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Après la défaite à Rennes, Marseille face à l’amer
Battus en Bretagne samedi, les joueurs de Jorge Sampaoli ont fait preuve d’une apathie inquiétante et retombent à la troisième place du podium. Le groupe, crispé et fragilisé, voit sa perspective de qualification directe en Ligue des champions se compliquer.
Il est temps de s’arrêter sur ce qui se dit les soirs de match. On s’est pointé samedi au Roazhon Park, sur les bords de la Vilaine, pour voir la fin d’une formidable illusion : l’Olympique de Marseille 2021-2022, rincé (2-0) par le Stade rennais et coiffé pour l’heure (il reste une journée à disputer) sur le fil par l’AS Monaco pour la deuxième place du classement de la Ligue 1, la dernière directement qualificative pour la prochaine Ligue des champions et les 50 millions d’euros qui vont avec.
Et on a pris notre part d’un moment particulier : la petite demi-heure après les rencontres où les reporters attendent les acteurs pour leur arracher quelques mots. Les grands anciens racontent des récits épiques de micros tendus à des mecs à poil dans le vestiaire, de casse-dalles partagés sur le pouce et même un sélectionneur tricolore, Albert Batteux, qui envoyaient ses joueurs en tribune de presse «pour que les journalistes racontent moins de conneries». Désormais, on attend. La modernité a donné une arme formidable au joueur soucieux de passer au large et en silence, tout en évitant de croiser le regard au mieux inquisiteur, au pire suppliant («J’ai rien, personne ne s’est arrêté avant toi»), du cameraman ou de l’homme de radio : le smartphone. Samedi, le milieu Gerson ou les attaquants Cengiz Ünder et Bamba Dieng ont fait le coup. C’est aussi leur droit et si le fait d’aller écouter les joueurs est une politesse élémentaire faite à ceux qui font vivre le foot et le jeu, le silence que l’on reçoit en retour peut être une politesse aussi.
Dit autrement : un joueur qui ne parle pas est un joueur qui ne ment pas. Le défenseur brésilien Luan Peres, lui, a défaussé avec un grand sourire et en regardant tout le monde. Aucune provocation pour autant, juste une petite douceur partagée avec les galaxies extérieures avant le bus et l’avion du retour. N’empêche, ça se crispe. Les radios et les télés doivent travailler : un son d’un joueur se négocie auprès d’une rédaction. Le bruit court que le traducteur français-espagnol de l’OM est parti. Seuls les joueurs francophones sont donc éligibles, et l’expérimenté gardien Steve Mandanda (37 ans), une vie à mettre des mots apaisants sur les soirs de crise (et c’en était un samedi), est déjà passé sans rien dire.
«On a subi, footballistiquement et émotionnellement»
Et voilà Mattéo Guendouzi. On le sent hésiter : il n’a rien de plus à exprimer que ses coéquipiers, trois joueurs rennais sont déjà venus expliquer que les Phocéens se sont fait marcher dessus, l’international français est sans doute d’accord sauf qu’il n’a pas envie de le dire lui. Bref, il n’est pas trop partant pour l’ouvrir. Il ne dira d’ailleurs rien : pas de message à faire passer, pas d’éléments de langage pour tuer le temps (du genre «c’est le collectif qui compte», «on va se remettre au travail», etc.), juste un récit assez littéral («On a raté notre première mi-temps, c’est ce qui nous a mis dedans») mais une amertume, une âcreté rentrée qu’aucun micro n’enregistrera jamais, et qu’une caméra effleurera à peine.
Peut-être que Guendouzi s’est arrêté par politesse. Ou par compassion envers ceux qui, après tout, travaillaient ce soir-là comme lui, à moins qu’il n’ait eu le sentiment qu’il y avait quelque chose à assumer. Et il finira par dire une chose, une toute petite chose, qui dira le vertige : «Si on doit passer par la troisième place et le tour qualificatif pour accéder à la Ligue des champions, on ira. Tout peut se passer. Il faudra avoir de la chance.» Compter sur une défaite ou un nul de l’AS Monaco à Lens, en clair. Mais l’OM et Guendouzi ont tenu le podium toute la saison. Et là, il est en train de leur échapper. Et la saison aussi. Mais qu’est-ce qui se joue, au juste ? La Ligue des champions, d’accord, mais pour quoi faire ? Avec qui ? Ceux-là ? Vingt mètres de couloirs et la grande salle où se tiennent les conférences de presse : celle-là, elle est pour les coachs. Et Jorge Sampaoli, l’entraîneur argentin de l’Olympique de Marseille, arrive au pas de course avec le fameux traducteur. L’attachée de presse prévient : «Quatre questions, pas plus.» Il en tombera cinq.
Qu’est-ce qui s’est passé ? «Je pense qu’on a été dépassé quand on n’avait pas le ballon, pas quand on l’avait. Mais même là, avec le ballon, on a été imprécis.» Exégèse rapide : trop lent derrière, pas assez technique devant, j’ai des joueurs à deux balles et je ne les ai pas choisis. Vous êtes-vous trompé ? «Peut-être, oui. Peut-être que moi aussi. On était parti pour avoir le contrôle du jeu [et jouer lentement, à leur rythme, ndlr] mais l’adversaire a marqué vite et là, on a essayé de changer, mais on n’a pas de variante, on ne peut pas vraiment faire autre chose. On n’aurait mérité de gagner d’aucune manière.» Exégèse : ces joueurs-là sont confits dans leur déterminisme. Je ne vais pas leur demander la lune. Comment expliquer l’absence de tir cadré des Phocéens pendant la rencontre ? «On a subi, footballistiquement et émotionnellement. Le match s’est décanté dans le sens des Rennais. Et ils ont été plus durs dans les duels, et plus forts dans les deux surfaces.» Mes joueurs se sont fait rentrer dedans. Demandez-leur pourquoi. Je n’y étais pas, moi.
