Information
Marbella, c’est aussi là que ça se tasse
Après Lyon, la semaine passée, Lens, Marseille, Montpellier et Nice ont également choisi le sud de l’Espagne pour préparer la reprise du Championnat dans une étonnante promiscuité. DE NOs envoyés spéciaux
Texte : RÉGIS TESTELIN PHotos : Bernard Papon MARBELLA (ESP) – Entre mer et montagne, c’est la saison morte à Marbella, les golfeurs ont déserté les fairways escarpés, les volets blancs de leurs résidences secondaires sont fermés, et les rues sont comme les bars à tapas, plutôt tristes et de plus en plus vides, depuis l’élimination de l’Espagne de la Coupe du monde par le Maroc, mardi (0-0, 0-3 aux t.a.b.). Et en plus, il ferait presque moche, malgré les 17 degrés. Lundi, une tornade venue de nulle part a secoué la région, inondant les ascenseurs de l’aéroport de Malaga, noyant les égouts de boue et abîmant plusieurs terrains de football. Mardi, il a fait beau, mais mercredi, c’était gris et de la pluie est encore prévue, aujourd’hui et demain, alors qu’il n’était pas tombé une goutte depuis six mois.
Un complexe sportif prisé aux infrastructures considérables
Ce n’est pas exactement les conditions climatiques qu’étaient venus chercher le Racing Club de Lens, l’Olympique de Marseille, l’OGC Nice et le Montpellier Hérault SC au Marbella Football Center (MFC), cette Mecque du stage d’intersaison, chassée par toutes les plus grandes écuries du football européen.
La semaine passée, l’OL et l’Ajax ont eu plus de chance avec la météo, et donc avec les terrains car, cette semaine, ce n’est pas terrible.
Aux côtés des quatre clubs de Ligue 1 présents cette semaine, il y en a pour tous les goûts : les Autrichiens de Sturm Graz, les Belges du Standard de Liège ou les Grecs de l’Olympiakos sont également là, et tout le monde s’arrange pour jouer les uns contre les autres. Sur son site, le MFC fait la promotion de son produit en dévoilant une liste interminable de ses clients, dans laquelle se croisent Manchester United, le Betis Séville, le PSV Eindhoven, Southampton ou Sassuolo, adversaire de l’OM, dimanche, en match amical. Aujourd’hui, il y a un Nice-Standard de Liège et samedi, un Lens-Montpellier de quatre fois trente minutes.
La longue trêve hivernale (13 novembre-28 décembre pour la Ligue 1) due à la Coupe du monde, a accentué la demande et la concurrence. Il fallait s’y prendre tôt cette année pour être sûr d’avoir de la place en décembre sur les infrastructures colossales du MFC, un complexe qui s’étend sur deux sites différents, riche de huit terrains de football à onze, de sept terrains de football à sept et de plusieurs salles de musculation.
Pour verrouiller sa semaine de stage, le RC Lens a réservé dès le mois d’août et l’OGC Nice a pris la dernière semaine vacante, en s’y prenant fin septembre, à une époque où il ne restait plus que deux hôtels disponibles. À cette époque de l’année, le spot de Faro, au Portugal, est également prisé par les équipes pour son climat et ses pelouses, mais Marbella a la primeur, c’est un peu « the place to be ».
Au tarif d’hiver, certes, mais tout le monde ne peut pas suivre. Pour une délégation de cinquante personnes (joueurs, staff technique et médical, sécurité, intendance et communication), il faut tabler sur un budget d’environ 200 000€ les sept nuits, déplacement compris. Cela peut être beaucoup moins si l’on préfère l’avion de ligne à l’affrètement, mais il y a un risque et les Lensois l’ont appris à leurs dépens : partis lundi à midi de leur centre d’entraînement de la Gaillette (Avion, Pas-de-Calais), ils sont arrivés à Marbella le soir à 23 heures, après que leur avion d’une compagnie low cost a été bloqué au sol pendant trois heures, à l’aéroport de Charleroi (Belgique). En cause, une fumeuse invétérée partie cloper dans les toilettes de l’avion : elle a refusé de quitter l’appareil, la sécurité l’a sortie manu militari au bout d’une heure et demie mais, entre-temps, l’avion s’était refroidi et il a fallu dégivrer ses ailes. Une galère.
