jamais. Mais j'ai appris à vivre avec ça et ce n'est plus du tout une douleur pour moi. Ça fait partie de l'histoire, c'est du passé. »
Un objectif : le Ballon d'Or
Déjà vainqueur de la Coupe du monde en 2018, Mbappé a d'autres objectifs plus rapprochés avant celle organisée aux États-Unis, au Mexique et au Canada en 2026. L'Euro 2024 mais aussi le Ballon d'Or, le 30 octobre prochain, alors que son meilleur classement demeure une quatrième place en 2018. Il l'a évoqué le 19 juin au micro de TF1, après le dernier match d'une saison interminable contre la Grèce (1-0).
Preuve qu'il veut se placer en postulant crédible et convaincre son auditoire ou le grand public avec un raisonnement travaillé, le joueur français nous avait tenu le même discours, parfois au mot près, lors de notre rencontre à Clairefontaine une semaine auparavant : « Le Ballon d'Or avec les anciennes règles (où le palmarès était sur un pied d'égalité avec la performance individuelle en critère numéro 1 avant la saison 2021-2022), je vous aurais dit non. Mais, avec les nouvelles, c'est la performance du joueur qui prime. On te demande d'élire le joueur le plus impressionnant, qui a le plus impacté, qui a été le plus décisif, qui a le plus brûlé la rétine. J'ai deux, trois choses dans mon bagage. On verra, mais je pense que je suis toujours un candidat, ça, c'est la vérité. »
Avec un bémol. Le fait de jouer en France, dans un Championnat sous-exposé médiatiquement et d'un niveau moindre que dans d'autres pays européens, ne lui rend pas vraiment service. À écouter le Parisien, évoluer au PSG non plus, ce qui est une grille de lecture aussi pour comprendre sa décision, pour l'instant, de ne pas prolonger, alors qu'il est convoité depuis des lustres par le Real Madrid : « Est-ce que les gens banalisent mes performances ? Oui mais, en même temps, je ne leur en veux pas. En France, on m'a vu grandir, on me voit tout le temps, au PSG tous les week-ends ou en sélection. Et ça fait des années que je marque beaucoup. Donc, pour les gens, ça devient normal. Je ne me suis jamais plaint que mes performances soient banalisées. Je suis jeune et j'ai eu la chance d'être observateur, il n'y a pas si longtemps que ça, avant d'être acteur. Et moi-même, je banalisais ce que faisait Messi, ce que faisait Cristiano Ronaldo, ce que faisaient les grands joueurs. On est dans une société de consommation, où prime le "c'est bien, mais fais encore " ». Et le fait que je sois juste à côté, à Paris... Je pense que jouer au Paris-SG, ça n'aide pas beaucoup car c'est une équipe clivante, un club clivant. Donc, bien sûr que ça attire les mauvaises langues mais ça ne me gêne pas car je sais ce que je fais et comment je le fais. »
Une désillusion européenne
Incapable de porter son club au-delà des huitièmes de finale de la Ligue des champions, l'année même où les autres nouveaux riches de Manchester City sont parvenus à remporter enfin la C1, Mbappé a encore vécu une grosse désillusion dans cette épreuve qui lui échappe, comme elle échappe au PSG depuis l'arrivée des Qatariens en 2011.
Il avait pourtant démarré très fort, plus fort même qu'Erling Haaland, en marquant sept buts en six matches de phase de groupes (contre cinq pour le Norvégien). Mais une blessure à une cuisse le 1er février à Montpellier l'a empêché d'être à 100 % contre le Bayern lors du huitième aller au Parc des Princes (0-1, le 14 février). Proche du forfait, l'attaquant était entré une grosse demi-heure, pas assez pour renverser la situation. Au retour en Bavière le 8 mars (0-2), il n'avait pas existé, comme Lionel Messi d'ailleurs, face à son coéquipier chez les Bleus Dayot Upamecano.
