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TUDOR FAIT DE BEAUX RÊVES
Après sa carrière de joueur, le Croate est devenu un entraîneur qui monte, au football dynamique et aux méthodes exigeantes. L’OM sera une étape importante pour son ambition affirmée. MéLISANDE GOMEZ
Il faut croire que les sommets montagneux peuvent parfois retenir la bonne réputation en même temps que les nuages : selon qu’on se situe d’un côté ou de l’autre des Alpes, la notoriété d’Igor Tudor n’est pas tout à fait la même. Si les supporters marseillais sont plutôt sceptiques quant à l’identité de leur futur entraîneur, tombé d’accord avec les dirigeants de l’OM sur un contrat de deux ans, les retours d’Italie sont nettement plus enthousiastes au sujet de l’ancien défenseur central, que la Botte connaît bien pour avoir déjà observé une grande partie de sa carrière de joueur, à la Juventus, entre 1998 et 2007 (il a été prêté en 2005-2006 à Sienne).
À son arrivée dans le Piémont, il a tout juste 20 ans et un CV beaucoup plus léger que son physique de déménageur, déjà impressionnant, et qui fera dire à l’Avvocato Gianni Agnelli : « Je suis curieux de voir à l’œuvre ce grand Croate. » « J’étais allé le superviser à Split la saison d’avant sa signature et il m’avait marqué par son physique, bien sûr, mais aussi par sa personnalité, que l’on percevait déjà alors qu’il avait 19 ans, se souvient Narciso Pezzotti, adjoint de l’entraîneur turinois, Marcello Lippi. Il dégageait beaucoup de sécurité, comme un joueur déjà adulte. Et il avait toujours ce souci de sortir les ballons proprement. » Du haut de son 1,93 mètre, Tudor imposera régulièrement sa puissance au cœur de la défense de la Juve du début des années 2000, celle des Zidane, Del Piero ou Davids, mais ce corps ne le laissera pas tranquille souvent et les blessures marqueront sa carrière jusqu’à une retraite précoce, à même pas 30 ans, après une dernière saison de retour à la maison à Split, sa ville natale et son club formateur, en 2007-2008.
“Il nous a dit qu’on allait tellement souffrir qu’on ne verrait plus rien d’autre que le centre d’entraînement et notre lit, et c’est ce qu’il s’est passé
Aurélien Chedjou, que Tudor a dirigé à Galatsaray
Malgré ces articulations douloureuses, Tudor s’est construit un joli bagage de joueur, chargé de deux scudetti avec la Juve et de 55 sélections avec la Croatie, dont une troisième place à la Coupe du monde 1998. Igor Stimac était de l’aventure et, nommé sélectionneur en 2012, il choisira comme adjoint son ex-coéquipier, à l’aube de sa carrière de l’autre côté de la ligne de touche. « J’ai toujours pensé qu’il serait un grand entraîneur, parce que, déjà comme joueur, il avait la mentalité pour, cette exigence et cette envie de réussir, raconte Stimac. Je l’ai choisi dans mon staff pour son ambition, son excellente connaissance du foot, son expérience de joueur, et pour son caractère. C’est quelqu’un qui sait exactement où il veut aller et comment il veut y arriver. Il avait une réelle autorité dans le vestiaire. »
Tudor roulera sa bosse ensuite entre son club du Hajduk Split, qu’il entraîne de 2013 à 2015, le PAOK Salonique puis la Turquie. Partout, il impose sa philosophie de travail, parfaitement résumée par Stimac : « Il n’y a qu’une seule façon de réussir et Igor le sait, le travail, les efforts, et jamais de confort. » Il n’y a pas de place pour ceux qui voudraient courir moins que les autres. En février 2017, Tudor signe à Galatasaray ; en mai, il ne veut déjà plus de la star de l’effectif, le Néerlandais Wesley Sneijder, libéré de sa dernière année de contrat. Pendant son année à Istanbul, dans un vestiaire aux ego plus affirmés, la greffe a du mal à prendre. « Je me souviens de son premier discours au vestiaire, avant même sa première séance, témoigne Aurélien Chedjou. Il nous a dit : “J’aime bien Guardiola, mais je préfère Diego Simeone, je veux une équipe qui cravache et qui avale les kilomètres.” Il nous a dit qu’on allait tellement souffrir qu’on ne verrait plus rien d’autre que le centre d’entraînement et notre lit, et c’est ce qu’il s’est passé, on était rincés en rentrant chez nous. Et puis il ne jurait que par le 3-5-2 alors qu’on n’avait pas les joueurs pour. On a essayé de le lui dire mais ça n’a rien changé. »
