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Sur les traces du nouvel entraîneur de l'OM, Igor Tudor, à Split
Né et formé à l'Hajduk Split, où il a aussi lancé sa carrière d'entraîneur, le nouveau coach de l'OM Igor Tudor est l'une des fiertés d'une ville riche en grands champions, dont l'ancien Marseillais Alen Boksic, qui décrit « un homme juste, qui tient à ses idées ».
C'est un décor de carte postale, où les rayons du soleil parent de reflets argentés une mer claire comme le cristal, devant le sable couvert de parasols et des cris des enfants. À quelques pas de la plage, les touristes sirotent un cocktail en terrasse avant de déambuler entre les murs imposants du palais de Dioclétien et même s'ils sont venus en vacances et se moquent peut-être du football, ils n'échapperont pas aux couleurs de l'Hajduk. À Split, belle cité portuaire et touristique posée sur la côte dalmate, on ne fait pas 300 mètres sans tomber sur un graffiti à la gloire du club local, place forte du Championnat à l'époque yougoslave et passion commune de ses nombreux supporters.
« Demandez à n'importe qui dans la rue, tout le monde ici aime l'Hajduk, résume Alen Boksic, 52 ans. Et peu importent les résultats : plus on est mauvais, plus le public est derrière nous ! » Né dans la station balnéaire de Makarska, à une soixantaine de kilomètres plus au sud, l'ancien attaquant de l'OM (1991-1993) est l'un des nombreux champions passés par le centre formation du club, comme Zlatko Vujovic, Ivica Surjak ou Ivan Perisic. Et, bien sûr, Igor Tudor.
La vie est douce, à Split, et le nouvel entraîneur de l'OM (44 ans) revient dès qu'il le peut passer quelques jours, pour profiter de la maison avec vue sur l'Adriatique, voir les amis et la famille dont son fils, Roko, 16 ans, lui aussi en formation à l'Hajduk, marchant sur les pas de son père et même de son grand-père, Mario, qui a évolué au club jusqu'à ses 19 ans. « Ce sont nos Maldini à nous », rigole Boro Primorac, 67 ans, l'ancien défenseur central puis adjoint d'Arsène Wenger à Arsenal, aujourd'hui responsable du centre, au deuxième étage du stade Poljud. Sur les photos en noir et blanc qui ornent les murs des couloirs, pas loin d'une salle des trophées particulièrement fournie, le jeune Igor est déjà le plus grand de l'équipe, lui qui est arrivé au club âgé d'une dizaine d'années à peine.
Sa famille est originaire de l'île de Hvar, à deux heures de mer au large de la ville, mais est installée pas très loin du centre historique, où le garçon s'abîme la peau des cuisses sur la pelouse synthétique du terrain qui jouxte son école. Dès les premiers entraînements avec l'Hajduk, le talent saute aux yeux et on prédit à la jeune recrue une belle carrière. « Il était doué et, en plus, il avait une grosse capacité de travail et une maturité qui le plaçaient au-dessus du lot, se souvient Sinisa Jalic, qui l'a entraîné pendant plus de cinq ans pendant sa formation. C'était évident qu'il réussirait. »
À l'époque, Tudor joue comme milieu de terrain, il a une excellente technique pour sa taille et un mental d'acier, qui vacille un peu quand, en un été, à 15 ans, il prend une douzaine de centimètres d'un coup. « En revenant des grandes vacances, il avait des doutes sur sa propre coordination, il fallait qu'il s'habitue à ce nouveau gabarit, raconte Jalic. Au club aussi, certains se posaient des questions. Moi, j'y croyais, je l'ai encouragé, je l'ai rassuré et il est devenu encore meilleur. Les gens le voient comme quelqu'un d'assez froid mais c'est le contraire, il est chaleureux et sensible. »
Ses parents, lui vendeur, elle employée dans le textile, surveillent les progrès de leur fils mais sans perdre de vue l'essentiel : « Ils ne me demandaient jamais s'il était bon, ou s'il serait titulaire, ils voulaient seulement savoir s'il se comportait bien avec tout le monde », sourit l'entraîneur.
Dans la chambre du centre de formation, avec vue plongeante sur la pelouse, il noue des amitiés, avec Ivan Juric, l'actuel entraîneur du Torino, de trois ans son aîné, ou Goran Sablic, défenseur passé ensuite par le Dinamo Kiev. « Ce qui marquait, c'était sa forte personnalité. Il était toujours prêt à chambrer et à plaisanter et, une fois sur le terrain, il était le guide », explique Sablic, revenu au club entraîner les jeunes.
Naturellement, c'est à lui que les staffs successifs tendent le brassard de capitaine, comme une évidence. « J'avais 9 ans quand je l'ai connu, on a grandi dans le même quartier. Il avait un an de plus que moi et il était mon modèle, sourit Hrvoje Vukovic, lui aussi défenseur façonné au club. Il était notre star, parce qu'il était talentueux mais surtout parce qu'il avait une telle personnalité que tu avais envie de le suivre et de lui ressembler. Il est très courageux, on le voyait sur le terrain, à la moindre difficulté il prenait la pression sur ses épaules et cherchait à aider l'équipe. »
Mature très jeune
Tous se souviennent de sa franchise, sa façon de dire ce qu'il pense sans prendre de gants, quitte à en froisser quelques-uns. L'ancien Nantais Zoran Vulic, 60 ans, n'a pas hésité à lui confier son premier brassard avec les pros, quand il a pris l'équipe première en 1998, alors que Tudor avait seulement 19 ans. « Il avait tout du leader, il prenait la parole avec sa voix forte, il replaçait les uns et les autres, et surtout il ne se cachait jamais, se souvient Vulic entre deux parties de boules devant la marina, à quelques pas du stade Poljud. Il te disait exactement ce qu'il pensait, il ne va pas parler derrière ton dos. Même tout jeune, il ne se dégonflait jamais. »
Personne n'est surpris quand il signe à la Juventus, à l'été 1998, parce qu'il est suivi par plusieurs grands clubs européens depuis ses 17 ans, et parce que son intelligence en fait un joueur polyvalent de 1,93 m, capable de jouer au milieu comme en défense centrale, où il s'installera en Italie.