Alors que Christophe Galtier n'a tenu qu'une saison et que Luis Enrique va arriver en tant qu'entraîneur pour tout reprendre de zéro comme souvent, les échecs du projet parisien en Coupe d'Europe dépassent sa personne. Mais c'est dans sa nature profonde de ne pas les accepter facilement, lui dont la personnalité complexe le pousse depuis tout jeune à courir après la lumière et les récompenses.
Un plafond de verre au PSG
Mais pourquoi au fait ? Ou pour qui ? « Je repousse les limites pour moi d'abord, confesse-t-il. Les gens n'aiment pas trop qu'on dise ça, mais une carrière, c'est égoïste, c'est la tienne, c'est ce que tu laisses en héritage. De base, je suis un éternel insatisfait, donc je ne suis jamais impressionné par ce que je fais. C'est déjà une première clé pour me comprendre car tout ce que je réalise, je me dis que je peux le refaire et en mieux. J'ai cette faim de gagner. Je ne veux pas être dans une équipe juste là pour participer. C'est pour ça que certaines fois on pense que je suis arrogant. Car je déteste juste participer. Ce n'est pas dans ma nature, ce n'est pas ce que je suis et je n'ai pas peur de dire ce que je veux quand bien même les choses ne se passent pas comme je l'aurais voulu. Je n'ai pas peur de l'échec non plus, il fait partie de la carrière d'un footballeur. Mais j'ai l'intime conviction que je suis né pour gagner et je veux le montrer à tout le monde. »
Pour satisfaire cette ambition sans limite, Kylian Mbappé a peut-être compris qu'il ne faudra pas s'éterniser dans la capitale. Car, s'il a prolongé en mai 2022 avec l'idée que le PSG construise un effectif compétitif pour remporter la C1 et bâti autour de lui, les belles promesses n'auront pas passé l'été dernier et le mercato.
« Je ne sais pas ce qu'il manque au PSG (pour gagner la Ligue des champions), ce n'est pas trop une question pour moi, balaie-t-il aujourd'hui, même si on est certain qu'il a sa petite idée. On a fait ce qu'on pouvait, point. Il faut parler aux gens qui font l'équipe, qui organisent l'effectif, qui construisent ce club. Moi, j'essaie juste de faire mon boulot du mieux possible. J'ai mis une quarantaine de buts en club (41), une dizaine en sélection (13). J'ai été meilleur joueur, meilleur buteur pour la cinquième année de suite en Ligue 1. En Ligue des champions, malheureusement, je me suis blessé avant le match aller et, au retour, on a été impuissants. Mais, en phase de poules, il me semble que j'ai été le joueur le plus décisif. Je pouvais faire mieux par rapport à mes standards. Mais pas faire de magie non plus. Même les autres joueurs ont tout donné. Parfois, dans le football, tu es confronté à ce qu'on appelle un plafond de verre. C'est pour ça que ce n'est pas trop une question pour moi mais plus pour au-dessus. »
Une dernière saison en Ligue 1 ?
L'équation reste pour l'instant insoluble au PSG mais peut-être pas du côté de Madrid. « Des raisons d'y croire ?, répond Mbappé, quand on lui demande les arguments qui lui font penser que la saison prochaine pourrait enfin être la bonne. C'est très simple, je suis un compétiteur, quand je joue, c'est pour gagner. Et peu importe avec qui tu vas me faire jouer, peu importe mon maillot, peu importe l'endroit, peu importe l'année, je ne serai jamais rassasié de gagner, encore plus un trophée que je n'ai pas remporté comme la Ligue des champions. Je vais aller en vacances, faire un reset, retrouver de l'énergie et je reviendrai avec la faim que tout le monde connaît. » Pour ce qui sera peut-être sa dernière saison en L1. Ou ses dernières semaines, puisque le PSG lui a fixé la date du 31 juillet pour se décider sur son avenir.