Information
OM : Igor Tudor, son moulin va trop fort; Exécutant de la politique de zapping du club, le nouveau coach se concentre sur le court terme et tente à la dure de faire fonctionner ensemble les nouvelles recrues.
«Si quelqu'un arrive, je suis content et sinon, je suis content quand même.» L'Olympique de Marseille retrouvera mercredi au Tottenham Hotspur Stadium de Londres une Ligue des champions où il reste sur 11 défaites en12 matchs, ce qui dessine un seuil d'incompétence, et les Phocéens voguent sur une mer d'huile à l'ombre d'un grand Croate, satisfait de tout et du contraire de tout: la chance d'une vie - Galatasaray, Udine et le Hellas Vérone sur son CV de coach, pas de quoi grimper aux rideaux- et la pleine conscience de cette chance. Sous le masque austère du joueur qu'il fut, manière de dire que le natif de Split est fondé d'infliger à ceux qu'il entraîne aujourd'hui toutes les souffrances que ses formateurs lui ont infligé à lui, tropisme de l'ex- Yougoslavie compris: le mal par le mal.
Frénésie. Igor Tudor, donc, est content du mercato qui s'est achevé jeudi. Il attendait Darko Lazovic, il a vu arriver Nuno Tavares, transfuge provisoire d'Arsenal où il retournera en fin de saison. Le Croate pensait pouvoir compter sur Ruslan Malinovskyi : son président, Pablo Longoria, lui a envoyé Amine Harit. Pas de souci, Tudor fera avec, comme il aurait aussi pu faire sans.
L'Olympique de Marseille de Longoria, c'est le business en étoile: une demidouzaine d'arrivées et presque autant de départ cet été dans une équipe pourtant vice-championne de France la saison passée avec l'entraîneur argentin Jorge Sampaoli, celui-ci ayant tourné les talons dès qu'il a flairé la frénésie de transferts à venir. Tudor s'est ainsi retrouvé dans la peau d'un coach de sélection, réceptionnant à la Commanderie des vagues de joueurs de tous horizons avant de leur enseigner la règle des trois C chère à son illustre compatriote aujourd'hui disparu, Tomislav Ivic («courir, courir et surtout courir»), et d'espérer que le foot, cet espéranto des temps modernes, lient ceux-là ensemble à la place des semaines de travail qu'il n'a pas eues.
L'un de ses adjoints, Mauro Camoranesi, n'a pas tenu une semaine. Et le vestiaire a grondé, jugeant les méthodes de Tudor un peu frustes sur le fond (courir, donc) comme sur la forme. Mais Longoria a serré les rangs, appuyé sur une cote de popularité sans pareille depuis la mandature Pape Diouf (2005-2009). Et le gouffre financier séparant l'OM du petit peuple de la Ligue 1 a fait le reste, permettant au Croate de s'acheter du temps et d'enquiller à peu de frais des succès contre le Clermont Foot (1-0), le Stade de Reims (4-1), l'AJ Auxerre (2-0 en Bourgogne) ou encore l'OGC Nice (3-0), à la rue depuis le début de l'exercice 2022-2023.
Difficile, dès lors, de savoir au juste où va Tudor et comment il y va. C'est du foot à combustion immédiate, sans passé ni futur proche: le 20 août, le milieu Mattéo Guendouzi, grand artisan de la deuxième place arrachée de haute lutte la saison passée, a eu la surprise de se voir siffler par le public du Vélodrome quand il a été remplacé au bout du match contre Nantes.
Dans le genre, les Marseillais ont vu débouler depuis le Spartak Moscou Samuel Gigot, un défenseur français passé complètement sous les radars hexagonaux, ou encore le Congolais Chancel Mbemba, autrement référencé (FC Porto), mais qui affiche pas moins de quatre dates de naissance différentes. Low-cost. Certains joueurs sont arrivés en prêt, avec des options d'achat que toutes les parties savent ne pas devoir être levées: une volatilité qu'il faut comprendre comme telle, le foot comme le sens de l'instant sur fond de politique lowcost, le propriétaire Franck McCourt étant debout sur les freins.
«Les joueurs capables de tenir le ballon et d'assumer un jeu de possession [c'est-àdire dominant, ndlr] coûtent plus cher que ceux qui évoluent en contre-attaque en profitant des espaces laissés par l'adversaire, a théorisé Longoria. Voilà pourquoi il fallait changer les joueurs, le projet de jeu et le coach.» «Une justification a posteriori comme Longoria en a l'habitude, glisse un habitué de la Commanderie. En construisant son raisonnement à partir de la conclusion, il arrive à chaque fois où il veut.»
Tudor est la caution sportive, un poil démagogique (ils sont suffisamment payés pour se bouger les fesses, faut-il entendre) et viriliste sur les bords, de ce qui se trame au club. On peut en penser ce qu'on veut : c'est le foot d'aujourd'hui, une parenthèse de quelques mois avant de passer à d'autres joueurs, un nouvel entraîneur, un storytelling rafraîchi. Et l'OM n'en est pas plus responsable qu'un autre.
Libération