Depuis Split, on suit de près la carrière de cet enfant du club, parce que la ville est une amoureuse de sport et une fabrique à champions, pas seulement dans le football : Toni Kukoc, Dino Radja (basket), Ivano Balic (handball), Goran Ivanisevic (tennis), Blanka Vlasic (athlétisme), ils sont nombreux à faire la fierté du coin. Et ils sont nombreux, aussi, à avoir basculé dans une carrière d'entraîneur. Ivan Juric, Slaven Bilic, Ivan Leko et, donc, Igor Tudor, trop tôt rattrapé par des pépins physiques pour écrire la carrière de joueur que son talent promettait, incarnent la nouvelle génération, qui poursuit une glorieuse tradition lancée par Tomislav Ivic.
En 2008, après une dernière saison comme joueur dans son club formateur, Tudor entame sa deuxième carrière avec les moins de 17 ans de l'Hajduk, avant de rejoindre le staff de la sélection nationale, en 2012. « Notre ami Stimac est devenu sélectionneur, il nous a pris tous les deux, raconte Boksic. Sauf que moi, j'étais surtout là parce que j'étais l'ami de Stimac. Lui, on voyait qu'il était motivé pour ce métier, qu'il en avait les compétences. C'est un homme juste, qui tient à ses idées, qui a une vision claire du foot qu'il veut. Il a beaucoup appris à la Juve, il en a gardé la culture, une culture où on ne discute pas des choix du Mister. Il n'est pas du genre à perdre du temps pour écouter ce que pensent les uns et les autres. »
Jusqu'ici, Tudor a fait deux passages sur le banc de l'Hajduk, d'abord entre 2013 et 2015, quand il a d'emblée remporté la Coupe de Croatie, puis en 2019-2020, pour un bilan plus mitigé. « Partout où il est passé, et ici aussi, il y avait de la résistance au départ dans le vestiaire, mais après quelques semaines les joueurs étaient prêts à mourir pour lui, témoigne Sablic. C'est un gagneur-né. Il sait ce que vaut le PSG, bien sûr, mais il voudra les battre. Alors, oui, il est exigeant, et il y aura parfois des discussions avec les joueurs, on l'a vu avec Payet. Mais il va toujours les sortir de leur zone de confort. »
Puisqu'il a connu l'atmosphère brûlante du stade Poljud et l'impatience des supporters du Hajduk, ses amis sont confiants sur la résistance de sa carapace à l'épreuve de l'OM. « Quand vous avez entraîné ici, vous pouvez aller partout, assure Vulic. C'est difficile pour un ancien joueur du club d'entraîner ici, parce que tout le monde vous connaît, vous ne pouvez pas faire cinq mètres dans la rue sans qu'on vous aborde pour vous demander pourquoi vous avez fait tel changement au match précédent. Aujourd'hui, l'entraîneur, c'est un Lituanien, Valdas Dambrauskas. Lui, il est tranquille, personne ne le connaît. Igor a toutes les qualités pour réussir dans ce métier, mais rien ne sera facile à Marseille. Moi, je crois en lui, j'aime sa façon de penser, de transmettre, d'expliquer, toujours franchement. Après, dans ce milieu, les hypocrites font souvent plus de chemin. »
En attendant de voir si la greffe prend, on observe avec une curiosité nouvelle les matches de l'OM et l'actualité du club, les débats autour du statut de Payet, les réunions avec les dirigeants. « J'ai vu que les joueurs se plaignaient de la façon de travailler mais c'est souvent le cas quand tu commences avec un nouveau coach, il peut y avoir des difficultés, pense Boksic. Les joueurs, je les connais, ils préféreraient être à la plage toute la journée avec un verre de rosé. Mais ce n'est pas comme ça que tu progresses, il faut se faire un peu mal. On verra dans quelques mois ce qu'Igor arrive à faire. Enfin, s'ils lui laissent le temps. Ce sera plus simple si les résultats sont là. » La position d'un entraîneur est toujours fragile et l'ancien buteur de l'OM le sait bien, qui glisse l'oeil malicieux : « Début octobre, je vais essayer d'aller le voir à Marseille. Il faut que je me dépêche d'y aller, à votre avis ? Peut-être que c'est plus sûr si j'y vais en septembre ? »
Alors que le soleil commence à plonger vers l'horizon bleu, dans la douceur de la soirée, Vulic regarde la mer à perte de vue : « On est fiers d'avoir un enfant de chez nous sur le banc de l'OM, et j'espère qu'il va rester longtemps, gagner des titres. Il ne lâchera pas, mais il faut qu'on lui laisse le temps. Sinon, il reviendra ici, au soleil, face à la mer. »