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PORTRAIT; Tudor, côtés Split et face; Pour l'entraîneur de l'OM, tout a démarré à l'Hajduk, club phare de sa ville de naissance
C'est l'histoire d'un homme, d'une ville et d'une institution qui ne font qu'un. Pour Igor Tudor, tout commence, tout le ramène et tout se terminera probablement un jour à Split, jamais loin de la mer Adriatique ni de l'Hajduk. Dans le coeur du réacteur du nonuple champion d'ex-Yougoslavie et sextuple de Croatie, l'entraîneur de l'OM a tout fait : le ramasseur de balle lors du seul quart de finale de Ligue des champions du club (en 1995 contre l'Ajax), le centre de formation, l'équipe première au début et à la fin de sa carrière de joueur, l'éducateur pour les jeunes pousses, l'assistant-traducteur pour un technicien italien, et le rôle principal sur le banc des pros, à deux reprises. Sans parler de son père, Mario, qui y a joué dans sa jeunesse ou de son fils Roko, actuellement pensionnaire de l'académie. Selon son ancien partenaire à l'Hajduk Josip Skoko, "il avait cette mentalité très Split." Comment la définir ?
L'Australo-croate réfléchit puis délivre son interprétation : "Disons que quand un Splitois est en grande difficulté, il se met en colère, concentre toute sa rage, et fait tout ce qui est en son pouvoir pour empêcher l'adversaire de le battre."
Vaste programme, qui pourrait être résumé dans la seconde mi-temps de Toulouse-OM, dimanche dernier, avec une équipe marseillaise très Tudoresque qui aurait pu abandonner ses derniers espoirs de titre en Haute-Garonne mais n'a pas abdiqué. Ce verbe n'est pas dans le Bescherelle d'Igor, né à Split en 1978 d'une famille sans histoire originaire de l'île de Hvar, à 1h30 de ferry de sa ville. "Mais lui sortait de l'ordinaire", explique Vik Lalic, son ancien équipier au centre puis chez les seniors. Plus vieux de deux ans, il apprend à le connaître à l'académie, durant les matches d'entraînement entre les différentes catégories. "Tout de suite, le club a compris qu'il avait affaire à un futur grand joueur. Son talent était immense, son intelligence incroyable. On aurait dit un vétéran dans sa façon de jouer."
Très vite, il se distingue autant sur le terrain qu'en dehors, passe son temps à demander "pourquoi ?" à ses éducateurs et à jouer les patrons de chacune de ses équipes. "Tout le monde le respectait puisqu'il était toujours surclassé. Il était le leader et replaçait tous ses équipiers pendant les matches, se souvient Lalic. Dès cet instant on pouvait noter qu'il pourrait devenir un très bon entraîneur, il avait sa propre opinion et posait des questions aux coaches alors que les autres gamins disaient amen à tout." Son attitude ne change pas en découvrant les pros, où il côtoie brièvement Igor Stimac et Aljosa Asanovic : "On a eu des temps difficiles avec les plus vieux, rit Skoko, ils nous chambraient beaucoup ! Nous, on faisait du mieux possible pour nous imposer sans trop les déranger."
Le comique de service
"Quand un jeune débarquait en équipe première, on attendait toujours de lui qu'il la ferme, mais lui était à l'aise et mettait une bonne ambiance, poursuit Vik Lalic. Il avait toujours envie de donner son avis. Au début, les autres se sont demandé : 'Mais qui est ce gars qui parle tout le temps ?' Mais après deux ou trois matches, vu son niveau, ils l'ont tous respecté." Au milieu ou en défense centrale, Igor Tudor s'impose grâce à ses qualités techniques, tactiques et athlétiques au-dessus de la moyenne, ce qui a estomaqué Mario Stanic quand il l'a découvert en sélection : "Normalement, un joueur aussi grand (1,93m) n'est pas aussi bon avec le ballon." Josip Skoko détaille le style footballistique de l'actuel entraîneur de l'OM : "Il était à la fois très rude et technique, agressif et calme. Il était très physique, bon sur les tacles, mais il avait aussi un beau toucher de balle et comprenait très bien le jeu. S'il dépannait un peu au milieu, il jouait surtout défenseur et a été phénoménal."
Sur ses trois saisons en équipe première, Igor Tudor ne parvient pas à mener son club de toujours au titre (trois fois 2e derrière l'hégémonique Croatia Zagreb, aujourd'hui Dinamo, il ne gagnera qu'un trophée à Split, la coupe en tant qu'entraîneur en 2013) mais il tape très vite dans l'oeil de la grande Juventus de Marcello Lippi, Didier Deschamps, Zinédine Zidane ou Alessandro Del Piero. À en croire l'ex-international australien, il était déjà prêt à rejoindre l'exigeante Vecchia Signora et sa constellation de cracks ultra-professionnels portés sur la musculation (et aiguillés par de sulfureux médecins dans les années 90). "Son transfert nous a tous réjouis, mais n'a surpris personne. Il s'entraînait dur pour réaliser son ambition de jouer dans un grand club et il a réussi. C'était un très bon professionnel, très sérieux dans le foot." C'est moins le cas en dehors des terrains, où Tudor n'est pas du genre à passer son tour pour se marrer. Si, de prime abord, Tudor semble froid, son humour est vanté par ses anciens équipiers. "On passait beaucoup de temps ensemble autour d'un café ou d'un verre, et on a beaucoup rigolé, il blaguait tout le temps", se remémore avec nostalgie Skoko, quand Lalic insiste : "Il était extrêmement drôle, un vrai roi de la vanne, mais aussi toujours prêt à aider quelqu'un. Et autre chose m'a marqué : il n'oubliait jamais de prendre un livre en déplacement, que ce soit sur le foot ou pas. Il était dans l'apprentissage permanent, et c'est encore le cas aujourd'hui."
Cette soif de progresser l'a accompagné, de Turin à Sienne, en passant par Udine et Vérone en Italie. Mais, volontairement ou pas, Igor Tudor n'a pas oublié de passer un peu de temps par les bouillonnantes et côtières Thessalonique, Istanbul et Marseille. Trois autres villes ouvertes sur l'infinie mer bleutée, qu'elle soit d'Égée, de Marmara ou de Méditerranée ; trois autres clubs, le PAOK, Galatasaray et l'OM, aussi frappadingues que son Hajduk ; trois autres stades, le Toumba, le Nef et le Vélodrome, aussi volcaniques que le Poljud, où l'on peut se délecter des meilleures ambiances européennes grâce à des supporters aussi fanatiques que ceux des "Maîtres de la mer", qui l'ont poussé des poussins au banc de touche et qui suivent aujourd'hui encore assidûment les prouesses du quadra. "Split est très spéciale, il y a une micro-culture ici, analyse Lalic. C'est une ville très similaire à la vôtre sur de nombreux aspects. Mais malgré tous ses voyages, Igor est resté Igor. Si je lui envoie un message aujourd'hui pour lui demander une adresse de restaurant à Marseille, il me répondra dans la journée." Une nouvelle preuve que même à plus de 1 300km, Split n'est jamais très loin de Tudor.
La Provence