« À Marseille, on est privilégiés en termes de climat, explique David Friio, le directeur sportif de l’OM. Mais à Marbella, en général, on a de bonnes conditions. Les infrastructures sont très correctes et c’est un peu pour ça que chaque club se bat pour venir. Ici, c’est plus vivant (par rapport à la Turquie, à Dubaï ou au Portugal), on est dans un contexte agréable. Les joueurs doivent s’oxygéner, il y a beaucoup de convivialité. On a des terrains de padel à l’hôtel. Ça permet au groupe élargi, joueurs et staff, de se retrouver au même endroit au même moment. »
“Ils (les clubs adverses) voient nos séances, ils voient aussi nos matches et ce n’est pas ça qui va changer grand-chose
Franck Haise, entraîneur de Lens
Ça, pour être au même endroit, ils le sont tous, et les images de tous ces joueurs, d’hier et d’aujourd’hui, du Nord et du Sud, se croisant et s’embrassant comme du bon pain a quelque chose d’exceptionnel et d’inédit. Tout le monde se reconnaît, se connaît ou s’est connu. « Le foot est un petit milieu, mais c’est bizarre de se retrouver tous ensemble au même centre d’entraînement, ressent Jonathan Gradit, le défenseur central lensois. On se connaît tous plus ou moins mais, d’habitude, quand on retrouve des anciens partenaires, c’est avant un match de L1, au bord du terrain, avant la compétition, il y a plus de distance. Là, c’est vraiment bien de discuter tranquille sans la pression du match, c’est inédit et appréciable. »
L’Olympien Jonathan Clauss se jette sur ses anciens potes lensois, il sourit et rit aux éclats, comme si Marbella pouvait chasser Doha. Jean-Pierre Papin, devenu depuis peu le conseiller sportif de Pablo Longoria (voir par ailleurs), embrasse Pascal Baills, l’un des adjoints de Romain Pitau à Montpellier, avec lequel il a joué à l’OM. « On a quitté Marseille la même année, en 1992, rappelle Baills à JPP. Toi pour Milan, moi pour Strasbourg. » Mamadou Sakho et Dimitri Payet aussi ont joué ensemble, en bleu, cela doit leur sembler loin à deux jours d’Angleterre-France (samedi à 20 heures), mais peut-être en parlent-ils. Pour voir autant de joueurs au mètre carré, il faut être à Doha ou à Marbella. « Ou à une soirée des Oscars du foot, en fin de saison », s’amuse Franck Haise, l’entraîneur lensois. Au rythme où file son équipe (2e de L1), il est possible que son entraîneur monte sur scène, en mai prochain, pour aller gratter une statue.
Et quand les joueurs de l’OM profitent de cette promiscuité pour scruter ses séances d’entraînement depuis la tribune, il en dit quoi, le coach lensois ? « On savait qu’il y aurait d’autres clubs français à Marbella car c’est un site connu pour accueillir du monde dans les périodes hivernales, minimise Haise. Après, oui, ils voient nos séances, ils voient aussi nos matches et ce n’est pas ça qui va changer grand-chose. Ce qui compte, c’est surtout qu’on se retrouve entre nous, qu’on puisse bosser dans des bonnes conditions avec des températures clémentes même si on aura de l’eau dans les prochains jours. »
Les préparateurs physiques aussi, jettent un regard attentif sur le travail du copain d’en face, mais il n’y a presque rien à cacher. « Notre stratégie physique ? On a d’abord laissé deux semaines de repos aux joueurs en sachant qu’ils allaient s’entretenir a minima, détaille le coach lensois. Depuis la reprise (le 28 novembre), on a pris deux semaines pour faire le plus de séances possible et on a mis plus de travail athlétique dissocié que d’habitude dans nos séances. On est revenus à nos principes de jeu dès le mercredi (le 30 novembre) après trois jours sans beaucoup de ballons. À partir de la semaine prochaine, on sera quasiment dans une configuration de compétition classique. » De toute façon, si quelqu’un voulait copier, c’est trop tard…
L'Equipe