“Il veut du rythme, du rythme, du rythme. Après un entraînement, tu es parfois plus fatigué qu’après un match
Valon Behrami, son ancien joueur à l’Udinese
La méthode s’est affinée, depuis, et notamment à l’Udinese, qu’il rejoint en avril 2018. « Il veut toujours que ça aille de l’avant, avec un pressing intense et très haut, quitte à prendre des risques, détaille l’ex-international suisse Valon Behrami. Il a besoin de joueurs très physiques, parce que c’est un foot agressif qui nécessite une excellente condition. Tactiquement, il ne fait pas trop dans le détail. Ce n’est pas le genre à faire des pauses au milieu de la séance pour parler et jouer les profs de foot. Au contraire, lui, il veut du rythme, du rythme, du rythme. Après un entraînement, tu es parfois plus fatigué qu’après un match. »
Ce foot plein d’énergie et d’intensité, qui évoque celui de l’Atalanta Bergame, le place dans les radars des clubs plus huppés et, à l’été 2020, il est contacté par les dirigeants de la Juventus, qui cherchent un peu d’expérience à intégrer dans le staff du néophyte Andrea Pirlo. La saison sera compliquée, pour Pirlo comme pour Tudor, qui se retrouve relégué en arrière-plan d’un staff où, de l’avis de nombreux témoins de l’époque, il est le plus compétent. « Il connaît le foot et c’est une personne d’une grande moralité, qui dit les choses comme elles sont », glisse un de ses anciens dirigeants. Et qui sait ce qu’il fait, comme il l’a encore montré à Vérone, la saison passée, redressant l’équipe d’un coup après le limogeage express d’Eusebio Di Francesco au lendemain de la 3e journée (le Hellas a terminé 9e de Serie A).
“C’est un homme intelligent et vif. Je n’ai aucun doute sur sa réussite à Marseille
Marcello Lippi, son ancien entraîneur à la Juventus
Pour Pablo Longoria comme pour pas mal d’observateurs, le Vérone de Tudor fut l’une des équipes les plus séduisantes de l’année. En vérité, le Croate s’est aussi appuyé sur les fondations laissées par son compatriote et prédécesseur sur le banc du Hellas, Ivan Juric. « Ils se ressemblent, et ils ressemblent à Gasperini, dans ces entraînements hyper intenses et cette intensité que l’on retrouve en match, explique Maurizio Setti, le président de Vérone. Mais il a apporté sa patte. C’est quelqu’un d’ouvert, coopératif et très direct dans le dialogue. Il est extrêmement cultivé et on peut parler de tout. J’ai hâte de le voir à Marseille, qui sera un tournant dans sa carrière. Je suis sûr qu’il est prêt. »
Marcello Lippi, son ex-entraîneur à la Juve qui suit de près sa carrière de coach, est lui aussi convaincu : « C’est un homme intelligent et vif. Je n’ai aucun doute sur sa réussite à Marseille. » Reste à voir comment il gèrera un vestiaire sans doute moins facile que celui de Vérone, et sur quels joueurs il pourra compter. « Il lui faudra des joueurs très rapides derrière, parce que son football concède beaucoup d’espaces et, contre Liverpool ou le PSG, quand tu as 40 mètres dans le dos, tu as intérêt à courir vite, estime Behrami. Et il faudra voir s’il a maintenant la maturité pour gérer des joueurs comme Payet, par exemple. »
À 44 ans, et après plus de dix ans à entraîner, Tudor a-t-il les clés pour manager un effectif comme celui de l’OM et un environnement sous haute pression ? « Quand vous avez des joueurs de caractère et que vous ne voulez pas leur parler mais seulement les commander, ça coince, prévient Chedjou. Mais je pense qu’il peut réussir à l’OM parce qu’il a pris de l’expérience. Je suis certain que c’est une bonne personne, qu’il est assez intelligent pour avoir évolué. »
Il a gardé certains principes aussi, lui qui disait, après la victoire (2-1) du Hellas contre la Juve, le 30 octobre : « Un bon entraîneur doit tous les jours être sur le dos de ses joueurs, les maintenir dans le travail au quotidien. » « Il a toutes les qualités pour y arriver, conclut Stimac. S’il réussit à l’OM comme entraîneur aussi bien qu’Alen Boksic a réussi comme joueur, ce sera bien ! » Bon courage à tous.
L'Equipe