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Comment Igor Tudor a imposé ses idées à Marseille
Après six mois à l'OM et malgré des débuts compliqués avec son groupe, l'entraîneur croate Igor Tudor a réussi à imposer sa méthode et son style de jeu.
Il faut le préciser d'emblée : à Marseille encore plus qu'ailleurs, le vent peut tourner très vite et quelques résultats défavorables suffisent à ébranler une position qui semblait confortable un mois plus tôt. Mais les points pris ne sont plus à prendre et, avec ses cinq victoires d'affilée en Championnat, avec ses 39 points après 18 matches, Igor Tudor a réussi son premier semestre, malgré la déception de la Ligue des champions. Arrivé début juillet dans le scepticisme général, l'ancien défenseur central a trouvé sa place et imposé son football énergique et efficace à un vestiaire d'abord récalcitrant.
Avec les joueurs : qui l'aime, ou pas, le suive
Les résultats balayent tout le reste mais, dans le vestiaire de l'OM, ils sont nombreux à ne rien avoir oublié des premières semaines de juillet. Pour beaucoup de joueurs habitués à la chaleur argentine de Jorge Sampaoli, le choc de l'arrivée du Croate a été brutal, parce qu'il était difficile d'imaginer méthode plus éloignée.
Voix ferme, regard sérieux, Tudor est froid, distant, et il martèle les consignes avec la légèreté d'un lieutenant-colonel en mission, exigeant de son groupe des efforts physiques intenses à chaque séance, du rythme, du rythme et encore du rythme. Certains ont le corps qui grince, d'autres s'inquiètent de blessures qui pourraient se réveiller, et tous se demandent pourquoi autant changer après une saison aussi réussie, conclue à la deuxième place de L1. Mais le coach ne s'embarrasse pas de justifications ni ne s'y perd.
Les premières semaines étaient parfois tendues
Forcément, les premières semaines seront parfois tendues, Gerson, Jordan Amavi ou Mattéo Guendouzi, notamment, pourraient en témoigner. Tudor, lui, ne dévie pas de sa trajectoire. Habitué à la mentalité italienne, où le « Mister » incarne l'autorité et est là pour se faire respecter davantage que pour se faire aimer. Il reste droit dans ses bottes et sûr de ses idées de jeu, ce qui finit par convaincre certains joueurs.
D'autres n'y ont pas cru et sont partis, comme Gerson (à Flamengo), qui a vite lâché mentalement. S'il n'est pas rond dans son management, Tudor est toujours droit et transparent et n'élimine personne, pourvu que le travail soit fait. Dimitri Payet, déclassé pendant l'été, est ainsi revenu dans la danse ; Guendouzi, qui ne sera jamais le meilleur ami du Croate, est un titulaire incontesté ; Cengiz Ünder, transférable cet été mais finalement resté, a gagné du temps de jeu et même récolté quelques compliments publics, récemment.
La discipline de Rongier et Veretout comme base d'appui
Tactiquement, l'ancien défenseur central a des principes clairs et précis, et si son marquage individuel tout-terrain a nécessité un temps d'adaptation, notamment pour les défenseurs et les milieux, il est aujourd'hui intégré par tous, avec efficacité. Le Croate peut s'appuyer sur Valentin Rongier et Jordan Veretout, dont la discipline, le volume et l'intelligence tactique comptent beaucoup dans le 3-4-3, et qui ne s'offusquent pas du fonctionnement du staff, le deuxième ayant évolué cinq ans en Serie A. Ou sur Jonathan Clauss et Chancel Mbemba, qui travaillent sans états d'âme et commencent à afficher de belles statistiques offensives.
Les mois qui ont passé n'ont pas allégé le programme et les joueurs présents à Marbella (Espagne), pour le stage de décembre pendant la Coupe du monde, peuvent en témoigner : aujourd'hui, la bonne série de l'équipe est aussi le fruit d'une excellente condition physique. Et les lourdes séances andalouses y sont pour beaucoup.
Les bons résultats n'ont pas déridé le Croate au quotidien, toujours aussi exigeant et directif, et qui incarne parfaitement son rôle à l'italienne, comme le résume son président Pablo Longoria : « Un entraîneur, c'est un leader, et c'est l'autorité. »
Avec les dirigeants : la même philosophie
C'est facile à dire après cinq victoires d'affilée, mais les dirigeants marseillais se félicitent chaque jour d'avoir parié sur le Croate l'été dernier. « Ils adorent leur entraîneur, c'est impressionnant », soufflait récemment un dirigeant adverse après avoir échangé avec eux.