Une quatrième question, sur la gestion délicate de la profondeur par les défenseurs, trop lourds quand l’adversaire, même modeste, met de la vitesse. «C’est un mal récurrent cette saison. Si on n’arrive pas à marquer, ça crée du désordre et des erreurs dont l’équipe d’en face profite si elle se projette en nombre, comme Rennes ou Feyenoord [qui a éliminé l’OM en demi-finale de la Ligue Europa Conférence voilà dix jours]. Mais ça tient à nous.» La réflexion la plus sombre de toutes : le foot est un métier mais j’ai sous les yeux des comportements hybrides, légers et un peu irresponsables, qui égarent des ballons mettant au supplice les défenseurs qui doivent rattraper le coup derrière – que Sampaoli dédouane, donc. La dernière réponse n’aura pas le moindre intérêt.
Souvenir ambivalent
Quand il s’exprime en public, l’Argentin apparaît studieux, tout à ses réponses. C’est la seule fois qu’il offre un point de contact au monde extérieur. Deux confrères qui l’ont croisé par hasard à la Commanderie, le centre d’entraînement de l’OM, l’ont vu un peu paniquer, poussant le volume de sa musique – du reggaeton – pour éviter la conversation. S’il affiche parfois des convictions de gauche, qu’il faut entendre comme un ancrage populaire dans l’acception sud-américaine du terme, le public marseillais n’est pas tombé dans le panneau, alerté par quelques transferts où le montant et le CV du joueur ne collent pas (20 millions d’euros pour arracher Gerson à Flamengo, au Brésil) et cette distance que Sampaoli met entre lui et les suiveurs. Début mars, après une défaite (0-1) à domicile contre Monaco, le Vélodrome avait invité l’ex-sélectionneur de l’Albiceleste argentine à se «casser» par banderoles interposées. Après, l’entraîneur marseillais n’a jamais surjoué la symbiose non plus.
Il est là aujourd’hui, il sera ailleurs demain parce que le destin d’un coach est de se faire virer et il laissera, à Marseille comme partout, un souvenir ambivalent, celui d’un homme à la fois éruptif et prudent, tatoué de la tête aux pieds et secret. Samedi, Sampaoli s’est offert un petit plaisir. Sa star ou supposée telle, Arkadiusz Milik, avait été une fois de plus écarté du onze type au coup d’envoi. Le Polonais (61 sélections pour 16 buts) s’en est déjà ému dans le passé, son coach lui a répondu par presse interposée qu’il s’en foutait complètement et les deux hommes cohabitent depuis en silence, même dans l’intimité du groupe. L’attaquant fait peine à voir quand son coach lui lâche du temps de jeu. Sampaoli n’a rien à lui dire, on y va comme ça. Samedi, un de ses assistants a envoyé le Polonais s’échauffer dès la mi-temps.
Epopée low-cost
Puis, à l’heure de jeu, alors que Milik était chaud comme la braise, le même assistant a invité Milik à se rasseoir. Un quart d’heure plus tard, surprise : l’ex du Gornik Zabrze, de l’Ajax d’Amsterdam ou du SSC Naples repart aux étirements. Il ira rejoindre le banc de touche de lui-même, juste avant les arrêts de jeu, ayant compris tout seul que Sampaoli lui a fait faire le voyage en Bretagne pour rien. Reste à savoir de qui cette histoire est le calvaire. Milik a quitté le Roazhon Park la tête basse et la mine pincée. Sampaoli, lui, a hérité d’un joueur qui se vit – ou fait mine de se vivre – comme une étoile mais qui a été opéré d’une rupture des ligaments croisés aux deux genoux (le gauche en 2016, le droit en 2020) et qui, depuis, court après celui qu’il aurait pu être. Un joueur issu du marché dit de la «seconde chance» comme Cengiz Ünder (problèmes musculaires récurrents depuis trois saisons), Amine Harit (prêté par le club allemand de Schalke 04, où il était en échec), William Saliba (que le club d’Arsenal, qui ne le fait pas jouer, prête partout) ou Mattéo Guendouzi, ressuscité cette saison alors qu’il était à marée basse depuis deux ans.
Tous ceux-là étaient titulaires samedi contre Rennes et sa palanquée de joueurs cotés entre 10 et 20 millions d’euros, sous contrat avec le club qui les aligne le week-end et non pas ventilés à travers l’Europe. C’était l’histoire du match, les joueurs présents auraient été bien en peine d’en parler (ça les dépasse) et Sampaoli a éclairé cette réalité-là. Une épopée low-cost sous le lustre écrasant du club le plus populaire de France, une sorte de génie pour entretenir l’illusion alors que les jointures craquent de partout. S’il fait mieux le 21 mai contre le RC Strasbourg que l’AS Monaco à Lens, l’Olympique de Marseille rejoindra une Ligue des champions bien trop relevée pour que ce génie-là ait encore la moindre chance de s’exprimer. Pas sûr, du reste, que ceux qui les aiment bien le leur souhaitent. On peut vivre de paradoxes.
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