Le choix ne semblait pas aussi évident, à l'époque, parce que Tudor n'avait pas la réputation de ses prédécesseurs Rudi Garcia, André Villas-Boas ou Jorge Sampaoli, tous déjà confirmés au plus haut niveau avant de s'installer en Provence. Mais c'est aussi pour sa trajectoire que Pablo Longoria (président de l'OM) et Javier Ribalta (directeur du football) s'étaient penchés sur lui, pour « prendre un entraîneur qui grandisse en même temps que le club », comme l'expliquait alors le président marseillais.
Les deux Espagnols étaient conquis par le jeu de Vérone, l'une de leurs équipes préférées en Europe la saison dernière, et Longoria savait qu'il ne pourrait pas satisfaire les exigences d'un entraîneur de renom pendant le mercato, comme il l'avait constaté avec Sampaoli. Au moment de choisir un entraîneur, il est donc convaincu que le style de jeu du Croate, un football physique et énergique, est celui qu'il faut pour rivaliser avec les meilleurs sans avoir les mêmes moyens qu'eux.
Ribalta et Longoria savent, aussi, que Tudor a été bercé dans la culture du foot italien, comme eux, et qu'il partage leur philosophie sur le fonctionnement d'un club, ce qu'il leur explique d'emblée, lors de leur première rencontre : le club très au-dessus, puis l'entraîneur, puis les joueurs, avec une hiérarchie limpide et une autorité respectée par tous.
Longoria et Ribalta moins présents sportivement
Au quotidien, les relations ont changé, cette saison. Alors que Sampaoli était en fil direct avec Longoria et pouvait discuter avec lui chaque jour, la restructuration a apporté un autre cadre. Tudor est le patron du vestiaire, David Friio, directeur sportif, assiste aux séances et peut échanger avec le coach sur tel ou tel joueur, mais Ribalta et Longoria ne se mêlent que rarement de la gestion sportive du groupe. Le Croate apprécie la confiance accordée et le respect est mutuel.
Cette saison, Longoria n'est ainsi intervenu qu'à deux reprises devant le vestiaire. La première, début août, pour exprimer son soutien total à un coach qu'il avait choisi, et dont les méthodes faisaient quelques mécontents : « Ceux qui ne sont pas heureux ici peuvent venir me voir et on trouvera une solution de transfert », a-t-il lancé.
La seconde, début novembre, après l'élimination de la C1 en phase de groupes face à Tottenham, pour conforter un groupe touché par le scénario et rappeler sa confiance en son coach, en promettant : « Si vous continuez à travailler et à jouer comme ça, vous aurez des résultats. »
Avec les supporters : une relation normalisée
Igor Tudor s'est assis sur une glacière récemment et les images de Marcelo Bielsa sont forcément remontées à la surface. Mais le technicien croate préfère vivre les matches debout et passer ses consignes directement. Les comparaisons avec « el Loco » s'arrêtent à ce cliché fugace, même si leurs parcours, en termes de points, sont similaires jusque-là.
Pas de quoi, pourtant, déchaîner une vague d'enthousiasme démesurée pour l'ancien défenseur chez les supporters marseillais. Il faut se souvenir de l'accueil glacial réservé par les virages avant même le début de la saison. Copieusement sifflé à l'annonce de son nom lors du dernier match de préparation contre l'AC Milan (0-2, le 31 juillet), Tudor avait encore été hué pour la première rencontre officielle face à Reims (4-1), le 7 août. Du jamais vu.
Tudor ne fonctionne pas à la séduction
Il ne s'en est jamais vraiment ému, conscient de la nécessité de laisser passer un peu de temps après le départ surprise de Jorge Sampaoli, très apprécié des fans olympiens, et persuadé des bienfaits de sa méthode.
Les habitués des virages se sont adoucis à son sujet depuis, les résultats permettant de voir son travail sous une loupe moins déformante. Mais la relation est nettement moins passionnée avec Tudor qu'avec ses prédécesseurs argentins. L'intéressé, de toute façon, ne fonctionne à la séduction ni avec le public, ni avec ses joueurs.
Dans la très bonne période actuelle, Mattéo Guendouzi et ses coéquipiers sont souvent acclamés au Vélodrome. Reste à savoir si le coach aura droit, un jour, à une telle démonstration de respect.